Faire jaillir un potentiel

Dans son Sidour, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi écrit1 :

Avant de prier, il convient de dire : J’accepte sur moi le commandement positif2 : “Aime ton prochain comme toi-même.”

Témoigner de l’amour envers son prochain prépare l’homme à intensifier sa relation avec D.ieu. Car un engagement sincère envers toute l’humanité requiert un véritable altruisme3 et c’est là l’approche qui devrait caractériser notre relation avec D.ieu. Mais pourquoi nous en demande-t-on la déclaration verbale ? Pourquoi l’accent n’est-il pas plutôt placé sur la méditation sur cette idée ?

On peut expliquer qu’au niveau de l’essence, l’unité existe dans tout notre peuple : « Ils sont tous complémentaires et ont tous un même Père. Grâce à cette racine commune dans le D.ieu unique, tous les membres d’Israël sont appelés ‘frères’ au plein sens du terme. »4

Bien trop souvent, cependant, cette unité n’est pas manifeste dans les relations que les hommes entretiennent entre eux. En prononçant ces mots à voix haute, nous concrétisons ce potentiel, lui donnant une expression dans notre réalité matérielle.5

L’importance de cette déclaration dépasse largement les quelques mots qui la composent. Son objectif est qu’un acte en entraîne un autre dans un cercle vertueux qui motive une personne à exprimer son amour pour ses prochains qui seront à leur tour enclins à la réciproque. Faire cette déclaration de principe ouvre un canal à travers lequel nos sentiments profonds peuvent s’exprimer,6 afin qu’ils se manifestent ensuite dans des actions concrètes en faveur d’autrui.

Une force unificatrice

Le même cheminement se retrouve dans la paracha de cette semaine. Vayigach signifie « Et il s’approcha » : Judah s’approcha de Joseph.7 Mais ce mouvement vers son frère avait pour Judah un but autre qu’un simple rapprochement physique. Rachi explique8 que Judah dit à Joseph : « Que mes mots puissent pénétrer dans tes oreilles », c’est-à-dire qu’il désirait initier une véritable communication.

Le geste de Judah eut d’immenses répercussions.9 Le récit poursuit « Joseph ne put plus se retenir ».10 Après des années de séparation, les frères s’étreignirent, s’embrassèrent et s’exprimèrent librement.11 Les fils de Jacob revinrent chez leur père en apportant la nouvelle que Joseph était toujours vivant, suite à quoi Jacob descendit en Égypte pour le rejoindre, rétablissant l’unité parmi tous les Juifs.

De l’intérieur vers l’extérieur

La spirale amorcée par l’approche de Judah vers Joseph eut des ramifications plus grandes.12 Le Zohar13 décrit en effet leur union comme symbolisant le rapprochement entre le monde matériel et le monde spirituel.

L’explication de cela est que, en son essence, le monde dans son ensemble ne fait qu’un avec D.ieu. C’est là le sens de la phrase : « D.ieu est un » dans le Chéma.14 Cela ne signifie pas simplement qu’il y a un D.ieu unique, mais que toute existence ne fait qu’un avec Lui.15 Toutefois, l’unité qui imprègne la création n’est pas révélée ouvertement. Bien au contraire, le monde apparaît comme n’étant qu’une collection d’entités distinctes et séparées.

Exprimer l’unité intrinsèque qui existe entre les hommes sert d’élément catalyseur pour parvenir à l’unité dans le monde, permettant à celui-ci d’exprimer la vérité spirituelle. C’est ce qui apparaît dans la conduite de Jacob et de ses fils en Égypte : bien que s’installer dans ce pays impliquât une descente en exil et que l’Égypte fût un pays moralement dépravé,16 ils y établirent un modèle de vie orientée vers la spiritualité.17 Le Pharaon leur accorda la meilleure partie de la terre,18 leur promettant « le meilleur de l’Égypte sera vôtre ».19

Jacob et ses fils utilisèrent au mieux cette opportunité. Nos Sages enseignent20 que ce furent là les meilleures années de Jacob. Tout au long de sa vie, il avait cherché à exprimer des valeurs spirituelles au sein des réalités quotidiennes de la vie. En Égypte, l’occasion lui fut donnée d’accomplir pleinement cet idéal.

Découvrir l’identité

Ce qui précède ne concerne pas uniquement les époques où la Présence Divine apparaissait ouvertement. Bien au contraire, le récit commence dans l’obscurité la plus absolue. Judah ignorait qu’il s’adressait à Joseph. Il pensait être face au vice-roi égyptien qu’il devait implorer pour qu’il laisse Benjamin en liberté alors que celui-ci se trouvait dans une situation compromettante. Malgré la faiblesse de sa position, Judah avança en direction de l’unité21 et c’est cette approche qui permit la révélation que le gouverneur de l’Égypte était en fait Joseph.

De la même façon, bien qu’aujourd’hui les Juifs puissent avoir besoin de l’aide de gouvernements non-juifs pour leur sécurité, ils doivent prendre conscience qu’une dynamique subtile et intérieure est à l’œuvre. Ce n’est pas un Égyptien qui détermine notre destinée : « Les cœurs des rois et des ministres sont entre les mains de D.ieu. »22 C’est D.ieu, et non les puissances du monde, qui contrôle le destin de notre peuple tout entier et de chaque individu en particulier.

Notre conduite et notre choix des priorités doivent se structurer de la même manière. Nul besoin d’accepter les standards du monde. En imitant l’exemple de Judah et en aspirant à l’unité du sein même de notre situation présente, nous pouvons initier un processus qui mènera à l’expression manifeste de la nature divine de notre monde.

L’Égypte n’est pas la fin du voyage

Durant son voyage vers l’Égypte, Jacob eut une vision au cours de laquelle D.ieu le rassura23 : « Ne crains pas la descente en Égypte », et Il lui promit « Je descendrai en Égypte avec toi et Je m’assurerai que tu en remonteras ». Bien que Jacob eût conscience de ce qu’il pourrait réaliser en Égypte, il était réticent à l’idée de ce déplacement. Car la prospérité en exil, même si elle est utilisée pour créer un modèle d’existence spirituelle, n’est pas le but de la vie juive.

La véritable vie d’un Juif se trouve en Terre d’Israël et plus particulièrement dans la Terre d’Israël telle qu’elle existera à l’Ère de la Rédemption. Telle est la promesse que reçut Jacob de D.ieu : ses descendants seraient sauvés d’Égypte et vivraient en Terre d’Israël avec Machia’h.24

Pourquoi alors descendit-il en Égypte ? Parce qu’il avait compris que la Rédemption doit être apportée par le service divin de l’homme. L’établissement d’une société orientée vers la spiritualité au sein de la prospérité matérielle procure un avant-goût de la Rédemption et prépare le monde à un temps où cette Rédemption sera manifeste. Telle était la finalité de la vie de Jacob en Égypte.

Le thème de la Rédemption est également souligné par la Haftara qui évoque la réunion future25 entre Joseph et Judah26 : « Je prendrai les enfants d’Israël parmi les nations... et Je les conduirai vers leur propre terre. J’en ferai une nation unique sur la terre... Ils ne seront plus deux nations, divisées en deux royaumes », et la promesse27 : « Et Mon serviteur David sera leur prince à tout jamais », car à l’Ère de la Rédemption, l’aspiration altruiste pour l’unité recevra la prééminence qu’elle mérite.

Adapté de
Sefer HaSi’hot 5750, p. 212ff ;
Sefer HaSi’hot 5751, p. 206ff ;