1. Rachi relève la répétition du mot « sanctuaire » dans le premier verset de notre paracha :
« Voici les décomptes du sanctuaire, sanctuaire du témoignage... »
Exode 38,21
et commente :
« Ce mot est répété deux fois en allusion au Temple qui a été pris en gage lors des deux destructions à cause des péchés des Juifs. »
Un certain nombre de questions sont soulevées par ce commentaire :
a. Que le début de notre paracha donne en allusion les deux Temples semble logique. En effet, puisqu’il y est fait une sorte de bilan de la construction du sanctuaire et de ses ustensiles (comme d’ailleurs Rachi le fait lui-même remarquer dans son tout premier commentaire de ce verset : « Dans cette paracha sont répertoriés tous les poids des matières prélevées pour le sanctuaire, telles que l’argent, l’or, le cuivre, ainsi que tous ses ustensiles pour ses différentes activités »), il y a lieu ici de faire aussi référence aux deux Temples qui seront édifiés dans le futur. Toutefois, on peut se demander pourquoi le verset a choisi de mentionner leur « prise en gage lors de leur destruction », au lieu de mettre en avant un sujet ayant trait à leur construction et leur existence.
b. Plus encore : pourquoi nos Sages ont-ils interprété le mot « sanctuaire » (michkane) comme un « gage » (machkone) qui évoque la destruction, alors que partout ailleurs, et même dans son sens littéral, ce mot signifie « résider » et rend compte de la résidence de D.ieu parmi le peuple juif, qui s’applique aussi aux Temples ?
c. Du fait que Rachi relève les mots « sanctuaire... sanctuaire », il paraît évident que son explication s’appuie sur la répétition de ce mot. Pourquoi éprouve-t-il alors le besoin de préciser qu’il est écrit « deux fois » ? D’autant plus que, dans la plupart de ses commentaires, Rachi se contente de donner une réponse sans expliciter la question qui est sous-jacente. Il aurait pu a fortiori se suffire ici de la réponse, puisqu’il est clair que la question est suscitée par la double apparition de ce mot dans le texte.
d. Pourquoi Rachi précise-t-il ici que cela « est une allusion au Temple qui a été pris en gage » (au singulier), alors qu’il s’agit des deux Temples ? Il eût été plus logique de parler des « deux Temples qui ont été pris en gage », au pluriel. Cela serait d’ailleurs plus cohérent avec le début de sa phrase qui parle de « deux fois » et la suite de ses paroles qui invoquent les « deux destructions » (au pluriel).
e. Pour quelle raison Rachi s’est-il senti obligé de préciser que les deux destructions étaient dues aux « péchés des Juifs » ? La répétition du mot « sanctuaire » est déjà complètement justifiée par le fait que le Temple a été pris en gage à deux reprises par sa double destruction.
f. Dans le verset : « Il tomba sur la nuque de son frère Benjamin et pleura, et Benjamin pleura sur sa nuque »1 (qui relate les retrouvailles de Joseph avec son frère), Rachi voit une allusion « aux deux Temples qui allaient se trouver dans le territoire de Benjamin et qui seraient finalement détruits » et aussi « au sanctuaire de Chilo qui était dans le territoire de Joseph et qui allait (aussi) être détruit », ce qui montre que le sanctuaire (provisoire) qui se trouvait à Chilo (pendant plus de trois siècles) a subi le même sort que les deux Temples. D’où Rachi sait-il donc que la répétition du mot « sanctuaire » porte nécessairement sur les deux Temples (on peut alors se demander pourquoi aucune allusion n’est faite au sanctuaire de Chilo) ? Peut-être (et cela semble même plus logique) que le verset donne en allusion le sanctuaire de Chilo (qui les a précédés) et le premier Temple et non le deuxième Temple, qui était incomplet (comme nous le verrons plus loin), contrairement au sanctuaire de Moïse (établi à Chilo) et au premier Temple.
