1. Au début de la paracha Térouma, est relaté l’ordre divin de prélever de l’or, de l’argent, etc…, en tout treize (quinze d’après certains) matériaux afin de réaliser un Sanctuaire pour D.ieu. Cette injonction est donnée par le verset : « Ils Me feront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux »,1 dans lequel D.ieu promet qu’il résidera dans le Sanctuaire construit à l’aide de tous ces matériaux.
En dépit du fait qu’Il ne soit pas limité dans l’espace, D.ieu affirme qu’il demeurera là où se trouvera ce Sanctuaire circonscrit dans une certaine surface.
Cela n’est pas seulement vrai pour le Temple qui sera construit par la suite et dont la situation sera fixée de façon définitive à Jérusalem, mais aussi pour le Sanctuaire portatif, qui a suivi les Juifs au cours de leurs pérégrinations dans le désert. Malgré le changement de son emplacement, la présence divine s’est toujours établie en un seul lieu : celui où il se trouvait.
Comme nous l’avons dit, D.ieu n’est pas limité dans l’espace, comme Il le déclare dans le verset : « Est-ce que Je ne remplis pas le ciel et la terre ? »2 qui témoigne du fait qu’Il remplit tout l’espace. De ce fait, on peut se demander pourquoi D.ieu a-t-Il ordonné de consacrer un lieu afin qu’y réside Sa révélation ?
Il est vrai que remplir tout l’espace n’implique pas forcément de s’y révéler et l’on peut constater que Sa présence dans le monde n’y est pas ressentie. Pour qu’elle puisse se révéler à nous, il nous faut Le servir. Cependant, une telle révélation n’est pas liée à l’espace : le Juif pourra l’amener partout où il servira D.ieu.
On peut donc penser que l’on aurait pu révéler la divinité par un service semblable à celui réalisé dans le Sanctuaire ou dans le Temple en tout lieu, indépendamment de leur présence. Pourquoi avoir exigé d’accomplir ce service en ces sites privilégiés uniquement ?
2. Les sacrifices étaient l’une des principales activités du Sanctuaire. Ceux-ci contiennent en eux deux grandes catégories : la partie matérielle du sacrifice, qui consistait en le brûlement (des entrailles) d’un animal sur l’autel, et sa composante spirituelle, remplacée maintenant par la prière, instituée en regard des sacrifices journaliers.
Le sacrifice matériel est de toute évidence lié au Sanctuaire car, depuis que le Sanctuaire a été érigé, les autels occasionnels ont été interdits et, depuis la construction du Temple, les sacrifices ne devaient plus se faire en aucun autre lieu.
La prière, quant à elle, peut être prononcée partout, à l’exception d’un vallon ou de tout endroit qui, selon le Talmud, n’est pas propice à la concentration. Toutefois, le Temple demeure « le portail du ciel »3 : par lui passent toutes les prières. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est stipulé qu’« ils prieront vers Toi en passant par leur terre »4 : les prières doivent être adressées en direction de la Terre Sainte, en Israël, vers Jérusalem et, à Jérusalem, on doit se tourner vers l’emplacement du Temple.
Or, cela semble a priori très étonnant : pourquoi a-t-on éprouvé le besoin de lier le service du cœur – la prière – qui est un fait spirituel, à un lieu matériel précis ?
On pourrait répondre que les sacrifices eux-mêmes étaient limités dans l’espace : ils devaient être amenés sur l’autel et leur exécution devait suivre un certain nombre de règles. La conséquence spirituelle des sacrifices revêtait elle aussi une forme matérielle : on voyait un feu provenir du ciel qui « dévorait » les sacrifices. Du fait que le déroulement et les effets du sacrifice prenaient des expressions physique, on pourrait comprendre que ceux-ci puissent dépendre d’un lieu donné (bien qu’il soit légitime de se demander pourquoi, avant l’interdiction des autels occasionnels, ces événements aient pu se produire en plusieurs endroits à la fois).
Mais cette réponse ne peut s’appliquer à la prière car celle-ci est entièrement spirituelle. En effet, la prière ne s’appuie sur aucun objet physique (à l’exception de soi-même), elle consiste en un épanchement de l’homme dont le seul but est de rapprocher ses facultés et ses sens de son Créateur. De plus, le principal moteur de la prière est la ferveur, qui dépend du niveau spirituel de celui qui prie. Et même si la prière doit être exprimée par la parole, celle-ci vient attiser la ferveur car, selon nos Sages, « la voix éveille la ferveur ».
