La Parachat Vayéchev, et la suivante, celle de Mikets, ont un thème commun : les rêves. Dans Vayéchev, les rêves de Joseph nous sont relatés, et dans Mikets, ceux de Pharaon. Chacun d’eux a rêvé deux fois et, dans chaque cas, les deux rêves avaient la même signification, transmise sous des symboles différents. Quelle était la différence entre les rêves de Joseph et ceux de Pharaon ? Pourquoi chacun d’eux rêva-t-il deux fois la même chose ? Et que signifie leur symbolisme ? Ce sont les questions que le Rabbi pose dans ce discours et auxquelles il répond en fonction de la recherche de la voie vers D.ieu, à laquelle se livre le Juif des temps présents.
1. Deux rêveurs et quatre rêves
Au début de notre Paracha, il est question des deux rêves de Joseph.1 Les deux avaient la même signification : que Joseph dominerait ses frères, et que ceux-ci reconnaîtraient sa suprématie. Le second rêve ajoutait simplement que « le soleil et la lune » – Jacob et Bilha – s’associeraient à cette reconnaissance.
Il y a un parallélisme frappant entre cette Paracha et la suivante (Mikets), qui relate les deux rêves de Pharaon,2 qui avaient aussi la même signification. Mais dans le cas de Pharaon, la Torah donne la raison pour laquelle deux rêves étaient nécessaires : « Parce que la chose est établie par D.ieu, et que D.ieu Se hâtera de l’exécuter. »3 S’agissant des rêves de Joseph, aucune explication n’est donnée de leur répétition ; l’information complémentaire qu’apporte le second de ces rêves aurait pu être suggérée dans le premier. Force nous est donc de conclure que les deux rêves de Joseph, pour semblables qu’ils soient dans leur signification, font allusion à deux choses différentes.
Quelles sont-elles ? Et dans la mesure où les actions des Pères furent un signe et une leçon pour leurs descendants,4 quelles sont leurs implications pour nous ? Car les actions de Joseph sont comprises dans les actions des Pères, puisqu’il a fait fructifier l’œuvre de Jacob dans le monde, comme suggéré dans le verset : « Voici la postérité de Jacob : Joseph... »5
2. Les gerbes et les étoiles
Les deux rêves de Joseph sont différents en ceci : le premier traite des choses de la terre : « Et voici, nous sommes à lier des gerbes au milieu du champ », tandis que le second concerne les cieux : « Le soleil, et la lune, et onze étoiles ».
D’un autre côté, les rêves de Pharaon ont tous deux un symbolisme terrestre qui rétrograde du domaine animal (les sept vaches) au domaine végétal (les sept épis de blé). En effet, Pharaon n’avait aucun lien avec le ciel. Et alors que ses rêves accusent une régression, ceux de Joseph marquent une élévation dans la sainteté.6
La distinction entre Joseph et Pharaon exprime l’une des caractéristiques du Juif, qui est d’être simultanément engagé dans le matériel et le spirituel, dans ce monde et dans le monde futur. Comme le dit le précédent Rabbi de Loubavitch7 lorsqu’il fut arrêté en Russie en 1927 et que l’un des agents qui l’interrogeaient le menaça de son revolver : « Les hommes qui ont beaucoup de dieux et un seul monde sont effrayés par un revolver ; un homme qui a un seul D.ieu et deux mondes n’a rien à craindre. » Ces deux mondes ne sont pas séparés dans le temps – une réalité présente et un au-delà futur. Non, le Juif est lié à une réalité spirituelle supérieure même en étant au sein de ce monde-ci. Il se tient sur « une échelle qui s’appuie sur la terre et dont le sommet atteint le ciel »,8 et dans l’accomplissement de son service de D.ieu, il s’élève constamment du profane (la « terre ») vers le plus hautement spirituel (le « ciel »).
