L’une des plus célèbres citations talmudiques au sujet de la Délivrance est celle de Rabbi Yo’hanan dans le traité Sanhédrine (98a) : « Le fils de David ne viendra que dans une génération totalement méritante ou totalement coupable. » Le sens simple de ces mots est que le Machia’h viendra dans l’une ou l’autre de ces situations extrêmes : soit quand le bien atteindra son apogée, soit que le mal sera à son comble.
Ceci nécessite néanmoins une explication. Nous savons, en effet, que le mal ne disparaîtra de ce monde qu’après la délivrance messianique, lorsque s’accomplira la prophétie « J’effacerai l’esprit du mal de la surface de la Terre. »1 Comment, dès lors, peut-on envisager qu’une génération soit « totalement méritante » ? D’un autre côté, comment serait-il possible qu’une génération soit « totalement coupable » ? Pourrait-on concevoir une époque où plus aucun Juif n’étudierait la Torah et n’accomplirait de Mitsvot ?
Séparer le bien du mal
Le Maharcha explique dans son commentaire sur le Talmud que ces deux éventualités correspondent à deux scénarios possibles de la Délivrance précédemment évoqués dans le même traité (97b). Rabbi Eliézer dit : « Si Israël fait téchouva (se repent), il sera délivré. » C’est le scénario de « totalement méritant » : le peuple juif, faisant de lui-même téchouva devient méritant et est immédiatement délivré. Rabbi Yéhochoua dit que si le peuple juif ne fait pas Téchouva de lui-même « D.ieu leur enverra un roi dont les décrets seront durs, comme Haman, et Israël fera téchouva. » C’est le scénario de « totalement coupable », dans lequel le peuple juif est en lui-même au plus bas, et D.ieu le force à revenir vers Lui et être ainsi digne d’être délivré.
Le Maharal de Prague2 explique de façon plus approfondie les paroles de Rabbi Yo’hanan : La venue de Machia’h constituera une existence et une perfection nouvelles dans ce monde. Pour cette raison, elle ne peut se faire quand le monde mène son existence habituelle, mais seulement dans l’un de ces deux cas : soit que la génération est « totalement méritante », étant parvenue au sommet de la perfection humaine et se retrouve donc prête au dévoilement divin de la Rédemption. Soit qu’elle est « totalement coupable », étant tombée au plus bas niveau de la condition humaine, ce qui permet de « construire sur un terrain dégagé » le monde nouveau de l’ère messianique.
La ‘Hassidout explique que la rédemption se fait lorsque la tâche d’extraire le bien du mal est terminée.3 Nous avons en effet pour mission de séparer le mal du bien auquel il s’est mélangé et d’établir des limites claires entre eux. Tant que le bien et le mal sont mélangés l’un dans l’autre, la Délivrance ne peut se faire. Elle adviendra dans l’un des deux cas : soit le bien repoussera totalement le mal (« totalement méritante »), soit le mal surmontera le bien et le dominera (« totalement coupable ») et D.ieu l’anéantira alors.
Les signes de la Délivrance
Cependant, si la génération est « totalement coupable », par quel mérite viendrait la Délivrance ? Le Talmud répond à cela par le verset suivant : « Et Il a vu qu’il n’y avait pas d’homme, Il a constaté avec stupeur que nul n’intervenait ; alors c’est Son bras qui vint à son secours… »4 C’est-à-dire que lorsque D.ieu constatera que le peuple juif n’a pas de mérite propre, Il le délivrera de Lui-même.
Dans son commentaire sur ce verset, le Radak explique que cette situation n’aura lieu qu’au début du processus de la Délivrance. Il peut arriver que « le peuple ne fasse pas téchouva avant d’avoir vu le début de la Délivrance », mais lorsque les Juifs auront vu les signes de la Délivrance « la majorité d’entre eux feront Téchouva », dit le Radak. Il précise également qu’il ne saurait y avoir de génération « totalement coupable » : « Il est impossible qu’il ne se trouve dans le peuple juif des personnes justes et bonnes qui seront dignes de la Délivrance. » D’après lui, la qualification de « totalement coupable » se réfère seulement à la génération dans son ensemble et n’implique pas que tous soient déméritants.
Plusieurs Tsadikim de la génération précédente ont déclaré qu’ils ne laisseraient jamais se développer une situation où la génération serait « totalement coupable ». Cependant, cela implique de faire en sorte qu’elle soit « totalement méritante ». Comment est-ce envisageable dans la situation actuelle marquée par l’assimilation, etc ? Il ressort toutefois que c’est précisément parce que nous sommes une génération orpheline connaissant tant de difficultés et d’épreuves, celle dite du « talon du Machia’h », qu’il est plus facile de la considérer comme « totalement méritante ». Ainsi écrivait le Rav de Chinava :
« Aujourd’hui, dans le “talon du Machia’h”, alors que s’est accomplie la prédiction des Sages selon laquelle “la sagesse des scribes sera corrompue et ceux qui craignent la faute seront méprisés par la foule”… notre étude et notre prière sont encore plus appréciées par D.ieu que celles des premières générations. »5
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