Il est vrai que la prière a des effets matériels, lorsque sont exaucées des demandes telles que la guérison des malades ou l’abondance des récoltes. Ces effets n’apparaissent cependant pas à nos yeux comme une conséquence directe de nos requêtes, comme le feu qui venait dévorer les sacrifices.
La prière étant entièrement spirituelle, on peut donc se demander pourquoi elle est liée et limitée à un lieu physique.
3. La réponse à ces questions est fondée sur la règle selon laquelle, plus une chose vient de haut, plus elle descend bas. Le fait même que la présence divine dépende d’un lieu précis montre que cette présence procède d’un niveau dont l’élévation ne peut s’exprimer qu’en bas, et le plus bas possible.
D.ieu est l’illimité absolu, Il échappe à toute limite, aussi bien spatiale que supra-spatiale. Et de même que l’on ne peut Le saisir dans une définition spatiale, on ne peut non plus L’appréhender par un concept qui dépasse la notion d’espace, car un tel concept est lui-même sujet à des restrictions (du fait, entre autres, que son caractère non spatial l’exclut de l’espace et lui imprime donc une limite). Or, D.ieu transcende toute définition.
Ce n’est que lorsque l’espace et ce qui le transcende, la limite et l’illimité, se rejoignent que peut s’exprimer Son essence, car celle-ci est, selon les termes de nos Sages, « l’empêchement de tout empêchement » et peut seule lier les contraires.
Tel est le sens du Sanctuaire et du Temple. D’une part, ceux-ci étaient limités dans leur emplacement ainsi que dans les dimensions de tout ce qui les constituaient, telles que les bâches, les poutres et les socles du Sanctuaire ou la structure du Temple. Même les ustensiles qui y étaient utilisés étaient limités dans leur forme et dans leurs dimensions. Plus encore, ces spécifications devaient suivre scrupuleusement les normes édictées par la Torah.
D’autre part, on pouvait voir dans le Sanctuaire comment ces dimensions précises exprimaient l’illimité. Cette conjonction de la limite et de sa transcendance est énoncée dans les Maximes des Pères à propos des « dix miracles » quotidiens qui apparaissaient dans le Temple. En particulier, dans le Saint des Saints (principal lieu du Temple), l’arche sainte « ne tenait pas de place ».
En effet, bien que celle-ci mesurât deux coudées et demie de longueur et une coudée et demie de largeur et que le Saint des Saints était une salle de vingt coudées sur vingt coudées, lorsque l’on plaçait l’arche sainte au centre de la salle, on pouvait mesurer dix coudées à sa droite et à sa gauche dans chaque direction. Dans ce miracle, s’exprimait la conjonction de l’espace et de ce qui le transcende.
C’est pour cette raison qu’aussi bien les sacrifices que nos prières sont liés au Temple. Car tous deux ont pour but ultime d’atteindre le niveau essentiel du divin, celui que l’on ne peut même pas définir comme « infini ». C’est aussi pourquoi ces deux services doivent s’inscrire dans les niveaux les plus bas. Car si la prière et les sacrifices n’étaient pas délimités par un lieu fixé, ils n’auraient eu accès qu’au niveau du divin qui transcende l’espace, à l’infini, mais l’Essence de D.ieu leur aurait été inaccessible. Or, cette Essence réside justement là où le fini rejoint l’illimité.
Et si l’on a pu amener des sacrifices sur des autels occasionnels pendant un certain temps, ceux-ci n’avaient pas la grandeur des sacrifices apportés au Temple. C’est pour cette raison que bon nombre de lois (limitatives) se sont ajoutées aux sacrifices du Temple et que l’on a pu y amener, ainsi que dans le Sanctuaire, des sacrifices que l’on n’aurait jamais pu sacrifier sur les autres autels.
4. Nous pouvons aussi comprendre en quoi le Temple était supérieur au Sanctuaire portatif. D’une part, le Sanctuaire était nomade et, de ce fait, sa limite spatiale n’était pas rigoureuse. D’autre part, il était principalement composé de matériaux d’origine végétale et animale, seuls les socles étant en argent. Le Temple, quant à lui, était principalement fait de pierre (faisant partie du règne minéral, le règne le plus bas de la création) et se trouvait dans un endroit fixe.
