En route pour l'exil
Quand les Juifs, chassés par Néboukhadnetzar, quittèrent Jérusalem, à peine vêtus et pieds nus, ils traversèrent le pays des Béérim.
Les voyant dans un si pitoyable état, les Béérites furent pris de compassion. Ils rassemblèrent sur-le-champ leurs serviteurs, leur ordonnèrent de quitter leurs vêtements, et les emmenèrent nus devant Néboukhadnetzar.
– O roi, dirent-ils, le spectacle de vos captifs marchant le corps et les pieds nus nous a permis de conclure qu'il plaît à votre Majesté que ses sujets circulent sans vêtement. Pour vous marquer notre loyalisme, nous venons de vous faire don de nos esclaves, et, afin de complaire à votre désir, nous les avons, par surcroît, déshabillés.
Si le discours était dans sa forme, irréprochable, il n'en allait pas de même du ton sur lequel les Béérites l'avaient prononcé. Il était évident que ces derniers ne voulaient rien moins que tourner le roi en dérision. Celui-ci le comprit. Il en fut honteux et gêné.
– Mes bons sujets, répondit-il, si vous voulez vraiment m'offrir un cadeau qui me fasse plaisir, allez chez vous et revenez avec ce qu'il faut pour vêtir mes captifs. Ainsi, je pourrai couvrir leur nudité.
Les Béérites furent enchantés du résultat de leur stratagème. Ils coururent chez eux et vidèrent leurs armoires de tous les habits sur lesquels ils purent mettre la main. Revenant en hâte, ils donnèrent les vêtements aux Juifs reconnaissants en leur disant : « Nous sommes persuadés que si vous continuez à avoir foi en votre grand Dieu, il n'y a pas de doute qu'il vous vienne en aide ».
Et Dieu, prenant en considération cette noble action des Béérites, dit : « Parce que les Béérites ont agi avec bonté à l'égard de Mes enfants, nombreuses seront les bénédictions que Je leur accorderai. Ils seront célèbres par leur beauté, par la bonté de leur caractère et par leur bonne fortune.
Sur les bords des fleuves de Babylone
Quand les captifs arrivèrent à Babylone, une humiliation supplémentaire les attendait : une fête d'un faste vraiment royal devait avoir lieu en leur présence, et à laquelle assistèrent Néboukhadnetzar en personne, ses ministres et ses généraux.
Au beau milieu des réjouissances, le roi tout à coup s'aperçut que les prisonniers pleuraient.
– De quoi maintenant vous plaignez-vous ? leur cria-t-il. N'est-il pas suffisant que, grâce aux vêtements que je vous ai donnés, vous n'ayez plus à vous montrer dans votre nudité. Approchez donc, approchez de nos dieux ; jouez-nous de vos instruments et chantez-nous vos chants de Sion. Allez, divertissez-nous !
Les Juifs se regardèrent avec effroi, et se chuchotant l'un à l'autre : « N'avons-nous pas assez péché ? Au point que notre saint Temple a été détruit ! Non, nous n'ajouterons pas à nos fautes en chantant devant ces images de pierre ! Non, non, jamais ! »
Et, en même temps qu'ils murmuraient ainsi, ils mirent chacun les doigts de la main droite dans sa bouche, et les mordirent si violemment qu'ils en brisèrent les phalanges.
Néboukhadnetzar s'impatientait. Il leur cria à nouveau : « Alors ! Pourquoi ne m'obéissez-vous pas ? Combien de temps faudra-t-il encore attendre ces fameux chants de Sion ? »
Ils lui montrèrent leurs mains et dirent : « Comme vous voyez, ô roi, nos doigts sont cassés et nous ne pouvons jouer sur nos instruments. Ce sont les chaînes de votre captivité qui en sont responsables. »
Néboukhadnetzar savait fort bien que les Juifs s'étaient, de propos délibéré, privés de l'usage de leurs doigts. Il entra dans une grande colère. « Vous avez donc osé me braver, hurla-t-il ; sans doute vouliez-vous aussi vous moquer de moi. Mais vous me le paierez cher ! »
– O roi, permettez-nous de nous expliquer, supplièrent les captifs. Nous sommes juifs, et comme tels nous avons prêté serment de ne jamais chanter nos chants de Sion sur une terre étrangère. Nous craignions que vous ne nous fassiez subir la torture si nous refusions de jouer pour vous sur nos instruments. C'est pourquoi nous nous sommes cassé les doigts ; ainsi, faire de la musique nous devenait impossible. Nous sommes entre vos mains, vous pouvez faire de nous ce qu'il vous plaira. Mais nous ne romprons jamais notre vœu sacré ! Si vous nous envoyez à la mort, la pensée d'être restés fidèles à notre serment, même au prix de notre vie, sera notre consolation !
Ces paroles courageuses traversèrent les portes du ciel, et Dieu dit : « Mes enfants ont mérité leur liberté ! Je détruirai leurs ennemis, de sorte qu'ils ne puissent jamais plus leur faire du mal ! »
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