La paracha ‘Houkat commence avec le compte rendu relatif à la Génisse Rousse ; une étrange pratique dont l’objet était la purification de ceux qu’avaient contaminé le contact avec un mort. La génisse était brûlée, et avec ses cendres mélangées à de l’eau, étaient aspergés ceux qui avaient été souillés. Mais le paradoxe est que tout en purifiant ceux-ci, elles rendaient impurs tous ceux qui avaient pris part à leur préparation. Aussi cette disposition légale est-elle appelée, dans le second verset de la paracha, une ‘Houka (« ordonnance ») – terme technique signifiant « une loi pour laquelle aucune raison ne peut être donnée ». Rachi donne cette explication à ce mot ; mais son commentaire comporte certains traits insolites que le Rabbi souligne d’abord dans ce discours, pour les expliquer ensuite, montrant ainsi que la ‘Houka est intelligible seulement si nous y distinguons deux sortes.

1. Analyse du commentaire de Rachi

« Et l’Éternel parla à Moïse et à Aaron, et dit : Voici l’ordonnance (‘Houka) de la Torah, que D.ieu a prescrite... »1

Rachi interprète la phrase « Voici l’ordonnance de la Loi » de la façon suivante :

« Parce que le Satan et les nations du monde provoquent Israël en disant : “Quel est le sens de ce commandement qui vous est prescrit, et quelle est sa raison ?”, pour cela, elle est décrite comme une ordonnance - c’est un décret à propos duquel vous n’avez aucun droit de vous livrer à aucune spéculation. »

Cependant, cette interprétation soulève plusieurs questions.

1) Des termes de Rachi – « ...pour cela, elle est décrite comme une ordonnance » — il apparaît que son propos n’était pas d’expliquer le sens du mot « ordonnance » lui-même, ce qu’il a déjà fait précédemment en diverses occasions.2 (Et même s’il ne l’a pas fait précédemment dans le Livre de Bamidbar, ce n’est pas comme s’il soupçonnait les lecteurs de son commentaire d’avoir oublié son explication antérieure, parce que le mot « ordonnance » se rencontre auparavant dans Bamidbar3 et Rachi ne s’y arrête point). Rachi veut plutôt expliquer le fait que ce mot paraît superflu, étant donné que la phrase « voici la loi » eût été suffisante.

Et s’il en est ainsi, puisque le lecteur connaît déjà la signification du mot « ordonnance », une brève explication aurait été utile. Dès lors, pourquoi Rachi ajoute-t-il, abondamment, les commentaires sur Satan et les nations du monde, commentaires qu’il a fait précédemment à plusieurs reprises ?

2) De plus, il y a quelques différences entre la réponse de Rachi ici et celle faite par lui antérieurement qu’il est nécessaire de comprendre :

  1. Dans les commentaires antérieurs, l’agent provocateur est désigné comme étant « l’inclination au mal » (yétser hara) ; ici, c’est « Satan »,
  2. Dans les passages antérieurs, il est représenté comme « soulevant des objections »4 ou « chicanant »5 ; ici, comme « provoquant ».
  3. Dans un commentaire précédent, il est dit qu’il est interdit de « s’exempter soi-même »6 de l’observance des ordonnances ; ici, qu’il est interdit de « spéculer » à leur propos.

3) Si notre raisonnement précédent est correct, le commentaire de Rachi s’applique seulement au caractère apparemment superflu du mot « ordonnance ». Alors pourquoi citer « voici [l’ordonnance] de la loi »,7 comme si Rachi avait l’intention d’expliquer toute la phrase ?

2. Dans les limites de la raison, et au-delà

En voici l’explication : l’énoncé de la phrase « voici l’ordonnance de la Loi » suggère que la loi relative à la Génisse Rousse est la seule ordonnance de la Torah. Certes, il y en a d’autres (mentionnées comme telles par Rachi), par exemple l’interdiction de manger la viande de porc, ou de porter de vêtements faits de laine et de lin.8 Aussi sommes-nous obligés de dire qu’il y a une catégorie spéciale d’ordonnances, dont celle de la Génisse Rousse est l’unique exemple.

Il y aurait donc deux espèces d’ordonnances :

  1. Celles qui pourraient en principe, être appréhendées par l’intelligence humaine, mais dont les détails sont au-delà de notre entendement.
  2. Celles qui sont entièrement au-delà de notre compréhension.

La phrase « voici l’ordonnance de la Loi » est donc censée indiquer que la loi sur la Génisse Rousse est seule à appartenir à la seconde catégorie. C’est pourquoi, quand Rachi donne des exemples d’ordonnances, dans Vayikra,9 il mentionne les interdits touchant la viande de porc, les vêtements faits d’un mélange de laine et de lin, et les eaux de purification, mais il n’y inclut pas la Génisse Rousse, celle-ci appartenant à une catégorie tout à fait séparée.

