Et Noé, l’homme de la terre, s’avilit et planta une vigne. Il en but le vin et s’enivra et il se dénuda dans sa tente. Et ‘Ham, le père de Canaan, vit la nudité de son père et en parla à ses deux frères, à l’extérieur. Et Chem et Yaphèt prirent une couverture, la mirent tous deux sur leurs épaules et ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient retournés et ils ne virent pas la nudité de leur père.

Genèse 9, 20-24

Ce qui interpelle dans ce récit est l’apparente redondance du dernier verset : « Leurs visages étaient détournés et ils ne virent pas la nudité de leur père. » N’est-il pas évident, à moins d’avoir eu des yeux derrière la tête, que si « leurs visages étaient retournés », « ils ne virent pas la nudité de leur père » ?

Ce que l’on voit en son prochain n’est que le reflet de ce que l’on possède en soi-même

Sachant l’extrême précision de l’emploi que la Torah fait des mots, force est de conclure qu’il ne s’agit pas là de termes superflus, mais d’une expression porteuse d’un message.

Le miroir

Le saint Baal Chem Tov a enseigné : « Lorsque l’on voit du mal en son prochain, c’est son propre mal que l’on perçoit. » Tout comme un miroir réfléchit seulement ce que l’on a placé devant lui, de même ce que l’on voit en son prochain n’est que le reflet de ce que l’on possède en soi-même.

En d’autres termes : les gens tendent à projeter leurs propres problèmes, leurs faiblesses, leurs carences et leur manque d’assurance sur les autres, voyant en eux exactement ce qu’ils devraient voir – et ce sur quoi ils devraient travailler – en eux-mêmes.

Mais est-ce toujours le cas ? Voir un défaut en autrui signifie-t-il toujours que c’est son propre défaut que l’on regarde ?

Le fondement de cette idée est simple.

Le principe de la Providence Divine implique que non seulement chaque rencontre est-elle orchestrée par D.ieu, mais que chaque rencontre doit apporter un bienfait à celui qui la vit. Car s’il n’avait rien à en retirer, dans quel intérêt D.ieu l’aurait-Il suscitée ?

Ainsi, tout ce que l’on voit – n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand et en n’importe qui – fait partie intégrante d’une conversation entre D.ieu et soi. On peut trouver une réponse à ses questions, une solution à ses difficultés simplement en marchant dans la rue, en prenant le métro ou en se promenant dans un parc.

C’est-à-dire, tant que l’on reste à l’écoute.

Cela signifie, donc, que si le Ciel vous a amené à déceler un défaut chez quelqu’un, c’est certainement la manière subtile de D.ieu de vous dire qu’il est temps de regarder à l’intérieur de vous.

Mais pourquoi l’exprimer de façon détournée, à travers la révélation des manquements d’autrui ? Pourquoi ne pas s’adresser à nous directement ?

Nous avons du mal à accepter la critique. Si nous ne discernions pas un problème chez quelqu’un d’autre, nous ne le verrions jamais en nous-mêmes.

Malheureusement, cela ne fonctionnerait pas très bien, car nous autres, humains, avons une difficulté naturelle à accepter la critique. Si nous ne discernions pas un problème chez quelqu’un d’autre, nous ne le verrions jamais en nous-mêmes.

Reproche amical

Avant d’intégrer le « principe du miroir » du Baal Chem Tov dans ma base de données spirituelle, il reste toutefois une question à régler.

Nous avons dit que ce principe est basé sur la notion de Providence Divine : si cela ne me concernait pas, D.ieu ne me donnerait pas l’occasion de l’observer. Mais le fait de constater le défaut de mon ami ne pourrait-il pas avoir simplement pour but que je puisse l’aider à se corriger ? Peut-être est-ce la raison pour laquelle D.ieu me l’a fait remarquer ?

Entre nous, c’est une idée réconfortante : tout le mal que j’observe chez les autres n’existe pas nécessairement en moi...

Mais ce ne peut pas être le cas. Car si, comme je l’ai suggéré, le négatif que l’on me montre chez quelqu’un avait parfois pour seul objet que je l’aide à s’améliorer, je ne verrais pas le mal en cette personne. Je ne verrais que la nécessité de l’aider.

Miroir ou fenêtre

Imaginez que vous voyiez quelqu’un franchir une barrière sur laquelle est écrit en grosses lettres : Danger - Ne dépassez pas cette limite. Et puis, sous les yeux horrifiés des témoins, cet homme perd l’équilibre en marchant sur des rochers instables et commence à dévaler une pente escarpée.

En ce moment critique, alors qu’il est encore possible de tenter quelque chose pour le sauver, vous perdriez-vous en réflexions sur son imbécilité ?

N’a-t-il pas vu la pancarte ? S’est-il cru plus intelligent que les experts qui l’ont placée là ? Se prend-il pour superman ?...

Ou bien vous jetteriez dans l’action avec l’espoir de sauver une vie ?

Si l’on perçoit son prochain comme un accusé en procès, c’est soi-même qui est en procès.

La réaction et l’attitude que l’on adopte indiquent clairement si ce que l’on voit chez les autres est un reflet de soi ou non.

Si l’on se retrouve à juger, c’est soi-même qui mérite d’être jugé. Si l’on perçoit son prochain comme un accusé en procès, c’est soi-même qui est en procès. Cet ami n’est rien d’autre qu’un miroir qui renvoie une image objective de ce que l’on est. De fait, une telle personne est même digne de gratitude, car, sans elle, on continuerait d’ignorer une partie de soi.

Si, toutefois, on voit en autrui une victime devant être secourue, quelqu’un que l’on peut aider, alors c’est à travers une fenêtre que l’on regarde, pas un miroir. Une fenêtre d’opportunité, parfaitement transparente.

Fermer l’œil

Et Noé, l’homme de la terre, s’avilit et planta une vigne. Il en but le vin et s’enivra et il se dénuda dans sa tente. Et ‘Ham, le père de Canaan, vit la nudité de son père et en parla à ses deux frères, à l’extérieur.

Il était clair que Noé s’était égaré.

Comme il était clair que Noé avait besoin d’aide.

Et ‘Ham, le père de Canaan, vit la nudité de son père et en parla à ses deux frères, à l’extérieur.

‘Ham choisit de juger... et de dénoncer.

Il ne choisit pas d’agir.

Pour lui, Noé fut un miroir, parfaitement limpide.

Ils ne virent pas – c’est-à-dire ne considérèrent pas – le fait que leur père était dénudé

Et Chem et Yaphèt prirent une couverture, la mirent tous deux sur leurs épaules et ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père.

Chem et Yaphèt choisirent d’agir.

Leurs visages étaient retournés et ils ne virent pas la nudité de leur père.

Ils ne jugèrent pas. Ils ne virent pas – c’est-à-dire ne considérèrent pas – le fait que leur père était dénudé.

Pour eux, Noé était une fenêtre.1