g. Rachi tire du mot « sanctuaire » (michkane) le fait que celui-ci a été « pris en gage (nitmachkène) lors des deux destructions », ce qui laisse entendre que la destruction du Temple s’apparente à la saisie d’un gage. Ceci ne semble pas exact. En effet, un gage est pris chez un emprunteur de façon provisoire, jusqu’au remboursement de la dette lors duquel il est restitué en l’état. Ce qui signifie que, dans notre cas, lorsque D.ieu a pris le premier Temple en gage, Il aurait dû le rendre tel qu’il était. En d’autres termes, le deuxième Temple aurait dû être semblable au premier en tous points. Or, il y manquait un certain nombre de choses qui se trouvaient dans son prédécesseur. D’ailleurs, Rachi le rapporte lui-même à propos du verset « Que l’Éternel grandisse Japhet »2 : « Bien que le (le deuxième Temple) ait été construit par Cyrus, la présence divine n’y résidait pas. Où résida-t-elle ? Dans le premier Temple... » De même, dans la paracha Tétsavé, au verset 30 du chapitre 28 : « Le pectoral était bien présent dans le second Temple, mais (le parchemin contenant) ce (saint) nom ne s’y trouvait pas. » Comment peut-on donc affirmer que le premier Temple a été pris en gage alors qu’il n’a pas été restitué dans sa forme première ?
2. La réponse à toutes ces questions :
Le principe essentiel du Temple est d’être, selon les termes du verset, « une maison pour D.ieu et le portique du Ciel (qui désigne le Temple spirituel) ».3 Il est dit, par ailleurs, « Tu as façonné une demeure pour Ta résidence, Seigneur »,4 c’est un « lieu que J’ai préparé ».5 C’est pourquoi il est dit à son propos : « ...pour construire une maison pour D.ieu à Jérusalem. »6 Et le premier comme le deuxième Temple sont appelés (Sa) « maison éternelle ».7
Par contre, le sanctuaire du désert et celui de Chilo, qui n’étaient pas en regard du Temple spirituel et sont appelés des « tentes », comme la tente d’assignation, ne sont que des demeures passagères. Or, une résidence provisoire n’a aucune commune mesure avec une résidence fixe.
Et cela est évident pour un élève de cinq ans (auquel s’adresse, en principe, le commentaire de Rachi) : les différences qui distinguent le premier du deuxième Temple n’entament en rien le point fondamental qu’ils ont en commun : ce sont tous deux des demeures permanentes pour celui qui y habite.
Cela n’est pas vrai pour une tente. Car même si celle-ci s’apparente, dans de nombreux détails, à une maison, elle en diffère par sa définition première : elle est un lieu d’habitation provisoire et non définitif.
Nous pouvons maintenant comprendre que, malgré leurs différences, les premier et deuxième Temples procédaient tous deux d’une même définition : Une maison pour la présence divine. De ce fait, le deuxième Temple constituait la restitution du premier après qu’il eût été pris en gage. On ne peut en dire autant du sanctuaire (de Chilo) qui n’était qu’une « tente » et ne pouvait revenir sous la forme d’un Temple, car il s’en différenciait de façon essentielle.
3. On peut ajouter :
L’allusion aux deux gages est donnée par la répétition du mot « sanctuaire », c’est-à-dire par deux termes semblables. Cela même nous renseigne à propos de ce sur quoi ils portent : deux maisons que constituaient les Temples et non la « tente » de Chilo et le premier Temple.
C’est pour cette raison que Rachi souligne cette répétition en disant « deux fois ». Il veut ici insister sur le fait que ce n’est pas une simple déduction de la répétition d’un terme (comme cela est courant dans les discussions talmudiques), car cela n’impliquerait pas une similitude de sens. La déduction vient ici du mot « sanctuaire » lui-même (qui s’apparente au mot « gage ») qui apparaît « deux fois » pour exprimer le même sujet à deux reprises : Les premier et deuxième Temples ne forment qu’un, le deuxième n’étant que le retour du premier qui avait été pris en gage. Et cela ne s’applique évidemment pas au sanctuaire de Chilo.
4. Du fait que l’allusion porte principalement sur la notion de gage, nous pouvons maintenant comprendre pourquoi le verset présente les deux Temples comme tels, bien que cela fasse référence à leur destruction. En effet, un gage est un objet que l’on doit garder intact même lorsqu’il nous est transmis.
De même, la destruction du Temple n’est pas sa disparition. D.ieu n’a fait que le prendre pour le restituer par la suite (et Il le restituera de nouveau dans le futur) au peuple juif.
C’est aussi pour cette raison que Rachi a rajouté les mots « à cause des péchés des Juifs ». Par cela, il explique qu’il ne s’agit que d’un gage. Car si l’on pouvait imaginer que la destruction du Temple était le fait du Temple lui-même (dont, par exemple, la durée était arrivée à son terme), elle constituerait son annulation définitive. Mais parce qu’elle a été provoquée par les fautes des Juifs, cette destruction n’a agi que sur son lien avec les enfants d’Israël.
