La Haftara de cette paracha (Rois I 18,1-39) fait le récit de la célèbre confrontation entre Élie et les prophètes de Baal. Mais l’accusation d’Élie est davantage portée contre le peuple juif pour son indécision que contre les « prophètes » pour leur idolâtrie. Il les mit au défi à travers sa question : « Jusqu’à quand hésiterez-vous entre deux opinions ? » Pourquoi, cependant, ne s’adressa-t-il pas à des hommes partagés entre deux camps plutôt qu’à ceux qui étaient franchement opposés au judaïsme ? Dans ce discours, le Rabbi examine les deux péchés : celui de l’hésitation et celui de l’idolâtrie, et il montre comment l’hésitation mène à trahir les valeurs religieuses, et les formes qu’elle prend dans la société moderne.
1. Le défi d’Élie
La Haftara de la parachat Ki Tissa relate la façon dont le prophète Élie affronta une période troublée de l’histoire juive, une situation engendrée comme toujours par la confusion mentale et l’imprécision idéologique. Il réunit les prophètes de Baal et le peuple juif, et il leur demanda : « Jusqu’à quand hésiterez-vous entre deux opinions ? »1
Mais pourquoi leur demanda-t-il cela ? Il eut été plus approprié de demander : « Jusqu’à quand adorerez-vous Baal ? Le moment est venu d’arrêter et de dire : “C’est l’Éternel qui est D.ieu.” »2
Pour comprendre l’intention d’Élie, nous devons commencer par examiner la différence entre l’idolâtrie et l’hésitation.
2. Les racines de l’idolâtrie
Il est en soi difficile de comprendre comment un Juif peut se tourner vers l’idolâtrie. Les Juifs sont appelés « croyants, enfants de croyants ». Leur nature même exclut la possibilité d’une véritable négation de D.ieu.
Maïmonide3 attribue l’origine de l’idolâtrie au fait que l’énergie créatrice par laquelle D.ieu maintient l’univers en existence est véhiculée par des forces naturelles : les étoiles et les planètes. L’idolâtrie commence quand ces intermédiaires sont considérés comme les maîtres de la destinée humaine et deviennent ainsi l’objet d’un culte, alors qu’ils ne sont en réalité que les instruments de D.ieu, et n’ont aucun pouvoir en eux-mêmes. Ils sont comme « la hache dans la main du bûcheron ».
La ‘Hassidout4 explique la différence entre des parents et les influences planétaires. Les uns et les autres semblent être des causes de notre existence. Pourtant, il nous est commandé d’honorer nos parents et défendu d’adorer les étoiles. La raison de cette différence est que les parents sont dotés du libre arbitre : ils sont responsables de la naissance de leurs enfants, et doivent donc être honorés. En revanche, les astres et leurs mouvements sont déterminés. Ils n’ont pas le choix. Ce n’est pas envers eux que notre gratitude doit être dirigée, mais vers Celui qui les a créés.
L’idolâtrie, dès lors, est le fait de confondre l’intermédiaire avec la source. C’est l’un des péchés les plus graves, au point où le Talmud déclare : « L’idolâtrie est un péché si grave que la rejeter équivaut à s’engager envers la Torah entière. »5 La motivation à pratiquer l’idolâtrie est l’idée fausse selon laquelle on reçoit des bienfaits matériels si l’on se concilie des forces naturelles. Ainsi l’idolâtrie est, par essence, une démarche intéressée. C’est la raison pour laquelle un Juif peut y être attiré. Ce n’est pas l’idolâtrie en elle-même qui l’intéresse. Elle n’est pour lui qu’un moyen de parvenir à ses objectifs personnels. Tandis que lorsqu’il sert D.ieu, il le fait « non pas dans le but de recevoir une récompense »,6 mais pour D.ieu Lui-même, et d’un cœur entier. Le désir d’une récompense matérielle est au cœur de l’adoration de Baal, comme l’expriment les paroles des idolâtres à Jérémie : « Depuis que nous avons cessé de brûler de l’encens [aux idoles]... nous avons manqué de tout, et nous avons été décimés par le glaive et la famine. »7
3. La nature de l’hésitation
Malgré cette caractérisation générale de l’idolâtrie comme la tentative d’influencer la nature en vouant un culte aux forces naturelles, il existe une différence entre l’idolâtrie proprement dite et « l’hésitation entre deux opinions ».
L’idolâtrie implique la croyance véritable que les objets d’adoration, les étoiles et les planètes, sont la source du bien-être matériel. La personne en proie à l’hésitation, en revanche, est dans le doute. Il lui arrive de ressentir que l’idolâtrie est fondée sur une illusion. Ou bien elle croit que D.ieu et les forces de la nature sont partenaires. Elle croit aux deux, et que les deux doivent être adorés. Cependant l’idolâtrie, même sous cette forme atténuée, et même si elle est seulement exprimée en parole ou en actes, sans aucun engagement intérieur, est un péché si grave qu’il est dans la nature du Juif d’être prêt à sacrifier sa vie plutôt que de s’y adonner.8
4. Des niveaux de trahison
À beaucoup d’égards, l’hésitation est même pire que la véritable idolâtrie. Certes, celle-ci est en soi l’acte le plus grave. Elle implique la négation absolue de D.ieu, l’opposition totale au judaïsme. Mais il est plus difficile à l’esprit hésitant de revenir au judaïsme, ou de faire en sorte que son retour soit sincère et total.
Il y a à cela deux raisons.
