Machia’h – « Chalia’h »

Lorsque D.ieu ordonna à Moïse d’aller en Égypte libérer les Enfants d’Israël, celui-ci lui répondit « Chla’h na beyad tichla’hEnvoie, de grâce, quelque autre que Tu enverras ! »1 Le Midrache explique ainsi cette réponse : Moïse dit à D.ieu « Maître du monde, envoie à ma place le roi Machia’h qui doit être envoyé dans le futur. »2 Il ressort de cet échange que la Torah elle-même confère au Machia’h la qualité d’« émissaire » pour libérer le peuple juif.

Moïse fit cette demande à D.ieu car il savait que ce ne serait pas lui qui mènerait le peuple en Terre Sainte et qui les libérerait dans le futur. C’est pour cela qu’il demanda que ce soit le Machia’h qui le fasse aussi sortir d’Égypte.

Cela suscite cependant une interrogation : Moïse avait certainement compris que, bien que D.ieu sache qu’Il enverrait le Machia’h libérer le peuple juif dans le futur, Il avait néanmoins choisi de l’envoyer lui, Moïse, libérer le peuple d’Égypte. Pourquoi a-t-il, malgré cela, demandé que ce soit le Machia’h qui prenne sa place ?

Et, d’un autre côté, si Moïse, qui avait pourtant atteint le summum de la sagesse, fit cette demande, pourquoi ne fut-elle pas exaucée ?

En réalité, puisqu’il s’agit de la demande de Moïse, et que celle-ci est mentionnée dans la Torah de vérité, elle fut réellement accomplie.

En effet, le sens de cette requête fut que le « premier libérateur » (Moïse, qui délivra le peuple d’Égypte) et le « dernier libérateur » (le Machia’h) soient liés et unifiés,3 C’est ainsi que nos Sages ont dit « Le premier libérateur est le dernier libérateur ».4

La première Chli’hout dans la Torah

Notre paracha, ‘Hayé Sarah, raconte comment Avraham envoya son serviteur Eliézer chercher une femme pour son fils Its’hak.

Il convient de se demander quel était alors le statut d’Eliézer : fut-il un « Chalia’h », un émissaire, représentant exclusivement celui qui l’envoie, ou bien un « Chadkhan », un entremetteur, qui, de son plein gré, rend un service à son prochain ?

On peut, a priori, avancer qu’Eliézer fut un entremetteur, car il entreprit de lui-même des efforts pour trouver un bon parti à Its’hak, lors desquels il dut se fier à son jugement personnel.

Il est cependant plus logique d’affirmer qu’il fut un émissaire, entièrement soumis à la volonté d’Avraham, car il accomplit méticuleusement les instructions de ce dernier dans les moindres détails. Une autre preuve de cela est qu’il emporta avec lui toute la fortune d’Avraham (pour que les parents de la jeune fille acceptent de la donner en épouse à Its’hak) ! Le fait qu’Avraham eut une telle confiance en lui, prouve qu’Eliézer lui était totalement dévoué et qu’il était donc un émissaire.

Ce fait doit néanmoins être éclairci : il n’est pas normal (y compris d’après la Halakha, la loi de la Torah) qu’un père fasse, de son vivant, cadeau à son fils de l’intégralité de ses biens. Ceci d’autant plus qu’Avraham vécut encore trente-cinq ans après cet épisode pendant lesquels il eut besoin de profiter de ses biens. En outre, Avraham étant extrêmement riche, il aurait aussi bien pu faire don d’une partie honorable de son patrimoine à Its’hak. Pourquoi fallut-il qu’il lui donne tous ses biens ?5

Le premier mariage

Ce cadeau d’Avraham à son fils témoigne de l’extraordinaire importance qu’eut à ses yeux le mariage de Its’hak et de Rivkah. Au-delà d’être le mariage de deux individus, ce fut là en effet le premier mariage juif de l’histoire (après l’accomplissement du commandement de la circoncision). C’est de ce mariage qu’est sorti le peuple juif et c’est de lui que ce dernier puise les fondements de son existence jusqu’à la fin des temps.

C’est la raison pour laquelle Avraham donna à son fils l’intégralité de ses biens : ce faisant, il montra qu’il investissait dans ce mariage tout son être, toute son essence, car l’essence profonde d’Avraham est d’être le père du peuple juif. Ce mariage ne fut pas seulement celui de son fils, il fut la concrétisation de toute son existence. C’est pourquoi il y consacra toutes ses possessions et toute sa force.

Cela prouve également qu’il fallait qu’Eliézer ait un statut d’émissaire, totalement effacé devant la volonté d’Avraham : de même que ce dernier avait tout donné pour ce mariage si important à ses yeux, il était indispensable que le dévouement de son serviteur à ce dessein soit absolu.

L’unification des dimensions supérieures et inférieures

Comme cela est expliqué dans la ‘Hassidout, le mariage de Its’hak et de Rivkah symbolise la finalité de l’ensemble de la Création : l’union et l’unification de l’âme et du corps.6 Its’hak était en Terre Sainte et lui-même fut sanctifié par l’épreuve de son sacrifice. Rivkah se trouvait en dehors de la Terre Sainte, dans la maison de Bétouel et de Lavan. Elle était, comme dit le Midrache, comme « une rose parmi les ronces ».

