Quatre des cinq dernières Parachas ont trait à la construction du Sanctuaire et de ses éléments par les Israélites. En quoi se différencient-elles qui justifie leur division en quatre Parachas ? Il y a certes une différence claire entre les deux premières (Térouma et Tétsavé) qui concernent le commandement lui-même, et les deux autres (Vayakhel et Pekoudei) qui traitent de sa transmission et de son exécution. Mais qu’est-ce qui distingue Vayakhel de Pekoudei ? Et qu’est-ce qui les relie, de sorte qu’elles sont souvent lues ensemble le même Chabbat ? C’est le thème de ce discours et son examen donne lieu à l’analyse des différentes étapes de la rencontre entre D.ieu et l’homme.

1. Vayakhel et Pekoudei

Il n’y a pas de coïncidence dans la Torah. Dans la mesure où celle-ci est la parole de D.ieu, chacun de ses détails est précis et intentionnel. Ceci est également vrai de la division de la Torah en Parachas. Cela n’était pas nécessaire du seul fait qu’elle constitue une somme trop considérable pour demeurer sans division, mais aussi parce que chaque Paracha contient son sujet et son enseignement distincts. Il en est de même du nom des Parachas. Ils ne sont pas simplement choisis parmi les premiers de celles-ci, mais sont une indication précise de leur sujet, et c’est en raison de cela qu’ils apparaissent dans les premiers mots de leur premier passage.

Tel est le sens du commentaire du Zohar,1 selon lequel il y a cinquante-trois Parachas dans la Torah, un nombre fixe et permanent, même les années où deux Parachas sont lues ensemble afin d’adapter la lecture de la Torah à l’année calendaire. Chaque Paracha a son enseignement propre, et la réunion occasionnelle de deux Parachas signifie seulement que deux enseignements sont parfois lus le même jour.

Dès lors, il est clair que les Parachas de Vayakhel et Pekoudei ont deux messages distincts, même si, certaines années, elles sont lues ensemble. Toutes deux concernent la construction effective du Sanctuaire et de ses éléments, de la même manière que les précédentes Parachas de Térouma et Tétsavé avaient traité du commandement et des instructions relatives à cette construction. Mais Térouma et Tétsavé, bien qu’elles partagent le même sujet, nous en disent des choses différentes, comme l’indique le fait qu’elles ne sont jamais lues ensemble. De même, Vayakhel et Pekoudei, bien qu’elles traitent toutes deux de l’édification du Sanctuaire, donnent des enseignements différents.

2. Préparation et révélation

La différence entre elles est celle-ci : dans Vayakhel nous lisons comment Moïse rassembla les enfants d’Israël pour leur communiquer l’ordre de D.ieu d’édifier un sanctuaire et de faire ses éléments, et comment ils entreprirent de mettre ces instructions en œuvre. Pekoudei nous parle des comptes établis par Moïse des offrandes de matériaux pour le Sanctuaire, en or, argent, cuivre, etc. ; de l’usage qu’on en fit ; comment le Sanctuaire et ses éléments furent oints ; comment les offrandes furent faites, et comment cela eut pour effet d’attirer ici-bas la Présence de D.ieu : « Alors la nuée couvrit la tente d’assignation, et la gloire de l’Éternel emplit le Sanctuaire. »2

Le thème essentiel de Vayakhel est le service des êtres créés, c’est-à-dire comment les Israélites édifièrent un Sanctuaire avec leurs biens, leurs corps et leurs âmes. De leurs biens, ils donnèrent les treize (d’après certains, quinze) sortes de matériaux pour le Sanctuaire. De leurs corps, ils donnèrent le labeur par lequel ce travail fut effectué. Et de leurs âmes, ils donnèrent le « cœur inspiré », la « sagesse » et la « disposition d’esprit » que la Torah mentionne comme ayant accompagné le travail. Mais ceci fut exclusivement le service des êtres créés. Ce que Pekoudei ajoute, c’est la réponse divine : « Et la gloire de D.ieu emplit le Sanctuaire. »

Bien que le travail décrit dans Vayakhel ait suscité la révélation de D.ieu, car tout acte du service divin donne lieu à une émanation de Divinité, celle-ci fut infinitésimale comparée à la gloire de D.ieu qui remplit le Sanctuaire, suite à l’onction de celui-ci et aux offrandes.

Il est des cas où nous disons que la préparation pour une Mitsva est également une action sainte.3 Mais dans la révélation divine qu’elle suscite dans le monde, la préparation à un acte ne peut se comparer à l’acte lui-même.4 Et ceci s’applique encore plus à la préparation du Sanctuaire et de ses éléments, qui est le thème de Vayakhel. Car ceux-ci ne deviennent saints qu’après avoir été oints avec l’huile, ou effectivement utilisés dans le service divin,5 qui est le sujet de Pekoudei. C’est pourquoi la révélation suscitée par la sanctification du Sanctuaire dépassa infiniment celle issue de sa préparation.

