Dans la paracha Vayéchev, nous avons vu Joseph entamer son odyssée en Égypte. Nous l’avons suivi alors qu’il était vendu au boucher royal, promu à la position de régisseur en chef de la maisonnée de son maître, incarcéré sur des accusations mensongères et, par la suite, nommé administrateur en chef de la prison. Encore emprisonné, il interprète les rêves de ses compagnons prisonniers, prédisant que l’un d’entre eux serait prochainement libéré et lui demandant d’intercéder pour que lui-même soit élargi. La paracha s’achève lorsque ce prisonnier choisit d’ignorer la requête de Joseph, le laissant languir en prison.

Le modèle qui émerge de ces événements est celui d’une descente suivie d’une ascension illusoire. À deux reprises, au moment où Joseph paraît être sur le point de sortir de ses difficultés, il est à nouveau précipité plus bas : lorsqu’il commença à ressentir quelque assurance en sa qualité de régisseur du boucher, il lui fut montré combien cette assurance était fragile ; quand il se sentit de nouveau confiant lorsqu’il fut promu administrateur de la prison, il vit combien ses espoirs étaient vains. Les deux occasions où il accéda au pouvoir soulignent ainsi le peu d’indépendance qu’il possédait réellement, comment, même dans la position la plus avantageuse possible compte tenu des circonstances, il demeurait un simple esclave, un prisonnier. À la fin de la paracha, son succès apparent, plutôt que de lui donner de l’espoir, lui montre à quel point sa situation est dérisoire et le laisse désespéré.

La paracha Mikets montre Joseph de nouveau promu, cette fois au rang de vice-roi d’Égypte. Contrairement à ses promotions précédentes, il va cette fois demeurer dans son éminente fonction jusqu’à la fin de sa vie, et il se voit attribué non seulement le contrôle sur sa propre vie, mais également sur celle de tout le monde.

De ce point de vue, la vie de Joseph, telle qu’elle ressort de cette paracha, commence à refléter celle de son père, Jacob. Jacob avait aussi été précipité dans des circonstances difficiles et avait dû découvrir une manière de prospérer en dépit de ces difficultés. En manifestant son aptitude à réussir dans un environnement hostile, Joseph commença à faire montre des qualités essentielles que son père avait vues en lui dès sa naissance, ces qualités qui allaient lui permettre de poursuivre l’œuvre que Jacob lui-même avait amorcée : surmonter le plus difficile obstacle à la mission divine, l’exil.

L’essence de l’exil est de nous faire vivre sous le contrôle d’une puissance qui nous prive de la liberté de vivre comme D.ieu le voudrait. Peu importe si cette « puissance » est politique, sociale ou psychologique. Peu importe si nous nous y soumettons volontairement ou sous la contrainte. Peu importe si nous nous trouvons dans notre pays natal ou non. En tout état de cause, l’exil est la mentalité qui nous pousse à rechercher constamment l’approbation ou à nous soumettre à la volonté d’une autorité dont les valeurs sont contraires aux nôtres. Être en exil est ainsi le plus grand obstacle à la réalisation de notre potentiel divin, à notre accomplissement de la volonté de D.ieu et à la poursuite de notre véritable vocation.

Comme nous l’avons vu, lorsque Jacob vit qu’Ésaü n’était pas prêt à joindre ses forces aux siennes dans la mission de faire du monde la résidence de D.ieu, il réalisa que raffiner l’énergie et la passion d’Ésaü serait un processus long, laborieux et graduel. Au cours de ce processus, il y aurait des moments où les descendants d’Ésaü prendraient le dessus et où les descendants de Jacob, individuellement ou collectivement, se trouveraient spirituellement ou physiquement en exil. En de tels moments, il serait pour eux nécessaire de suivre l’exemple de Joseph et être capables de prospérer dans des circonstances défavorables et finalement même d’en triompher.

Cette capacité d’accomplir de grandes choses dans l’adversité, telle qu’incarnée par Joseph, apparaît dans le nom de cette paracha : Mikets, qui signifie « à la fin ». Le mot hébraïque pour « fin » employé ici signifie en réalité « extrémité » et fait ainsi allusion à la façon dont le mal, l’extrémité inférieure de l’échelle morale, doit susciter la révélation de nos forces profondes au service du bien, l’extrémité supérieure de cette échelle. De la même façon que les deux « extrémités » de tout processus se trouvent à son commencement et à sa fin, le mot Mikets fait allusion non seulement à la fin de l’exil – qu’il s’agisse de celui de Joseph en prison ou notre exil présent personnel ou collectif –, mais aussi à la façon dont cette situation elle-même devient le début de la Rédemption.

Comme nous le verrons dans la suite des événements, Joseph put inverser le cours de sa vie, se dégager de l’abîme et se hisser aux plus grandes hauteurs, en apprenant à faire abstraction de sa personne. Dès lors qu’il reconnut la présence de D.ieu et de Sa providence dans sa vie, abandonnant l’illusion que ses accomplissements étaient le fruit de ses propres efforts, le véritable succès cessa de lui échapper.

Telles sont les leçons de la paracha Mikets. Chaque descente que nous subissons a pour but de nous conduire à une ascension encore plus grande. La clé pour transformer une descente en ascension est de renoncer à la prépondérance de notre égo. Et le défi de l’exil est de retourner la situation contre lui, de s’emparer des forces de la passion et de l’ambition et de les transformer en forces bénéfiques et saintes.

Joseph puisa la force de faire taire son égo et de réussir dans l’adversité de la Torah qu’il avait étudiée avec son père durant son enfance. Nous aussi devons nous tourner vers la Torah pour y trouver l’inspiration et les instructions sur la manière de survivre dans notre exil et de l’exploiter positivement. À notre époque, nous devons nous tourner en particulier vers la dimension profonde de la Torah qui nous sensibilise à la dimension profonde de la réalité, nous permettant de discerner la véritable nature de toutes les épreuves de la vie : le moyen que D.ieu emploie pour nous élever à des niveaux supérieurs de maturité spirituelle.

Comme Jacob l’avait prédit, la rectification ultime d’Ésaü introduira la Rédemption finale. Ainsi, transformer l’extrémité du mal en extrémité du bien – en neutralisant notre ego et en demeurant fidèlement loyaux à notre mission divine – transformera-t-il également la noirceur extrême de l’exil en son extrême opposé dans la rédemption. Le nom de cette paracha, Mikets, fait ainsi référence non seulement à la dynamique de la transformation qui mène à la rédemption, mais également à la rédemption elle-même, la fin du long exil et le commencement du futur messianique.1