3. Deux mondes à l’intérieur d’un seul
La Torah est précise, et chaque détail de celle-ci contient une leçon en rapport avec la conduite de notre vie.9 Le fait que les rêves de Joseph évoquèrent deux mondes (la terre et le ciel) tout en n’ayant qu’une seule signification enseigne que le Juif doit fusionner son double engagement – avec le matériel et le spirituel – en un seul. Non seulement ne doit-il y avoir aucune tension entre ces deux mondes, mais le matériel doit contribuer à sa vie spirituelle, jusqu’à en être lui-même spiritualisé.10
L’idée que les actes physiques tels que manger et boire sont dirigés vers D.ieu est naturelle à chaque Juif. On raconte une histoire11 au sujet du Rabbi Maharach12 : ses deux fils, encore tout jeunes discutaient une fois avec lui des vertus particulières du Juif. Pour démontrer son propos, le Rabbi demanda à leur employé de maison :
– Bentsion, as-tu mangé ?
– Oui, répondit celui-ci.
– As-tu bien mangé ?
– Je suis satisfait, D.ieu merci.
– Pourquoi as-tu mangé ?
– Pour vivre.
– Pourquoi vis-tu ?
– Pour être Juif et faire ce que D.ieu désire.
Disant cela, Bentsion soupira.
Plus tard, le Rabbi Maharach dit à ses enfants : « Voyez-vous, un Juif, par nature, mange pour vivre, et vit pour être un Juif et faire ce que D.ieu lui a demandé. Pourtant, il soupire parce qu’il n’a pas encore atteint la vérité suprême. ».
Du fait que le Juif a une intention spirituelle dans chacun de ses actes physiques, les actes eux-mêmes se trouvent spiritualisés. Selon les paroles du Baal Chem Tov : « Là où résident les désirs d’un homme, c’est là qu’il se trouve. »13
4. La signification des gerbes
Telle est ainsi la signification du fait que Joseph fit deux rêves. Quelle est donc celle de leurs contenus respectifs ?
Le premier rêve commence par : « Nous étions en train de lier des gerbes au milieu d’un champ. » C’est-à-dire qu’il commence par le travail, une activité totalement absente des rêves de Pharaon. Dans le domaine du mal, le travail (c’est-à-dire la avoda, l’effort investi dans le service de D.ieu) peut être absent, comme il est écrit : « Nous mangions gratuitement en Égypte » (c’est-à-dire sans l’effort des Mitsvot).14 En revanche, les récompenses de la sainteté (les émanations du Divin) viennent seulement par l’effort. C’est ainsi que l’élévation du Juif sur l’échelle menant de la terre au ciel doit – dès le commencement – comporter le travail consistant à consacrer ses actes physiques à la sainteté.
La nature de ce travail – comme dans le rêve de Joseph – est de lier des gerbes.15 Nous naissons dans un monde d’occultation qui est comme un champ, dans lequel les choses et les gens, tels des épis de blé, poussent séparément et vivent chacun pour soi. Chez l’homme, cette orientation vers soi-même est appelée « l’âme animale », qui crée la distinction et la séparation. Et le Juif doit aller au-delà de celle-ci, et lier ensemble, comme des gerbes, les nombreuses facettes de son être en un service de D.ieu unifié, un service qui transcende le soi et la séparation.
Dans le rêve, les gerbes, une fois liées, s’inclinèrent devant la gerbe de Joseph. Ainsi, pour nous, le stade suivant de notre service doit être de nous « incliner », de marquer notre soumission à ce qui est plus haut que nous. Les Juifs forment une unité, ils sont comme les membres d’un même corps.16 Et de même qu’un corps n’est coordonné que lorsque ses muscles agissent en réponse au système nerveux du cerveau, la santé spirituelle du corps collectif des Juifs dépend de leur aptitude de répondre à leur « tête », qui est le chef spirituel de la génération.17 C’est la tête qui dirige le corps, de sorte que ses membres agissent en harmonie vers leur but.
