Les plus éminents érudits de Mezhibozh rendirent une fois visite au Baal Chem Tov, dans sa Souccah.

Après avoir méticuleusement examiné la structure de la Souccah, ils la déclarèrent invalide à l’unanimité.

Le Baal Chem Tov leur répondit en apportant des preuves issues de diverses sources de la loi juive pour démontrer que sa Souccah remplissait bien les conditions requises par la Torah. S’ensuivit un vif débat, le Baal Chem Tov soutenant que sa Souccah est valable, les érudits, maintenant leur opposition.

Finalement, le Baal Chem Tov ouvrit sa main. Dans celle-ci se trouvait un petit morceau de parchemin. Les érudits prirent le parchemin et découvrirent qu’il s’agissait d’un message du Ciel. « La Souccah de Reb Israël [Baal Chem Tov] est cachère », purent-ils lire. La note était signée par l’archange Metatron, gardien des « sphères intérieures ».

À Souccot 5727 (1966),1 le Rabbi raconta ce récit extraordinaire, suite à quoi il souleva une question évidente : bien que l’histoire démontre l’envergure spirituelle du Baal Chem Tov – sa capacité de tirer des ficelles célestes pour prouver ses dires –, nous nous demandons ce qui a amené ce saint homme à construire sa Souccah d’une manière aussi discutable.

Le Rabbi expliqua alors que ce qui avait motivé le Baal Chem Tov à ériger sa Souccah de façon aussi douteuse – remplissant à peine les critères halakhiques minimum – était le désir de trouver du mérite au plus grand nombre. Conscient que de très nombreux Juifs ignorants ne savaient pas comment construire une Souccah correctement, le Baal Chem Tov avait construit la sienne en s’appuyant sur les opinions les plus souples de la loi pour valider ainsi toutes les Souccahs qui présenteraient le même genre de problèmes et pouvoir ainsi déclarer que la pratique de Juifs les plus ignorants demeurait dans le cadre de l’observance juive.

La morale de cette histoire a moins à faire avec le statut d’une Souccah qu’avec la définition du rôle d’un dirigeant juif. Le but du Baal Chem Tov était de démontrer aux érudits de Mezhibozh qu’un véritable dirigeant juif doit être disposé non seulement à faire des sacrifices matériels pour son peuple, mais aussi des sacrifices spirituels. Il doit être prêt à faire des compromis par rapport à ses hauts critères spirituels pour élever ceux dont il a la charge. C’est cette qualité de sacrifice de soi qui a défini les dirigeants juifs2 tout au long de l’histoire.

Le scandale

C’est l’un des épisodes de la Bible les plus pathétiques.3

Israël s’installa à Chittim et le peuple commença à se prostituer avec les filles des Moabites. Elles invitèrent le peuple aux sacrifices voués à leurs dieux, et le peuple mangea et se prosterna devant leurs dieux. Israël s’attacha à Baal Péor, et la colère de l’Éternel s’embrasa contre Israël.

L’Éternel dit à Moïse : « Prends tous les dirigeants du peuple et fait pendre les fauteurs devant l’Éternel, face au soleil et alors la colère enflammée de l’Éternel partira d’Israël. » Moïse dit aux Juges d’Israël : « Chacun de vous devra tuer les hommes qui se sont attachés à Baal Péor. »

« Alors un homme israélite vint et amena la femme midianite à ses frères, à la vue de Moïse et à la vue de toute la communauté des Enfants d’Israël, alors qu’ils pleuraient devant l’entrée de la tente d’Assignation. »

« Pin’has, le fils d’Éléazar, fils d’Aharon le Cohen, vit cela, se leva du sein de la communauté et arma sa main d’une lance. Il suivit l’homme israélite dans la tente et il la planta [à travers] tous les deux, l’homme israélite et la femme qu’il frappa au ventre, et la plaie cessa de s’abattre sur les enfants d’Israël. Ceux qui étaient morts dans la plaie furent au nombre de vingt-quatre mille. »

Pour comprendre le fond de cette sombre histoire, quelques observations sont nécessaires.

Tout d’abord, un verset ultérieur4 donne un nom et un visage à cet anonyme « homme israélite » qui exhiba sa compagne midianite à la vue de Moïse et à la vue de toute la communauté ». Son nom était Zimri, fils de Salou, et il n’était pas un vulgaire pécheur mais un prince d’Israël, le dirigeant de la tribu de Simon.5

Il convient aussi de citer le récit que fait le Talmud de la confrontation publique entre Zimri et Moïse.

Zimri attrapa Kozbi [la Midianite] par ses nattes et l’amena à Moïse. Zimri dit à Moïse : « Fils d’Amram, cette femme m’est-elle interdite ou permise ? Et si tu dis qu’elle est interdite, qui t’a permis, à toi, la fille de Jethro [qui est également une femme midianite] ? »6 À ce moment-là, la loi selon laquelle les zélotes peuvent tuer celui qui cohabite avec une idolâtre échappa à Moïse, et tout le peuple éclata e pleurs ; et c’est là le sens de ce qui est écrit : « Et ils pleuraient à l’entrée de la Tente d’Assignation. »

Il n’y a rien de terriblement inhabituel dans la première partie de cette malheureuse saga, où s’entremêlent promiscuité, idolâtrie, colère divine et châtiment. Nous avons déjà croisé ces thèmes dans la Bible à une ou deux occasions. Ce n’est qu’au milieu du récit que les faits prennent une tournure inédite.

Le comportement de Zimri est sans précédent. Jamais un prince d’Israël ne s’était comporté ouvertement de façon pécheresse – et en le revendiquant – en prônant publiquement le mariage mixte et par extension la destruction de la cellule familiale juive !