Là réside la supériorité du Temple : c’est le lieu où le divin peut s’exprimer dans sa dimension essentielle car il arrive jusqu’aux niveaux les plus inertes de la création qui constituent, de ce fait, selon les termes du Midrash, « une demeure pour D.ieu ».
Le Sanctuaire était la « demeure provisoire » de D.ieu alors que le Temple devint Sa « demeure définitive ».
5. Nous pouvons maintenant expliquer le sens des paroles de nos Sages à propos du verset « Ils Me feront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux » : Il n’est pas dit « en lui », mais « en eux », ce qui signifie que D.ieu réside en chaque Juif.
En d’autres termes, D.ieu ne se trouve pas seulement dans le Sanctuaire ou le Temple, Il demeure en chaque Juif. Celui-ci a le pouvoir de faire un véritable Sanctuaire en étudiant, en accomplissant les commandements divins, et, plus généralement, en amenant la sainteté dans tout ce qui l’entoure.
D’un certain point de vue, la présence divine amenée par le Juif grâce à ses actions est plus profonde que celle du Sanctuaire ou du Temple. En effet, il va de soi qu’aussi bas que puisse être la matière du Sanctuaire ou du Temple, elle reste au-dessus (de par son usage) de celle du reste du monde. De ce fait, lorsque le Juif donne à ses actes les plus quotidiens une dimension divine, il réalise « une demeure pour D.ieu ici-bas » dans toute sa plénitude. C’est d’ailleurs pour cela que ses actions conduiront au troisième Temple qui sera infiniment plus élevé que les deux premiers.
6. La confection du Sanctuaire (personnel) actuel qui consiste, comme nous l’avons dit, à amener la sainteté divine dans les choses les plus banales, doit faire appel à l’or, l’argent et toutes les matières utilisées pour la construction de celui du désert.
Cela signifie en particulier que le Juif doit faire en sorte que tout ce qui l’entoure devienne lui-même un objet saint, à l’exemple des treize (ou quinze) matériaux qui constituaient le Sanctuaire portatif et qui ont été consacrés à D.ieu de par l’usage qu’on en a fait.
Il n’est pas suffisant de se distinguer des autres en respectant scrupuleusement les lois qui régissent sa vie quotidienne dans son commerce, telles que les lois sur la concurrence ou le profit. En les observant, le Juif ne fait que se garder d’agir dans ses affaires de façon interdite par la Torah. L’expression ultime de son service de D.ieu réside dans le fait que le divin soit ressenti dans ses actions.
Cela ne s’arrête pas à travailler dans une intention divine (afin, par exemple, de gagner sa vie pour subvenir aux besoins de sa famille et d’éduquer ses enfants dans le chemin du Judaïsme). Il faut que le support même de ses activités soit imprégné de sainteté (à l’exemple des matériaux du Sanctuaire), comme le prône le verset : « Connais-Le dans tous tes chemins ».5 Nos actions quotidiennes ne nous aideront pas seulement à nous rapprocher de D.ieu : nous Le reconnaitrons à travers elles.
À l’instar du repas du Chabbat qui constitue un commandement divin, nos repas de tous les jours doivent revêtir une dimension divine. La table de l’homme doit être comparable à un autel et il doit en être de même pour toutes ses actions.
7. De ce point de vue, notre paracha s’inscrit dans la suite logique des deux précédentes, Yitro et Michpatim. En effet, dans la Paracha Yitro, la Torah a été donnée et le lien entre les niveaux spirituels et matériels s’est fait par le biais des commandements divins. Ce lien est renforcé dans la paracha Michpatim où sont énumérés un nombre important de ces commandements.
Arrive la paracha Térouma, dans laquelle D.ieu nous montre que ce lien ne doit pas se borner au support des commandements, il doit pouvoir imprégner les actions les plus banales de notre vie quotidienne, au point de Le connaître dans tous nos chemins.
Cette idée se retrouve aussi dans tout le livre de l’Exode, qui relate un cheminement du bas vers le haut : le début de ce livre raconte la sortie d’Égypte, qui est en fait une préparation au don de la Torah. Cette révélation consacre, comme nous l’avons dit, la relation du divin avec notre monde à travers Ses commandements. Ceux-ci sont alors développés dans la paracha Michpatim pour enfin dévoiler, à partir de notre paracha et jusqu’à la fin du livre, le pouvoir qu’a le Juif de sanctifier la matière sous toutes ses formes.
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