Et D.ieu parla à Moïse au mont Sinaï en ces termes : parle aux Enfants d’Israël et dis leur… pendant six ans vous sèmerez vos champs, vous taillerez vos vignes et ramasserez vos récoltes. Mais la septième année est une année de repos pour la terre… vous ne pourrez pas semer vos champs ni tailler vos vignes.
Lévitique 25, 1-4
Pourquoi le commandement de la Chemita [la loi qui enjoint de laisser la terre reposer tous les sept ans] est-il spécifiquement associé au mont Sinaï ; tous les commandements ne furent-ils pas donnés au mont Sinaï ? La Torah vient plutôt nous dire que tout comme la Chemita fut enseignée au mont Sinaï, à la fois d’une manière générale et dans ses détails spécifiques, toutes les mitsvot furent enseignées au mont Sinaï à la fois de manière générale et dans leurs détails spécifiques.
Rachi sur ce verset
Nous vivons une époque de prospérité matérielle et d’avancée technologique inédites. Ces technologies ont une influence sur tous les aspects de nos vies, de l’éducation aux loisirs, du travail à la santé. Au moment où la révolution informatique et technologique nous propulse toujours plus avant sur le chemin de la satisfaction matérielle, nous pouvons nous demander si ces avancées peuvent, de quelque manière, être intégrées à notre évolution spirituelle. De nombreuses philosophies soutiennent que la spiritualité est un état transcendant, affranchi des contraintes de la matérialité. Le Judaïsme, toutefois, a une approche différente.
Un
Deux fois par jour, nous affirmons l’unité de D.ieu en proclamant : « Écoute Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est Un. »1 En réalité, l’unité de D.ieu ne signifie pas seulement qu’il n’existe aucune autres force ou puissance dans la création, mais qu’il n’existe rien en dehors de Lui, pas même la création elle-même.2 Tout comme les images qui apparaissent dans l’esprit d’une personne n’ont pas d’existence propre réelle en dehors de son esprit et sont toutes composées de la même substance appelée « pensée », il en va de même concernant D.ieu et Sa création : celle-ci dans son ensemble n’est rien d’autre que la manifestation physique de l’énergie divine, qui est la véritable et unique « substance » de l’existence.
Ainsi, bien que le monde paraisse être une réalité autonome, distincte de la divinité, c’est le contraire qui est vrai : la seule réalité est la réalité divine, dont le monde n’est qu’une projection. Tout comme D.ieu est la quintessence de l’existence, sans commencement ni fin, la création se ressent elle-même comme une existence essentielle, sans commencement ni fin. La raison pour laquelle le monde se ressent comme une entité autosuffisante est qu’il n’est en fait rien d’autre que la Divinité.3
C’est donc là le sens véritable du verset : « Je suis D.ieu ; Je n’ai pas changé. »4 De nombreux grands philosophes ont conclu, sur la base de cette affirmation, qu’après avoir créé le monde, D.ieu en a rapidement donné le contrôle à d’autres forces.5 Il est impossible de dire, affirment-ils, que D.ieu demeure étroitement impliqué dans la création sans toutefois en être affecté. L’idée même que l’Être Suprême, la Vérité Ultime, puisse s’associer avec un monde aussi vil et fragmenté suscite des cris de protestation. Bien sûr, cette approche exclut tous les miracles, la Providence Divine, et toute intervention divine du même genre.
Mais, à la lumière de l’explication donnée ci-dessus, c’est une réalité totalement différente qui émerge. La raison pour laquelle D.ieu n’est pas affecté par la création ne tient pas au fait qu’Il en serait complètement détaché. Bien au contraire, c’est le fait que Lui et Sa création sont un qui en est la cause. Ainsi, le sens de la proclamation de D.ieu est : tout comme il n’existait rien d’autre que D.ieu avant la création, il en est de même après la création : il n’y a toujours qu’une seule et unique existence, celle de D.ieu, car Il est la définition même de l’existence, la substance de la création. Ainsi, la nature elle-même, la matérialité de notre monde sont divines.
