Les fermiers de la terre d’Israël reçoivent de la Torah l’instruction de travailler leur terre pendant six ans et de la laisser en jachère, au repos, la septième. Mais quand toutes les terres d’un pays sont laissées en jachère une année entière, la nation ne court-elle pas le risque de se trouver en situation de famine ?
Dans les versets suivants, la Torah évoque ce problème : « Et si tu dis : ‘qu’allons-nous manger la septième année ?’... J'ordonnerai ma bénédiction sur la sixième année et elle donnera une récolte suffisante pour une période de trois ans. »
Quand la Torah propose une réponse, elle nous laisse d’ordinaire déduire nous-mêmes la question sous-jacente. Dans ce cas précis, la Torah choisit de poser la question. Y a-t-il donc quelque chose d’unique à relever dans cette interrogation particulière ?
Moralité sociétale ou moralité divine ?
La société en général vit selon un code moral. Les gouvernements édictent des lois contre les actes immoraux, comme le meurtre ou le vol, et encouragent un comportement éthique, comme la charité ou la pudeur. Si vous demandez : « pourquoi le meurtre est-il interdit », la réponse légale sera probablement : « parce que prendre la vie d’autrui est tout simplement commettre le mal ».
Si vous persistez et insistez « mais pourquoi est-ce mal ? », la réponse sera probablement « si vous ne le sentez pas intuitivement, alors rien ne sert d’essayer de vous l’expliquer ».
Et c’est vraiment là une réponse correcte. Le meurtre est un acte vil parce que la société sent intuitivement la nature immorale de cet acte.
Cependant, la conception juive ressent que l’autorité morale va plus loin que le simple consentement d’un peuple.
Si vous recherchez dans la Torah pourquoi le meurtre est mauvais, il est probable que vous trouverez pour réponse à votre question : « C’est l’un des Dix Commandements ! ». Si vous insistez et voulez savoir pourquoi est-ce l’un des Dix Commandements, il est probable qu’il vous sera répondu : « Pensez-vous pouvoir chercher à expliquer les raisons de D.ieu et les comprendre ? »
Bien sûr, le Juif sent lui aussi intuitivement que le meurtre est un acte immoral. Mais pour lui, c’est plus qu’une simple intuition. Si D.ieu a ordonné cette interdiction en tant commandement divin, c’est qu’elle doit être immorale pour des raisons qui dépassent l’intuition humaine.
Au-delà de la raison de l’homme
Pourquoi un Juif croit-il que les commandements divins dépassent l’intuition des hommes ?
Les Mitsvot peuvent se diviser en deux grandes catégories : a) les commandements éthiques que l’on comprend facilement, comme l’interdiction de voler et b) les décrets inexplicables qui défient la compréhension humaine, comme la Mitsva de la Vache Rousse.
Ces deux types de commandements sont en symbiose, chacun affectant notre perspective sur l’autre. Les commandements éthiques montrent qu’il est possible d’atteindre un semblant de compréhension des commandements de D.ieu. Les décrets démontrent qu’en dernière analyse, la sagesse de D.ieu dépasse la nôtre.
Si nous n’avions reçu que les décrets incompréhensibles, notre manque de compréhension totale nous aurait éloignés de la pratique des Mitsvot. Nous ne pourrions pas les intérioriser et serions alors empêchés de développer une affinité avec elles, de les accomplir avec enthousiasme.
D’un autre côté, seuls les commandements de portée morale nous avaient été donnés, nous imaginerions que toute la Divinité est accessible à la compréhension humaine. Nous abandonnerions naturellement toutes les notions qui appartiennent au domaine de la foi et dépassent notre entendement.
Les décrets incompréhensibles enseignent au Juif à considérer les Mitsvot compréhensibles elles-mêmes à travers le prisme de la sagesse divine, à reconnaître que les commandements éthiques, comme l’interdiction du meurtre, ont une dimension qui va au-delà de notre connaissance ou de notre sensation intuitive.
Deux questions, un mot
C’est là le sens de la question posée par le fils sage (qui nous est présenté dans la Haggada de Pessa’h) : « Que ('mah') sont les... décrets et les préceptes que l’Éternel notre D.ieu vous a commandés ? ». Le fils sage comprend que même les « préceptes » aisément compréhensibles ont une dimension qui défie la logique humaine et il cherche ainsi à comprendre le sens véritable de toutes les catégories de Mitsvot, non seulement celui des « décrets » mais également celui des « préceptes ».
Revenons à la question posée par notre verset, « Et si tu dis: ('Mah') ‘Qu’allons-nous manger la septième année ? ». La seule autre occasion où la Torah introduit ainsi une question se rencontre lors de l’apparition des quatre fils de la Haggadah. Il est donc vraisemblable d’affirmer que c’est aussi la question que pose l’un d’entre eux. Lequel ?
Cette question n’est citée dans la Torah qu’après qu’ont été soulignées les lois de l’année chabbatique. Nous en déduisons donc que cette question doit être posée par le fils sage qui a étudié le sujet dans son ensemble, mais qui reste avec une question.
Ces questions sont posées à deux reprises dans la Torah. « Quel est le sens… » et « Que mangerons-nous ? ». Bien que ces questions ne semblent avoir aucun lien, un mot les unit. Le pronom interrogatif hébraïque mah, « quoi, que, quel ».
Le sens de « quoi »
Le Peuple Juif a l’habitude de ce mot. Nous demandons toujours : Quelle est la raison ? Quel est le sens ? Comme le fils sage, nous posons cette question sur tous les Commandements et à toutes les occasions, même lorsque nous sommes supposés comprendre. Nous réalisons, en dernier ressort, que notre compréhension n'appréhende pas le processus de la pensée divine.
Quoi n’est pas seulement une question : c’est également une réponse. Parce que finalement, la question peut rester posée et rester sans réponse. Nous demandons à D.ieu Ses véritables raisons, Ses explications, mais nous n’exigeons pas toutes Ses réponses. Nous sondons les secrets dans les limites de l’esprit humain, mais le reste est humblement laissé à D.ieu.
Le mot quoi est donc l'expression d'une profonde humilité. Nous le demandons, non par agressivité, mais dans l’acceptation. Nous le demandons non par arrogance, mais dans la soumission. Nous le demandons non dans la confusion, mais dans une foi sereine.
Nous savons que les mots « Que mangerons-nous la septième année ? » ne sont pas tant une question que l’affirmation d’un fait. Nous ignorons ce que nous mangerons, mais nous avons confiance que nous mangerons. (Il est intéressant de relever que la Haggadah utilise le même verbe « dire » que dans notre verset: « Le fils Sage que dit-il ? » et non « que demande-t-il »)
La Torah nous assure que D.ieu ne nous ignorera pas si nous abordons cette Mitsvah avec l’humilité prescrite par le mot mah, « quoi ». « Il donnera Sa bénédiction sur la sixième année et celle-ci produira une récolte suffisante pour toutes les trois années. »
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