Parmi les lois détaillées dans la paracha de Ki Tetsé, il y a une section traitant du divorce. Le Rabbi analyse dans ce discours le concept de divorce tel qu’il s’applique entre les époux, et entre l’homme et D.ieu. Il examine certains paradoxes dans le traité talmudique sur le divorce (Guittine) et dans le nom donné, dans la loi juive, au document qui consomme la séparation. Ces paradoxes ont en commun de suggérer que bien que le divorce soit, extérieurement, une séparation, ce n’est pas là sa véritable nature. La pensée ‘hassidique, avec l’accent qu’elle met sur la découverte de l’essence de D.ieu et de l’homme, se fait devoir de doit percer le cœur de cette question : dans la mesure où l’essence de l’univers est l’unité de D.ieu, la séparation peut-elle être réelle et définitive ?

1. Le rouleau de divorce

Notre paracha mentionne le sujet relatif au divorce1 et elle rappelle le document par lequel s’effectue la séparation : « un rouleau de divorce » (séfer critout). Ce nom représente deux contraires. Le « divorce » comporte l’idée de séparation. C’est pourquoi le document doit être catégorique dans ses termes,2 ne laissant subsister aucun lien entre l’homme et son ex-femme. Le terme « rouleau » implique toutefois qu’il doit se conformer à certaines règles d’un rouleau de la Loi, un Séfer Torah. Il doit, par exemple, être rédigé sur des lignes tracées, et sa longueur doit être plus grande que sa largeur.3 Or, le Séfer Torah est lui-même un symbole d’unité. Dans les termes de Maïmonide,4 : « La Torah entière fut donnée pour établir la paix dans le monde. » Le rouleau de divorce doit, en outre, être rédigé sur une seule feuille, ce qui constitue une autre expression d’« unicité ».5

Le même contraste est implicite dans la coutume selon laquelle le document doit être rédigé en douze lignes « correspondant aux douze lignes qui séparent les quatre premiers livres de la Torah les uns des autres »6 dans un Séfer Torah. Encore une fois nous sommes en présence de l’idée de séparation et encore une fois, nous avons la comparaison avec la Torah, la parole du D.ieu Unique et dispensateur d’unité dans le monde.

2. Mariage et divorce

Le paradoxe du divorce est également apparent dans la connexion entre le divorce et le mariage dans la loi juive.

Le mariage représente, certes, l’idée d’unité et de vie commune : « C’est pourquoi l’homme... s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule et même chair. »7 Cependant, les lois juives du mariage – les trois manières dont il peut être contracté – dérivent du passage même de notre paracha qui traite du divorce.8 Et d’un autre côté, le traité du Talmud consacré au divorce (Guittine) se conclut par une mise en garde contre celui-ci : « l’École de Chammaï dit : un homme ne doit pas divorcer d’avec sa femme, à moins qu’il l’ait trouvée coupable d’impudeur. »9 Même l’École de Hillel, qui donne plus de latitude au mari, le fait seulement en cas de second mariage. Et le Talmud conclut : « Si un homme divorce de sa première épouse, même l’autel du Temple verse des larmes ».10

La même opposition au divorce se rencontre également, de manière indirecte, dans l’ouverture du traité Guittine. Il commence en effet ainsi : « Il est demandé au porteur d’un rouleau de divorce d’un mari résidant en pays étranger (c’est-à-dire hors d’Israël) de déclarer : “En ma présence, il fut rédigé, et en ma présence il fut signé.” »11

C’est là une ouverture fort insolite. L’on se serait attendu à ce que le thème du divorce soit introduit avec des règles de base, telles que les cas où le divorce peut être accordé (ce qui comme nous l’avons vu, conclut le traité), la procédure à employer, et ainsi de suite. Au lieu de cela, nous trouvons comme loi d’ouverture un cas particulier plutôt qu’une règle générale. De plus, celui-ci a trait à un point accessoire : il ne concerne pas le divorce même, mais la règle régissant l’envoi d’un divorce par un messager. C’est, en outre, un cas inhabituel, où un document de divorce est apporté de l’étranger.