D’abord, quand celui qui croit véritablement en l’idolâtrie prend conscience que « l’Éternel est D.ieu », il mesure à quel point il s’était fourvoyé. Il ressent l’étendue de son péché. Son repentir est profond. « Il revient et il est guéri. »
Mais l’hésitant ne parvient pas à cette vision. Il se justifie. Il dit : « Je n’ai pas renié ma foi, j’ai seulement douté. Et mon doute était seulement superficiel. En réalité j’étais, comme tous les Juifs, un croyant. » Ses excuses le protègent du remords, de sorte que son retour à la foi est incomplet.9
Ensuite, bien que l’idolâtre soit coupable d’une grave erreur de jugement en substituant Baal à D.ieu, et en rompant de la sorte sa relation avec D.ieu, il est néanmoins ouvert à une forme de spiritualité. Tandis que celui qui flotte entre deux opinions s’est complètement extrait du spirituel. Bien qu’il sache que « l’Éternel est D.ieu », il est prêt à L’abandonner pour un profit matériel. Il est prêt à troquer « la source d’eau vive » contre « des citernes crevassées qui ne peuvent retenir les eaux ».10
Ainsi, quand ils se rendent compte de leur erreur, leurs réactions respectives sont différentes. L’idolâtre, encore capable de spiritualité, fera de son retour un acte spirituel. Mais l’hésitant reviendra pour la mauvaise raison. Il voulait des bienfaits matériels. Il a fait un mauvais calcul en estimant que les forces naturelles pouvaient, en elles-mêmes, les lui procurer. Alors il se tourne vers D.ieu, mais toujours en quête de son profit matériel.
5. Le soi et les autres
Jusqu’ici nous n’avons seulement évoqué la personne elle-même. Mais l’hésitation est pire que l’idolâtrie d’un autre point de vue encore : dans ses effets sur autrui.
L’idolâtre convaincu n’influencera pas le Juif croyant, parce que son opposition à la foi véritable est évidente et de ce fait, l’isole. Tandis que celui qui oscille entre deux opinions est, en partie, encore un croyant. Il peut égarer les autres, et le fait d’« entraîner un grand nombre au péché » est en soi le plus grave des péchés.
6. Loyautés partagées et le présent
Le Talmud11 enseigne que l’élan du « Mauvais penchant » pour l’idolâtrie a été supprimé. Mais sa tendance à l’hésitation, qu’elle soit manifeste ou sous des formes plus subtiles, est de nos jours bien plus forte que sa tendance à l’idolâtrie.
Il y a ceux qui se détachent temporairement de la Torah et des commandements en quête de bienfaits matériels : argent, honneurs, rang social. Ils mettent D.ieu et la loi de côté pour ne pas paraître archaïques. Ils suivent le mot d’ordre du monde occidental, selon lequel les règles doivent être assouplies, les traditions abandonnées, pourvu qu’on adhère au soi-disant « esprit du temps ». Ils sont prêts à vendre temporairement D.ieu et leurs âmes pour un statut éphémère, ou pour de l’argent qui (parce qu’il ne leur est pas venu par une bénédiction divine) les quitte rapidement sous forme d’honoraires de médecins ou de psychothérapeutes.
Cette hésitation, cet esprit dédoublé, est pire que l’idolâtrie, comme nous l’avons vu.
Premièrement : Il est plus difficile de s’en défaire et de revenir sincèrement vers D.ieu, parce que l’esprit divisé se cache à soi-même le fait qu’il a péché. Il est capable de pensée rationnelle ; il peut se convaincre que d’un point de vue général, il est un bon Juif. Qu’y a-t-il de si grave – se dit-il – à outrepasser quelques règles de temps à autre pour gagner sa vie ?
Deuxièmement : Son intégrité est détruite. Il a vendu l’esprit pour le monde matériel. Il a troqué l’éternité contre le moment éphémère. Il échanger le Monde futur contre l’éclat de l’argent et l’ombre des honneurs.
Troisièmement : Il entraîne les autres dans le péché. S’il reniait ouvertement le judaïsme, il perdrait sa relation avec le milieu juif. Mais il dissimule son opposition sous le masque de la loyauté. Pour sa défense, il va jusqu’à citer la Torah. Il s’insinue dans la communauté et égare ses semblables.
7. Le chemin du retour
Telle est le sens de la Haftara. La question essentielle adressée au Juif est : « Jusqu’à quand hésiterez-vous entre deux opinions ? » S’asseoir sur la barrière est pire que passer de l’autre côté.
À la fin de la Haftara, nous lisons que les Juifs se repentirent et dirent : « L’Éternel est D.ieu ; l’Éternel est D.ieu. » Cela dépassa même la révélation au Sinaï quand il fut dit seulement une fois : « Je suis l’Éternel, ton D.ieu ».12 Car le repentir élève spirituellement le Juif plus haut que ne l’était son niveau avant d’avoir péché.
Telle est l’implication claire pour aujourd’hui. Le besoin est de revenir à D.ieu, et d’atteindre à nouveau les hauteurs de l’esprit.
Tous les Juifs sont liés les uns aux autres.13 Et la lumière de ceux qui reviennent à leur source atteindra ceux qu’ils ont induits à pécher. D.ieu répondra à cela avec compassion et miséricorde. Et aussi bien les leaders que les suivants seront pris ensemble dans un mouvement général de retour, dans une voix unifiée qui proclamera : « L’Éternel est D.ieu ; l’Éternel est D.ieu. »
(Source : Likoutei Si’hot, vol. 1, p. 183-187)
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