Les fondations
Ces deux perspectives ne diffèrent pas seulement idéologiquement, mais également dans leurs applications pratiques.
Comment atteindre la spiritualité ? D’après les philosophes, il faut transcender les limites de ce monde, se détacher de la matérialité pour atteindre un niveau de sublimation propice à la spiritualité. Tant que l’on demeure prisonnier des limites de ce monde, disent-ils, on ne peut jamais vraiment parvenir à l’accomplissement spirituel, car D.ieu est effectivement « enfermé » hors de Sa propre création.
Le Judaïsme enseigne en revanche que l’on parvient à la spiritualité, non en fuyant l’ordre de la nature, mais en arrachant les voiles superficiels d’obscurité pour révéler la divinité présente dans la création et qui s’exprime expressément dans ce monde. Ainsi, alors que d’autres croient que D.ieu et le monde sont antinomiques et qu’il faut tourner le dos à la nature pour atteindre le divin, nous croyons que D.ieu n’est pas limité au royaume de l’esprit et qu’Il se trouve dans Sa création tout autant que dans le cosmos.
Et tel est bien le but de notre existence, la raison d’être de la création. « D.ieu désira avoir une résidence dans les royaumes inférieurs »,6 expliquent nos Sages. Notre mission n’est pas de créer quelque chose qui n’existe pas, mais de révéler la divinité qui est déjà présente au sein de la création, de prouver qu’il n’existe pas de dichotomie entre l’esprit et la matière, entre l’infini et le fini.
C’est aussi la raison pour laquelle les mitsvot sont essentiellement des gestes physiques, accomplis au moyen d’objets matériels, car c’est seulement ainsi que nous pouvons révéler que la divinité est présente même dans les aspects les plus concrets et les plus matériels de la création, ce qui est l’objectif de notre existence.
Le travail de la terre
Sur la base de ce qui précède, nous pouvons mieux comprendre le commentaire de Rachi cité au début de cet essai. Pourquoi la Torah a-t-elle choisi la mitsva de la Chemita, l’obligation de s’abstenir de tout travail agricole une fois tous les sept ans, pour en déduire que toutes les mitsvot furent enseignées au mont Sinaï à la fois dans leur sens général et dans leurs détails ? A priori, la Torah aurait dû choisir pour cela une mitsva plus « fondamentale », telle que celle de donner la charité ou d’observer le Chabbat.
Mais de fait, c’est particulièrement dans la mitsva de Chemita que s’exprime la raison d’être de tous les commandements. Durant l’année de Chemita, il était interdit de travailler la terre de quelque manière que ce soit et la certitude du Juif que D.ieu subviendrait alors à ses besoins d’une manière totalement surnaturelle exprimait sa foi absolue et son dévouement indéfectible envers son Créateur. Et pourtant, à tous égards mis à part cet aspect, cette septième année était une année ordinaire, car toutes les autres formes de travail étaient autorisées ; seul le travail lié aux cultures était interdit.
Cette idée exprime bien le concept même des mitsvot : révéler le surnaturel au sein du naturel, le divin au sein du profane, l’esprit au sein de la matière. C’est la raison pour laquelle la mitsva de Chemita est la source de laquelle découle toutes les autres mitsvot, car elle incarne le but des mitsvot et, en définitive, celui de la création.7 Ainsi, la prochaine fois que vous aurez l’occasion d’accomplir une mitsva, ne manquez pas cette opportunité en l’écartant au motif que ce ne serait qu’un acte trivial et dénué de sens. Sachez que la communauté de destin, en fait l’unique mission, qui unit l’ensemble de l’humanité et tout le cours de l’histoire, dépend de cet acte.
Basé sur des discours du Rabbi prononcés le Chabbat parachat Behar 5718 (1958) et en diverses occasions.8
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