Tels sont donc les thèmes essentiels des quatre Parachas concernés par le Sanctuaire et ses éléments 6 :

Térouma et Tétsavé relatent le commandement de D.ieu de construire un Sanctuaire, avec la distinction que Térouma concerne le Sanctuaire lui-même et ses éléments, Tétsavé, les habits des prêtres.

Vayakhel raconte comment Moïse transmit ce commandement, et comment les Israélites l’accomplirent.

Enfin, Pekoudei rapporte la réaction de D.ieu en remplissant le Sanctuaire de Sa gloire.

Nous avons ici les trois étapes du dialogue entre D.ieu et l’homme, les trois phases de la progression de leur relation.7 D’abord vient l’initiative divine, « l’éveil d’en Haut », le commandement qui ouvre à l’homme une voie pour s’unir à la volonté de D.ieu. Puis il y a la réponse de l’homme, « l’éveil d’en bas » dans lequel il relève le défi de l’obéissance et crée en lui-même et dans son monde un espace sanctifié, débarrassé de ses illusions d’autosuffisance, pour que D.ieu y entre et en fasse Sa demeure. Enfin vient la réponse divine : la révélation de D.ieu à l’intérieur de la sphère humaine. Le commandement, qui était la première manifestation de la voix divine, vint comme une voix du dehors, invitant l’homme à briser la coquille du moi et de la séparation. Tandis que la réponse finale de D.ieu est une voix du dedans qui remplit le sanctuaire de « la gloire de D.ieu ». C’est la voix de Pekoudei.

3. Deux semaines en une

Bien que cette révélation de Pekoudei soit bien au-delà de celle de Vayakhel (l’étape de la réponse et de la préparation humaines), les deux Parachas sont souvent lues ensemble la même semaine. Parce que parfois, quand le temps est court, nous devons accomplir en « une semaine » ce qui se fait normalement en « deux ».

Cela ne veut pas dire que nous devons délaisser la discipline du temps. Le Sanctuaire était essentiellement « une demeure dans le monde inférieur », au sein de la dimension humaine, au sein du temps et de l’espace. Cela signifie plutôt qu’à l’intérieur du temps, nous ne devons pas être limités par le temps.

Il y a ici un rapport avec le mois d’Adar, au cours duquel ces Parachas sont habituellement lues. Adar est, bien entendu, le mois de Pourim. Et bien que Pourim tombe toujours l’un des jours de semaine, lors desquels il nous est permis de travailler, l’essence de cette fête réside dans le commandement prescrivant qu’« un homme doit y être joyeux jusqu’à ne plus distinguer la différence entre “Béni soit Mordekhaï” et “Maudit soit Haman” », c’est-à-dire aller au-delà de la rationalité, au-delà de la connaissance et de ses limites. Ainsi, Pourim représente l’introduction dans le monde de la semaine et du travail, du « dépassement de toutes les limites ». C’est l’infini au cœur du fini.

Ainsi l’association de Vayakhel et de Pekoudei, de la préparation humaine et de la réponse divine, symbolise la rencontre de l’intemporalité et du temps, l’association de D.ieu et de l’homme. C’est à la fois le prélude et la préparation à la révélation future, quand, selon les paroles d’Isaïe, « Je ferai tes fenêtres en agate (kadkhod) »,8 ce sur quoi le Talmud9 commente : « Le Saint béni soit-Il a dit... : “Que ce soit comme celui-ci et comme celui-ci (kaden vekaden)” » – quand l’homme et D.ieu ne font qu’un.

4. Le commandement et l’accomplissement

Une autre implication de la jonction des deux Parachas est celle-ci : entre le commandement de D.ieu à Moïse (dans Térouma et Tétsavé) et le commandement de Moïse aux enfants d’Israël et leur réponse (dans Vayakhel et Pekoudei), les événements de Ki Tissa et du Veau d’or peuvent s’interposer. Mais dès lors que le commandement est entré dans le monde à travers Moïse (dans Vayakhel), rien ne peut plus empêcher son accomplissement immédiat (dans Pekoudei).

Même quand elles ne sont pas lues ensemble, même quand le mauvais penchant crée un fossé entre le commandement et son accomplissement, l’interruption n’a pas de substance, rien de nouveau qui puisse constituer une distraction. Une fois que Moïse, ou ses successeurs dans chaque génération,10 ont révélé le commandement, son accomplissement est assuré. Le commandement lui-même est une promesse de réalisation, et une assurance que « la gloire de D.ieu remplira le Sanctuaire ».

(Source : Likoutei Si’hot vol. 3, p. 933-936)