L’explication est que, lorsque Rabbi Juda HaNassi compila la Michna, il choisit ce passage particulier pour entamer la description des lois du divorce afin de souligner la véritable nature du divorce. « Le porteur d’un divorce venant d’un pays étranger... » nous dit que le divorce a ses origines dans le « pays étranger » à l’esprit. Sans cela, il n’y aurait pas de séparation entre un mari et sa femme. Par cette phrase d’ouverture du traité, Rabbi Juda fait allusion à l’aspect antinaturel du divorce. Et après en avoir détaillé toutes ses lois, il nous rappelle dans le paragraphe de conclusion (de la Michna de Guittine) que, malgré tout, « un homme ne doit pas divorcer d’avec sa femme, à moins que... ».

3. Israël et D.ieu

Tout cela a une signification spirituelle plus large. Le mariage d’un homme et d’une femme est une métaphore de la relation entre D.ieu et Israël.12 Au Sinaï, le lien entre eux fut forgé. Nous employons la même terminologie pour décrire les commandements de D.ieu et le vœu de mariage : « Qui nous a consacrés avec Ses commandements », et « Voici, tu m’es consacrée par cet anneau, conformément à la Loi de Moïse et d’Israël. »13

Par la suite, dans l’exil, Israël vécut l’équivalent du divorce d’avec D.ieu. Le Talmud14 fait le récit de comment les prophètes demandèrent à la communauté d’Israël de se repentir et de revenir à D.ieu. Celle-ci répondit : « Si un homme divorce d’avec sa femme, peut-il avoir une réclamation à son égard ? » Cette réponse, selon laquelle D.ieu ayant divorcé d’Israël en l’envoyant en exil ne peut en revendiquer la loyauté, est qualifiée par le Talmud de « réponse victorieuse ».

Mais comment pouvait-elle être victorieuse ? Le Talmud lui-même conclut différemment, en citant Isaïe : « Ainsi parle l’Éternel : “Où est le rouleau de divorce par lequel J’ai répudié votre mère ?” »15 Et en effet comment pourrait-il y avoir divorce entre D.ieu et Israël ? La loi est que le divorce est consommé seulement quand le rouleau a été remis, quittant la possession du mari et devenant la propriété de la femme. Or, rien ne peut quitter la possession de D.ieu, l’univers Lui appartient.

La réponse se trouve dans le début du traité qui dit que le divorce a sa source dans « le pays étranger » à l’esprit. Car D.ieu habite le « pays étranger », le domaine qui dépasse notre compréhension. Et parfois, à nos yeux, Il paraît éloigné. C’est alors que la possibilité d’une séparation se forme dans nos esprits, séparation entre l’homme et D.ieu (et entre un mari et sa femme).

Mais, en réalité, il n’en est pas ainsi. Car lorsque D.ieu dit « Je cacherai sûrement Ma face»,16 Il exprimait la vérité selon laquelle même quand Sa face est cachée, nous pouvons toujours découvrir le « Je », l’Essence. Le divorce entre D.ieu et Israël n’est qu’une apparence. En réalité, c’est un lien qui n’est jamais brisé.

4. Dans un pays étranger

Le départ apparent de D.ieu pour un « pays étranger » est le résultat du départ même d’Israël. Car tous les événements du domaine de l’esprit sont une conséquence de ce que nous faisons ici-bas.

« Un pays étranger » signifie, dans le contexte du Talmud, un lieu éloigné de la terre d’Israël, et qui présente certaines difficultés de passage vers celle-ci : la nécessité de traverser une mer, ou quelque chose de semblable.17

Pour traduire cela en termes de spiritualité : la terre d’Israël, pays de la grâce divine, représente le désir et la volonté de D.ieu.18 Et quand un homme est éloigné de cette volonté, et qu’il y a des obstacles entre lui et elle (son esprit et son cœur ne peuvent franchir la mer qui les sépare), il est alors en « pays étranger ». C’est le point où D.ieu, Lui aussi, s’éloigne. Car lorsqu’un homme s’éloigne de D.ieu, D.ieu s’éloigne de lui.

5. Le messager

Peut-être pourrions-nous alors imaginer que si D.ieu peut cacher Sa face et S’éloigner dans un « pays étranger » hors de portée de l’homme, Il peut répudier son peuple jusqu’au divorce, à D.ieu ne plaise.

Mais à l’encontre de cela, la Michna nous dit : « Le porteur d’un divorce, venu d’un pays étranger, doit déclarer : “En ma présence il fut rédigé ; en ma présence il fut signé.” » En d’autres termes, le porteur doit attester qu’il n’est pas lui-même le mari, mais seulement son messager.

