Lors de « l’Alliance entre les parties », D.ieu dit à Abraham : « Sache que tes enfants seront des étrangers sur une terre qui ne sera pas la leur, et ils les asserviront et les feront souffrir… et par la suite, ils sortiront avec de grandes richesses. »
Certes, pour la plus grande partie de notre histoire, nous avons été des étrangers sur une terre qui n’était pas la nôtre. Il y eut l’exil égyptien qui précéda notre naissance en tant que nation, l’exil babylonien qui suivit la destruction du Premier Temple, l’exil grec à l’époque du Second Temple et notre présent exil qui commença avec la destruction du Temple par les Romains en 69 de l’ère commune et duquel nous attendons toujours de sortir, après dix-neuf siècles passés sous la domination de puissances étrangères.
L’exil – galout, en hébreu – est bien plus que la déportation physique d’une personne de sa patrie. Un individu en exil est arraché à l’environnement qui nourrit son mode de vie, ses principes et ses valeurs, et son identité spirituelle. En exil, tous ces éléments sont en péril, car c’est désormais sur lui seul que tout repose. Il ne peut s’en remettre qu’à sa propre force de détermination et de persévérance pour survivre. Comme l’enseignent nos Sages, « tous les voyages sont dangereux. »
Pourquoi sommes-nous en galout ? L’exil est généralement considéré comme une punition pour nos fautes collectives ou personnelles. C’est d’ailleurs ainsi que prophètes le décrivent et, dans nos prières, nous déplorons que « Du fait de nos péchés, nous avons été exilés de notre terre ». Mais si l’exil n’avait pour but que de corriger nos fautes, son intensité devrait diminuer graduellement, à mesure que sont expiés les péchés qui en sont à l’origine. Et pourtant, nous observons qu’à mesure qu’elle progresse, la galout se fait plus sombre et plus profonde. De plus, notre situation d’exil avait été prédite à Abraham dans son alliance avec D.ieu comme partie intégrante de la mission du peuple juif dans l’histoire, bien avant que les péchés qu’elle est censée expier ne soient accomplis.
La promesse
Une indication du sens profond de l’exil est donnée dans le thème de la « grande richesse » que D.ieu promit à Abraham en conséquence du séjour de sa descendance en Égypte. Cette promesse est de fait un thème récurrent dans le récit de l’exil en Égypte et de l’Exode, à tel point qu’on a l’impression que c’était là le but même du séjour en Égypte.
Dans la première apparition de D.ieu devant Moïse, lorsqu’Il se révéla à lui dans le buisson ardent et l’investit de la mission de faire sortir le peuple juif de l’Égypte, Il veilla à mentionner la promesse que « Lorsque vous partirez, vous ne partirez point les mains vides. Chaque femme demandera à sa voisine, à l'habitante de sa maison, des vases d'argent, des vases d'or, des parures... et vous dépouillerez l'Égypte [de sa richesse]. »
Durant la plaie de l’obscurité, lorsque l’Égypte fut plongée dans une obscurité si épaisse que les Égyptiens ne pouvaient pas bouger de leur place, les Juifs – qui n’étaient pas affectés par la plaie – purent aller et venir à leur guise dans les maisons des Égyptiens. Ceci, enseigne le Midrache, afin qu’ils puissent faire « l’inventaire » des richesses de l’Égypte de sorte que les Égyptiens ne purent pas nier l’existence des objets précieux que les Juifs leur demandèrent lorsqu’ils quittèrent le pays.
Et juste avant l’Exode, D.ieu dit de nouveau à Moïse : « Fais, de grâce, entendre au peuple que chacun ait à demander à son voisin [égyptien] et chacune à sa voisine, des vases d'argent et des vases d'or. » D.ieu supplie littéralement les Enfants d’Israël de prendre les richesses de l’Égypte !
Le Talmud explique que les Juifs étaient réticents à l’idée de retarder leur sortie d’Égypte pour pouvoir en rassembler les richesses.