Le mariage de Its’hak et de Rivkah exprime donc la réunion de ces deux principes : le spirituel et le matériel, l’âme et le corps. Cette union constitue le but de la Création et de l’accomplissement de tous les commandements de la Torah. Il s’agit en effet de faire résider la Sainteté Divine ici-bas et de faire de ce monde-ci un réceptacle pour le dévoilement de la lumière divine.

L’émissaire lui-même est également composé de deux dimensions opposées (à l’image du corps et de l’âme) : il est, d’une part, une personne à part entière, et, d’autre part, il est intégralement dévoué à celui qui l’envoie et ne fait rien qui ne s’inscrive dans la volonté de ce dernier. Le fait qu’Eliézer eut à cœur d’être un émissaire fidèle en réunissant en lui ces deux aspects lui permit d’accomplir sa mission avec succès et d’effectuer l’union entre la sainteté, spirituelle, et la réalité matérielle.

Cela explique également pourquoi la Torah fait un récit tellement long et détaillé de la mission d’Eliézer : dans une mission si fondamentale, chaque détail est chargé d’une signification profonde et d’une importance décisive.

L’union entre Moïse et le Machia’h

Ce qu’Eliézer a commencé à accomplir à travers sa mission – le mariage de Its’hak et de Rivkah, l’union de la l’âme et du corps, de la Sainteté Divine avec le peuple juif et le monde dans son ensemble – sera amené à sa perfection par le Machia’h.

C’est pour cette raison que le Machia’h est défini comme un émissaire. Il contient en effet en lui deux aspects opposés : il est d’une part un être humain vivant, « une âme revêtue d’un corps »7 et, en même temps, il est l’émissaire de D.ieu, totalement unifié avec Lui. Et, du fait que se conjuguent en lui ces deux principes, il est en mesure d’en réaliser l’union au sein du monde.

Nous comprenons, dès lors, le sens de la requête de Moïse « Chla’h na beyad tichla’hEnvoie, de grâce, quelque autre que Tu enverras ! », lorsqu’il réclama l’unification entre lui-même, le libérateur d’Égypte, et le Machia’h :

L’occupation principale de Moïse fut la transmission de la sagesse de la Torah8. La fonction principale du Machia’h, quant à lui, est de régner.9

Moïse a donc le pouvoir de transmettre, car c’est la Torah qui véhicule les forces nécessaires à toutes les dimensions du service de D.ieu, y compris la Délivrance messianique. Le Machia’h a la capacité de recevoir : en étant totalement annulé devant D.ieu, il s’élève au point de recevoir toutes les forces d’En-Haut, jusqu’à dépasser Moïse lui-même. C’est pour cela que c’est lui qui amènera la délivrance à tous les Enfants d’Israël, y compris à Moïse !

Or, la demande de Moïse effectua son unification avec le Machia’h : celui-ci reçut la qualité de la sagesse, et à l’ère messianique c’est lui qui enseignera la Torah à Moïse. Moïse reçut la qualité de la royauté, comme dit la Torah à son sujet « Il y eut un roi en Yéchouroun ».10 C’est pourquoi le mot hébraïque « Machia’h » a la même valeur numérique que le mot « chalia’h » (émissaire), additionné de dix. Cela enseigne en effet que le rôle du Machia’h est d’effectuer sa mission avec l’ensemble des dix forces de son âme, depuis « ‘hokhma », la sagesse, jusqu’à « malkhout », la royauté.

Cela concerne chaque Juif

Cette mission, qui commença avec Eliézer et qui s’achève avec le Machia’h, a été confiée à chaque Juif. Il existe deux approches possibles quant à sa réalisation : cela peut prendre la forme d’une transmission au monde pour le sanctifier (comme l’action de Moïse, à l’image du Soleil qui éclaire la Terre), ou bien cela peut se faire à travers l’effacement absolu de soi devant D.ieu afin de susciter le même mouvement dans le monde (comme l’action du Machia’h, à l’image de la Lune qui reçoit la lumière du Soleil).

Cependant, comme il existe une union profonde entre Moïse et le Machia’h, chaque Juif a le pouvoir d’être complètement annulé et effacé devant D.ieu tout en étant une personne sensée qui réfléchit et comprend par ses propres moyens de quelle manière accomplir sa mission personnelle et « éclairer le monde ». Et, de même qu’Avraham confia à Eliézer « tout ce qu’il possédait » pour qu’il puisse réaliser pleinement sa mission, D.ieu nous donne également « tout ce qu’Il possède » pour que les moindres détails de notre mission d’unifier l’âme et le corps soient pénétrés de ce qui constitue la finalité et la plénitude de la Chli’hout : la révélation prochaine du Machia’h.

Adapté du discours du Rabbi du Chabbat ’Hayé Sarah 5752