Cette retentissante profanation du nom de D.ieu et de Sa loi, de même que l’attaque personnelle contre de Moïse remettant en question son intégrité religieuse – émanant de surcroît d’un dirigeant incarnant un modèle – est particulièrement choquante et demande à être expliquée. L’inhabituel moment d’amnésie de Moïse ne fait qu’ajouter au mystère qui imprègne ce drame.

Un pécheur bien intentionné

La clé pour comprendre les actions de Zimri réside dans le récit talmudique7 des événements qui conduisirent à la confrontation entre Moïse et Zimri.

Quand des membres de la tribu de Simon virent que la punition capitale s’abattait sur ceux de leur tribu qui s’étaient adonnés au culte idolâtre de Baal Péor, ils se rendirent chez Zimri, fils de Salou: « Ils prononcent la peine capitale contre des membres de notre tribu et toi, notre chef, tu restes assis en silence ! » Que fit alors Zimri ? Il se leva, rassembla vingt-quatre mille Israélites et ils se rendirent chez Kozbi, une femme midianite. Il lui dit : « Cohabite avec moi... »

Le comportement odieux et sacrilège de Zimri n’était pas motivé par la luxure ou par un désir de rébellion, mais par son profond engagement envers le peuple qu’il représentait. Il décida de démontrer que même un homme honorable comme lui – choisi par D.ieu pour être un prince d’Israël8 – n’était pas insensible au plaisir charnel et à la séduction. Si lui pouvait succomber à la tentation, les membres plus matérialistes de sa tribu ne méritaient-ils pas d’être traités moins sévèrement, et de se voir épargner la peine capitale ? Qui plus est, Moïse, le plus éminent serviteur de D.ieu, n’avait-il pas lui-même lié son destin à l’une de ces femmes « interdites » ? Ce qui est acceptable pour le saint Moïse ne devrait-il pas l’être également pour les gens simples ?

Cette lecture bienveillante à l’égard de Zimri n’est pas une tentative du Talmud de le blanchir, mais ressort du récit de la Torah lui-même. Un regard plus attentif au timing de la frasque de Zimri révèle qu’il fut lent à rejoindre les siens dans le péché. Ce n’est qu’après que D.ieu les eut condamnés à mort qu’il s’approcha de Kozbi (« Alors un homme israélite vint et amena la femme midianite à ses frères »). Est-il possible son désir s’enflamma seulement après qu’il apprit que son assouvissement était puni de la peine capitale ? Oui, s’il n’était pas mû par un élan de débauche mais de dévouement, dirigé non pas envers Kozbi, mais envers les membres de sa tribu en instance d’être exécutés.9

Paradoxalement, ce fut à travers cette confrontation publique malheureuse et malavisée avec Moïse que Zimri en vint à incarner le dirigeant juif idéal, prêt à sacrifier son bien-être matériel et son statut spirituel – dans ce cas, clairement à mauvais escient – pour protéger son peuple.

C’est la mesure de la dépravation de l’image qu’il a laissée qui révèle la mesure de son dévouement envers ceux qui lui étaient chers.

Qu’est-ce que cela m’apprend ?

Nous vivons à une époque d’ignorance et d’indifférence croissantes de la jeunesse juive à l’égard de son héritage. D’aucuns considèrent nos connaissances et notre culture comme acquises et ignorent le désintéressement qui gagne la communauté.

De Zimri, nous apprenons qu’il faut sacrifier quelques-uns de nos luxes spirituels – comme le fait de se concentrer sur son développement personnel ainsi qu’à la recherche du sens et de l’inspiration – et pourvoir aux besoins de ceux de notre peuple qui sont spirituellement indigents.

Même si nous ne sommes pas de grands savants, nous connaissons tous au moins une personne qui en connaît encore moins. Ainsi, comme l’exprime un enseignement ‘hassidique : « Si vous ne connaissez que la lettre aleph, enseignez aleph », même si, à ce moment, cela se fait au prix de ne pas pouvoir apprendre la lettre bet.

Et aussi...

Le grand talmudiste Rabbi Akiva Eiger invita un pauvre homme chez lui un vendredi soir. Une magnifique nappe blanche couvrait la table du Chabbat. Quand le pauvre leva son verre de vin, celui-ci glissa de sa main et le vin rouge se répandit sur la nappe blanche, y laissant une laide tache. Voyant l’expression de terrible gêne qui apparut sur le visage de son invité, Rabbi Eiger leva immédiatement son propre verre et en répandit « accidentellement » lui aussi le contenu sur la nappe, ce qui eut pour effet de soulager instantanément le pauvre de sa gêne. Rabbi Akiva Eiger dit alors : « On dirait que la table ou le sol tremble, non ? »

Le véritable sacrifice est d’être prêt à renoncer à ce qui nous est le plus précieux et, pour beaucoup d’entre nous, c’est notre image et notre réputation qui comptent le plus.

Il est naturel de vouloir faire en sorte que les gens se sentent à l’aise et de chercher à les aider à s’extraire de situations désagréables ou humiliantes. Il est moins naturel de le faire aux dépens de notre apparence. Nous aimons nous agir avec magnanimité et nous sentir d’esprit généreux avec ceux qui ont moins de chance que nous, mais pas si, ce faisant, nous risquons d’être perçus comme l’un d’entre eux.

De Zimri, nous pouvons apprendre que ne pas craindre de paraître perdant est une des choses qui font un véritable gagnant.

Basé sur un discours du Rabbi de Chabbat Parachat Pin’has 5725 (1965).10