Les « eaux de purification » (de l’eau mélangée aux cendres de la Génisse Rousse) sont une chose dont le principe peut être appréhendé rationnellement. Car, de même que la purification par immersion dans un Mikvé est une notion que Rachi ne classe jamais parmi les « ordonnances » – pour la raison qu’il est parfaitement raisonnable que les eaux du Mikvé aient le pouvoir de purifier spirituellement –, ainsi, les « eaux de purification » peuvent avoir le même effet. Leur seule différence réside dans le détail que seulement quelques gouttes de ces dernières suffisent à purifier, alors que le Mikvé requiert l’immersion totale.

Par conséquent, les eaux appartiennent à la première catégorie d’ordonnances : les décrets qui sont partiellement intelligibles. Mais les lois sur la Génisse Rousse elle-même sont entièrement au-delà de notre compréhension. Elle ne peut être considérée simplement comme une sorte d’holocauste, puisque :

1) Aucune partie de la Génisse Rousse n’était offerte sur l’autel.

2) Toutes les opérations relatives à la Génisse Rousse devaient être effectuées « en dehors des trois camps »10 ; tandis que toutes les offrandes y étaient faites spécifiquement à l’intérieur.

3) La Génisse Rousse n’est même pas analogue au bouc d’Azazel11 qui (à part le fait que ses préliminaires avaient lieu à l’intérieur du camp) était une chose pour laquelle une explication partielle était donnée (« et le bouc emportera sur lui toutes leurs iniquités dans une terre désolée »12 ).

Et la Génisse Rousse comporte les détails exceptionnels suivants, détails que le bouc ne présentait point :

1) Elle devait être portée au dehors par le Grand-Prêtre en second.13

2) Son sang devait être répandu sept fois vers l’entrée de la Tente d’Assignation.14

3) Elle était appelée « une offrande expiatoire », afin de montrer qu’elle était semblable aux choses saintes.15

Bref, la Génisse Rousse n’appartient pas à la première catégorie, car elle ne peut être comprise, même partiellement.

3. D.ieu et l’homme

À la lumière de ce qui précède, nous pouvons comprendre pourquoi Rachi emploie ici des expressions (« Satan » opposé à « l’inclination au mal » ; « provoquer » au lieu de « soulever des objections » ; et « interdit de spéculer » au lieu de « s’exempter soi-même ») qui ne figurent pas dans ses autres explications du mot « ordonnance ».

Il est évident que l’intelligence divine surpasse celle de l’homme ; ainsi, quand Il nous dit qu’un commandement donné ne peut être humainement compris, l’inclination au mal n’a aucune possibilité d’arguer de son inintelligibilité, que ce commandement n’est point divin. Car, comment l’homme fini pourrait-il comprendre le D.ieu Infini ?

Mais quand un commandement est partiellement ouvert à la compréhension humaine, l’inclination au mal et les nations du monde ont quelque motif (encore que fallacieux) pour « discuter » ou « objecter » qu’il n’est pas divin. Car, diraient-ils, comment D.ieu peut-Il prescrire quelque chose qui, d’une côté serait accessible à la raison humaine, et d’un autre côté lui serait inaccessible ? Elles en concluraient que ce commandement n’est pas divin, et que, par conséquent, il ne lie point les Juifs.

Mais étant donné que la Génisse Rousse est complètement inaccessible à la raison, elle ne peut être « réfutée » par l’inclination au mal ou par les nations du monde. Tout ce qu’elles peuvent faire c’est de « provoquer » les Juifs en disant : « Quelle signification ce commandement a-t-il pour vous, et quelle en est la raison ? Vous devez obéir à la parole de D.ieu ; mais en vous y soumettant, vous faites une chose qui est totalement irrationnelle et dépourvue de sens. »

C’est pourquoi Rachi a employé le mot « Satan » au lieu d’« inclination au mal » ; car la voix du sceptique cherche ici seulement à troubler16 le Juif au moment de l’action, non à le dissuader totalement d’agir.

Aussi ne dit-il pas : « Il est interdit de vous exempter vous-mêmes du commandement », mais : « Il est interdit de spéculer sur sa rationalité » ; au lieu de cela, observez-le avec joie, comme s’il était tout à fait compréhensible.

La raison en est (poursuit Rachi) que la Génisse Rousse est un « décret » divin, c’est-à-dire que D.ieu Lui-même nous dit de ne point être perturbés par l’absence de rationalité, et de l’observer simplement parce que D.ieu en a décidé ainsi. C’est la seule manière de l’observer correctement.

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi Rachi met la phrase entière « Voici l’ordonnance de la Loi » en tête de son commentaire. Car c’est grâce à cette phrase qu’il est clair que cette ordonnance est différente de toutes les autres ; et c’est ce qui souligne les nuances de l’explication de Rachi.

(Source : Likoutei Si’hot, vol. 8, p. 123-133)