De fait, dans la dimension intérieure, cette soumission précède l’acte d’unifier notre existence dans le service de D.ieu. Cette capacité de « lier ensemble » les facettes de l’individu et du peuple juif découle de notre soumission profonde au chef spirituel de la génération. Toutefois, la manifestation extérieure de ce service suit l’ordre du rêve de Joseph : d’abord « lier », ensuite la soumission.
5. La signification des étoiles
Mais nous sommes ici au niveau du premier rêve de Joseph. À ce niveau, le service est encore confiné à la « terre », aux limites de l’existence physique. Le Juif doit encore transcender ces contraintes par l’acte de la Téchouva (« repentance », ou plus exactement « retour »). Le véritable processus de la Téchouva se produit quand « l’esprit retourne à D.ieu qui l’a donné »18 – c’est-à-dire quand l’âme du Juif retrouve son état primitif, celui d’avant son incarnation. Cela ne veut pas dire que le corps et l’âme doivent – à D.ieu ne plaise – être séparés, ou que l’existence corporelle doive être niée, mais que le corps doit cesser d’occulter la lumière de l’âme. Là est le but final de la descente de celle-ci dans le corps au sein d’une existence physique : que, sans nier ni fuir ce mode d’existence, l’âme conserve sa proximité directe à D.ieu.
Tel est le sens du second rêve de Joseph. Il parle du Juif qui a déjà dépassé le service confiné à la « terre ». Il a quitté le monde de la « séparation » – l’état où les choses semblent exister de façon autonomes – et il n’a plus besoin de « lier » ensemble les éléments disparates de son être. Son service est désormais entièrement au niveau du « ciel », la voie du retour à l’état premier de l’âme.
Mais l’acte de soumission à la « tête » du corps collectif du peuple juif est répété dans ce rêve (où le soleil, la lune, et onze étoiles se prosternent). Cela implique clairement que cette attitude intérieure de déférence n’est pas limitée au Juif qui travaille encore « dans le champ », mais qu’elle s’étend au Juif qui a déjà « atteint les cieux ». Certes, celui-ci n’a plus besoin d’être guidé pour éviter les occultations et les distorsions de la vision spirituelle qui sont le lot de la vie physique. Mais même à ce niveau, il doit agir en harmonie avec les autres Juifs dans leur sujétion collective à leur chef spirituel.
6. Les barreaux de l’échelle menant au ciel.
Telle est donc la voie tracée pour chaque Juif par les rêves de Joseph. D’abord, il y a « le travail dans le champ », l’effort (avoda) pour unifier un monde d’existences séparées et divisées au sein du service divin (« lier les gerbes »). Et bien que les Juifs soient appelés des « fils de rois »,19 ou même simplement « rois »,20 cela n’implique pas que l’on puisse faire l’économie de cet effort. Car les récompenses de la sainteté doivent être acquise par un travail ici-bas. Et ce sont des récompenses qu’il ne nous est pas possible d’anticiper : elles seront « trouvées », c’est-à-dire qu’elles seront inattendues.21 Le Talmud nous dit22 : « Si un homme te dit : “J’ai travaillé et n’ai pas trouvé [une récompense]”, ne le crois pas. S’il dit : “Je n’ai pas travaillé, mais j’ai quand même trouvé”, ne le crois pas. Mais s’il dit : “J’ai travaillé et j’ai trouvé”, crois-le. »
Ensuite, à tous les niveaux du service divin, il faut qu’il y ait soumission à la « tête » du « corps » du peuple juif.
Enfin, comme il nous est dit dans les Pirkei Avot23 : quand « ta volonté sera annulée (devant Sa volonté) », il en résultera qu’« Il annulera la volonté des autres devant la tienne ». En d’autres termes, les dissimulations de ce monde de pluralité et de séparation (« les autres ») perdront leur puissance, et nous serons ouverts au flot de révélation et de vie spirituelle, toutes choses qui sont la vie de Joseph et de sa droiture.
(Source : Likoutei Si’hot vol. 3, p. 805-810)
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