En termes d’histoire et de spiritualité, cela signifie que les puissances étrangères qui ont vaincu Israël et l’on envoyé en exil sont en fin de compte elles-mêmes conscientes qu’elles ne sont que les messagères de D.ieu, qu’elles ne peuvent, en définitive, exercer aucune souveraineté sur Israël, qui demeure encore et toujours le propre peuple de D.ieu. En conséquence, le document de divorce n’a réellement jamais quitté la possession du « mari », et n’est pas un véritable divorce.

6. Le mariage saint

Nous avons découvert deux faits concernant la relation entre D.ieu et Israël : extérieurement, D.ieu a divorcé d’avec Israël ; et intérieurement, leur lien demeure intact. Pour comprendre davantage cela, nous devons expliquer la nature de leur mariage.

Dans le mariage juif, bien que ce soit le mari qui consacre la femme à lui-même, et non l’inverse,19 cela ne peut avoir lieu qu’avec la connaissance et le consentement de la femme.20 Au Sinaï, lors du mariage saint de D.ieu avec Sa nation, D.ieu révéla Son amour pour Israël afin d’éveiller leur amour pour Lui,21 un amour qui s’exprima dans leurs célèbres paroles d’engagement : « Nous ferons et nous écouterons. » Même si l’initiative de cet amour revint à D.ieu, il prit racine dans l’âme des Israélites jusqu’à devenir le fait essentiel de leur existence. Si bien que, comme l’écrit Maïmonide22 (dans ses Lois du divorce), chaque Juif « désire accomplir chaque commandement et se tenir éloigné de toute transgression » et il ne pèche que lorsque ce désir essentiel est masqué par quelque inclination impérieuse. L’amour du Juif pour D.ieu est constant. Il peut être momentanément éclipsé, mais, même dissimulé, il continue de brûler. Tel est également l’amour de D.ieu pour Israël. L’ombre de l’exil peut éclipser cet amour, mais elle ne l’éteint pas.

Ainsi l’exil n’est pas le divorce, seulement la dissimulation de l’amour. C’est pourquoi quand l’exil prendra fin et que l’amour se révélera à nouveau, D.ieu et Israël n’auront pas besoin d’un nouveau Sinaï, d’un second mariage. Car le premier n’a jamais pris fin.

7. L’amour extérieur et intérieur

Il y a un autre point, plus profond. Nous l’avons dit, l’exil d’Israël d’avec D.ieu est seulement une apparence, non une réalité. Mais il y a plus : l’exil révèle même un amour plus profond entre eux. Avant la séparation, il eût été possible de supposer que l’amour de D.ieu dépendît d’une condition : l’obéissance d’Israël à Sa volonté. Mais en exil, le chagrin de D.ieu (« même l’autel du Temple verse des larmes ») exprime un amour inconditionnel, un amour qui appartient à l’essence tant de D.ieu que du Juif.

Ainsi le traité Guittine se conclut avec ces mots : « Elle est Ta compagne et l’épouse de Ton alliance », 23 afin de montrer qu’en dernière analyse le divorce apparent d’Israël d’avec D.ieu a pour seul but de révéler qu’elle est invariablement « l’épouse de Son alliance ».

8. Le sens de l’exil

Nous voyons maintenant la signification du fait suivant : bien qu’un Séfer Torah puisse être rédigé sur plusieurs feuilles de parchemin cousues ensemble, un divorce doit l’être sur une feuille unique.

Car l’exil, ce divorce apparent, manifeste une unité entre D.ieu et l’homme plus grande encore que ce le Don de la Torah exprima.

Le Sinaï fut le théâtre d’un amour révélé. Mais la révélation est sujette aux changements induits par le temps. Dans l’exil demeure l’amour essentiel, lequel, bien qu’il puisse quelquefois être caché, est constant et toujours vivace.

C’est la raison pour laquelle le passage sur le divorce de la paracha Ki Tetsé est toujours lu au cours des Sept Semaines de Consolation, après le 9 Av.

Cela montre que l’abandon apparent d’Israël par D.ieu n’est pas réel ; qu’au contraire, il nous conduit vers un pacte d’amour plus intérieur et plus durable. Et de même que le Talmud fait suivre son traité sur le divorce par celui sur le mariage (Kiddouchine), notre exil spirituel sera suivi par une expression révélée de l’amour essentiel entre Israël et D.ieu.

(Source : Likoutei Si’hot, vol. 9, p. 143-151)