À quoi cela est-il comparable ? À un homme qui est enfermé en prison et à qui l’on dit : Demain tu seras libéré de prison et tu recevras beaucoup d’argent. Ce à quoi il répond : Je vous en prie, libérez-moi aujourd’hui, et je ne demande rien de plus. [C’est pourquoi D.ieu dut les supplier :] Je vous en prie ! Demandez aux Égyptiens les ustensiles d’or et d’argent, pour que le Juste [Abraham] ne dise pas : Il a accompli “Ils seront asservis et torturés” mais Il n’a pas accompli “Ils sortiront avec une grande richesse”.
Toutefois Abraham lui-même n’aurait-il pas accepté de renoncer à la « grande richesse » promise pour hâter la rédemption de ses enfants ? Il est clair que, du point de vue de D.ieu, l’or et l’argent que nous emportâmes d’Égypte étaient des éléments indispensables de notre libération.
L’étincelle dans l’or
Le Talmud donne au phénomène de la galout l’explication suivante : « le peuple d’Israël fut exilé parmi les nations seulement dans le but que des convertis le rejoignent. »
Au niveau le plus littéral, cela fait référence aux nombreux non-juifs qui, au cours des siècles de notre dispersion, entrèrent en contact avec des Juifs et en furent inspirés au point de vouloir se convertir au Judaïsme. Mais les enseignements de la ‘Hassidout expliquent que le Talmud se réfère également à des « âmes » d’une autre sorte qui sont transformées et élevées au cours de nos exils : ce sont les « étincelles de sainteté » contenues dans la création matérielle.
Le grand kabbaliste Rabbi Isaac Louria a enseigné que chaque objet, force et phénomène en existence possède en soi une étincelle de sainteté, une parcelle de divinité qui constitue son « âme », sa teneur et sa forme spirituelle. Cette étincelle incorpore le désir de D.ieu que cette chose existe, et son rôle au sein du plan divin pour la création. Quand une personne fait usage de quelque chose pour servir son Créateur, il pénètre l’enveloppe de la matérialité de cet objet, révélant et actualisant son essence divine.
C’est à cette fin que nous avons été dispersés à la surface du globe : pour aller à la rencontre des étincelles de sainteté qui attendent leur rédemption dans chaque endroit du monde.
Chaque âme a ses propres « étincelles » dispersées de par le monde, qui sont en réalité une partie intégrante d’elle-même : aucune âme n’est complète tant qu’elle n’a pas rédimé toutes les étincelles qui lui sont rattachées. Ainsi avançons-nous dans la vie, ballottés d’un endroit à l’autre, et parfois d’un métier à un autre, par ce qui semble être des forces aléatoires. Mais tout est effet de la Providence divine, qui guide chacun vers les possessions et les occasions dont l’âme est intimement reliée à la sienne.
C’est pourquoi la Torah relate comment Jacob a risqué sa vie pour récupérer des « petites jarres » qu’il avait laissées derrière lui quand il franchit le gué de Yabok lorsqu’il revint en Terre Sainte. « Les justes, fait remarquer le Talmud, attachent plus d’importance à leurs biens qu’à leur corps. » Car ils reconnaissent le potentiel divin dans chaque parcelle de matérialité, et perçoivent en chacune de leurs possessions une composante de leur propre intégrité spirituelle.
La leçon
D’aucuns pourraient chercher à fuir la galout en s’enfermant dans un cocon de spiritualité, en consacrant leurs jours et leurs nuits à l’étude de la Torah et à la prière. Mais au lieu d’échapper à la galout, ils n’auront fait que s’y enfoncer, car ils auraient abandonné des parties de leur propre âme – leurs propres étincelles de sainteté – à la désolation de la matérialité non encore raffinée.
C’est seulement en relevant les défis que la Providence divine envoie à notre rencontre, en utilisant chaque petit morceau d’« or » et d’« argent » matériels à une fin divine, que nous pouvons extraire ces étincelles de leur galout, parvenir de ce fait à une rédemption personnelle et ainsi hâter la rédemption universelle, lorsque « le grand Choffar sera sonné, alors arriveront ceux qui étaient perdus dans le pays d'abondance, et ceux qui étaient relégués dans les terres de restrictions, et ils se prosterneront devant D.ieu, sur la Montagne Sainte, à Jérusalem. »
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