5. Une seconde raison pour laquelle Rachi mentionne les péchés des Juifs. Il vient ici répondre à une autre question : S’il est vrai, comme nous l’avons montré, que le verset ne porte que sur les deux Temples, pourquoi ne mentionne-t-il pas, de quelque façon, le sanctuaire de Chilo ?
À cette question, Rachi répond : c’est à cause des fautes des Juifs. Le verset vient ici nous signifier que cette destruction était le fait de fautes commises par les Juifs dans leur ensemble, à la différence du sanctuaire de Chilo qui a été détruit à cause des forfaits perpétrés par ’Hofni et Pin’has, les fils du grand-prêtre Eli, comme cela est relaté dans les Prophètes.
6. Nous pouvons trouver une autre allusion dans la raison des péchés des Juifs invoquée par Rachi. Nous voyons par cela l’importance que D.ieu a conférée à l’existence du Temple. Sa volonté de le maintenir était telle que, bien que les fautes des Juifs se soient prolongées pendant de nombreuses années avant que tant le premier que le deuxième Temple ne soient détruits, D.ieu a longtemps patienté avant de prendre Sa décision. Il a attendu de longues années que les Juifs reviennent vers Lui afin d’éviter cette destruction.
Cela vient compléter notre explication : le verset vient ici donner en allusion les Temples qui allaient exister dans des temps futurs. C’est pourquoi il inclut tous les détails qui expriment la puissance de leur définition par laquelle ils ne constituent qu’un gage lors de leur destruction. De plus, celle-ci n’est pas due au Temple, mais aux péchés des Juifs. Enfin, la sentence a été exécutée sans une réelle volonté de D.ieu.
7. Nous pouvons tirer de là un enseignement dans notre vie quotidienne. Le Talmud affirme : « Il est suffisant que le serviteur se comporte comme son maître. » D.ieu s’est empêché de détruire le Temple pendant un long temps, bien que la raison de le détruire existait depuis de nombreuses années déjà. Par Sa patience, Il a prodigué aux Juifs des forces supplémentaires pour revenir vers Lui.
De même, chacun de nous se doit d’adopter la même attitude envers son prochain. Il ne doit pas refuser de l’aider et de le soutenir dans les chemins de la Torah et de ses commandements. Il doit participer à la construction de son sanctuaire personnel donné en allusion dans les mots du verset : « Je résiderai en eux »8 (qui laisse entendre que la présence divine se trouve en chacun de nous). Cela, même si l’autre ne comporte pas comme il le faudrait. Au contraire, nous n’avons pas le droit de nous soustraire à ce devoir puisque nous avons reçu les injonctions : « Tu réprimanderas ton prochain »9 et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».10
Nous pouvons tirer du comportement de D.ieu envers le peuple juif, une autre preuve quant à l’attitude que nous devons adopter vis-à-vis d’un Juif qui n’est pas dans le chemin du judaïsme.
Dans la paracha Ki Tissa, il est rapporté qu’« Il donna à Moïse, lorsqu’Il eut terminé de parler avec lui sur le mont Sinaï, les deux Tables de l’alliance... ».11 En d’autres termes, lorsque D.ieu eut fini d’enseigner les différentes lois de la Torah à Moïse, il lui donna immédiatement les Tables de la Loi. C’était le quarantième jour après que Moïse soit monté sur le mont Sinaï. À ce moment même, il reçut les Tables pour les transmettre au peuple juif.
Or, il est explicitement relaté que le trente-neuvième jour, les Juifs avaient déjà confectionné le veau d’or. Il en résulte qu’après que les Juifs se soient livrés à un acte idolâtre, D.ieu a continué à enseigner la Torah à Moïse (pour que celui-ci l’explique par la suite au peuple juif), et l’a même chargé de leur remettre les Tables de la Loi.
S’il en est ainsi, nous devons a fortiori ne pas nous empêcher d’amener la Torah à notre prochain, sans se soucier de son état spirituel qui n’est pas comme il devrait l’être. Au contraire, les forces que nous investirons pour susciter une amélioration chez l’autre induirons notre propre élévation, car ne nous a-t-il pas été promis que « D.ieu éclaire les yeux de tous deux ».12
Par cela, nous mériterons de construire le sanctuaire qui se trouve en chaque Juif, grâce auquel Machia’h bientôt construira le troisième Temple dans le lieu même où se trouvaient les deux premiers.13
Adapté de Likoutei Si’hot vol. 11, p. 175
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