Dans ce discours, le Rabbi rassemble deux leçons de la paracha de cette semaine, qui sont liées l’une à l’autre : la vertu de Chem et de Yafeth couvrant la nudité de leur père et détournant d’elle leurs yeux, et l’usage d’un long euphémisme à la place du mot « impur », qui enseigne la nécessité de la délicatesse dans le discours. Il résout ensuite le paradoxe du fait que nous devons ne pas remarquer les fautes des autres, mais pourtant nous devons chercher à corriger leurs erreurs.
1. Pureté du discours et de la vision
Sur le verset de la paracha de cette semaine : « D’entre les animaux purs et les animaux qui ne sont pas purs... (ils vinrent deux par deux vers Noé dans l’arche) »,1 le Talmud2 fait le commentaire suivant : « Un homme ne doit jamais émettre une parole disgracieuse, car la Torah s’est évertuée à employer huit lettres supplémentaires ne pas émettre une parole disgracieuse. » Rachi explique que le mot « tamé »3 substitué à la phrase « qui ne sont pas purs », aurait fait l’économie de huit lettres. Et comme la Torah est toujours aussi concise que possible, la formulation élaborée de cette phrase enseigne que le discours doit toujours être soigné.
Outre cette directive sur le discours, la paracha contient également une leçon sur la vision. Chem et Yafeth étaient si attentifs à ne pas poser leur regard sur la nudité de Noé qu’« ils marchèrent à reculons... leurs visages étant détournés, et ils ne virent pas la nudité de leur père ».4 Et la récompense promise souligne leur vertu : « Béni soit l’Éternel, D.ieu de Chem, et que Canaan soit leur esclave ! Que D.ieu fasse prospérer Yafeth et qu’il réside dans les tentes de Chem. »5
Mais ce récit intrigue quelque peu. Du fait que Chem et Yafeth marchèrent à reculons, il est évident qu’ils ne virent pas la nudité de leur père. Pourquoi la Torah ajoute-t-elle ces mots qui sonnent comme un pléonasme : « et ils ne virent pas la nudité de leur père » ?
2. Le miroir qui réfléchit les fautes
Une maxime du Baal Chem Tov dit6 que si un homme voit une faute chez un autre, c’est là le signe qu’il a lui aussi une faute semblable. C’est comme s’il regardait dans un miroir : si le visage qu’il voit n’est pas propre, c’est son propre visage qui est sale.
Dès lors, nous pouvons poser cette question : pourquoi ne pourrait-on pas voir une faute objective chez autrui sans être soi-même en faute ?
La raison en est que la Divine Providence est présente en toute circonstance. Si nous discernons le mal chez quelqu’un, cela aussi a un but divin, qui est de nous montrer nos propres manques que nous nous devons de corriger. Et ceux-ci doivent nous être montrés d’une manière indirecte, car « l’amour couvre toutes les fautes »,7 et l’amour de soi est toujours puissant. L’homme est aveugle devant ses propres défauts ; il faut qu’il les voie chez quelqu’un d’autre pour être contraint de réfléchir sur lui-même, et percevoir ce même défaut dans sa propre vie.
Pourtant le Juif n’a pas pour seul devoir de s’améliorer lui-même. Il doit également chercher à améliorer les autres, ainsi qu’il est dit : « Tu réprimanderas assurément ton prochain »8 et nos Sages commentent : « Même cent fois ».9 Lorsqu’un Juif voit les fautes de son prochain, la Providence n’attend-elle pas de lui qu’il l’aide à les corriger, et pas seulement qu’il réfléchisse à ses propres faiblesses ?
Posons la question avec plus de force : un Juif est une fin en soi, et pas seulement un moyen pouvant servir aux autres. Cela étant, comment pourrait-il nous être demandé d’utiliser un ami à des fins personnelles ? Et ce, sans bénéfice visible pour lui ? Dès lors, peut-être que la raison pour laquelle nous remarquons le défaut chez un ami est-elle uniquement de rechercher son bien, et non pas pour nous faire voir le même défaut chez nous ?
3. Constater et corriger
Pour comprendre cela, nous devons nous référer à la suite de l’enseignement du Talmud cité plus haut : « Un homme ne doit jamais émettre une parole disgracieuse. »
Après avoir répondu à une question relativement secondaire, le Talmud demande : « Mais ne trouvons-nous pas dans la Torah le mot “impur” ? » (C’est-à-dire le terme même qu’il nous a été demandé d’éviter.)
Voilà qui est encore plus étrange, car le mot « tamé » est présent dans la Torah plus d’une centaine de fois ! La question est si évidente qu’elle aurait dû être posée immédiatement, et non après un point comparativement mineur. Le ton même de surprise sur lequel la question est formulée ne paraît pas non plus approprié à une objection aussi directe.
L’explication est que lorsque le texte a pour objet de statuer la loi (la halakha), l’impératif de clarté et de non-ambiguïté l’emporte sur celui de bienséance. C’est pourquoi, dans un tel contexte, le mot « tamé » est alors employé. S’agissant de textes narratifs, en revanche, le souci d’une expression délicate impose le recours à des euphémismes dont la formulation peut être plus longue.
En conséquence, la présence de mots tels que « tamé » dans la Torah ne contredit pas le principe selon lequel nous devons nous efforcer autant que possible d’utiliser une formulation plus délicate. Et si le Talmud soulève ainsi une objection, c’est du fait que « tamé » n’est que très rarement employé dans les sections narratives de la Torah. D’ailleurs, même dans les sections halakhiques, lorsque la loi ne se rapporte pas directement à l’impureté et la mentionne seulement en passant, la Torah emploie aussi l’euphémisme.10
Ceci ne s’applique pas seulement au discours, mais aussi à la vision. En voyant un Juif commettre quelque chose de mal, notre premier souci devrait être de rechercher la « halakha » (c’est-à-dire le devoir) qui s’applique à nous en pareil cas : réprimander notre prochain (bien sûr avec tact et délicatesse) et l’aider à s’amender.
Mais si nous découvrons que nous regardons cette faute non comme quelque chose qui nous concerne nous (c’est-à-dire comme quelque chose auquel il nous appartient de remédier), mais uniquement comme un manquement chez notre prochain (c’est-à-dire quand notre attitude se contente d’être critique et non constructive), c’est là la preuve qu’il s’agit d’un « miroir » et que nous sommes nous-mêmes en faute.
4. La vertu de Chem et Yafeth
Cela explique pourquoi la Torah, après avoir dit que Chem et Yafeth détournèrent leurs visages de Noé, ajoute : « et ils ne virent pas la nudité de leur père. » Elle vient ici souligner que non seulement ils ne le virent pas (physiquement), mais ils ne furent même pas conscient de sa faute en tant que telle. Leur seul souci fut de faire ce qui devait être fait à ce moment (c’est-à-dire le couvrir d’un manteau). Toutefois, ‘Ham, le troisième frère, lui, vit la nudité de son père, trahissant ainsi ses propres défauts.
La morale de ce récit est que non seulement nous ne devons pas parler des manquements des autres (comme ‘Ham lorsqu’il rapporta à ses frères la situation de leur père),11 mais nous ne devons même pas y penser, si ce n’est dans la mesure où il nous appartient de les redresser. Et tout celui qui adopte un tel comportement en partage la récompense : « Béni soit l’Éternel, D.ieu de Chem » et « Que D.ieu fasse prospérer Yafeth », et contribue à l’unité et à l’amour fraternel d’Israël qui fera venir le Machia’h dans le monde, très prochainement.
(Source : Likoutei Si’hot, vol. 10 p. 24-29)
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