Pourquoi Rav Yossef célébrait-il la fête avec tant de conviction ?

Dans sa description de la nouvelle dimension du service divin apportée par le Don de la Torah, le Talmud1 rapporte que Rav Yossef le célébrait par une fête très particulière. Pourquoi ?

« Car sans ce jour qui occasionna [un changement radical]… combien de Yossef seraient-ils là-bas, au marché ? »

Rachi explique :

« Sans ce jour où j’étudiai la Torah et en sortis purifié[…] voici, il existe de nombreuses personnes dans la rue et qui s’appellent Yossef. Quelle différence y aurait-t-il eu entre moi et elles ? »

Rav Yossef parlait entre termes imagés. Le marché sert d’analogie pour notre monde matériel, soulignant trois aspects de notre existence :

a) Tout d’abord, au marché, il existe de nombreux domaines séparés ; chaque commerçant possède son propre étal ou sa propre boutique.

b) De plus, c’est un lieu d’intense activité, chacun essayant à tout prix de faire des profits.

b) Enfin, ces profits s’opèrent par l’intermédiaire de transactions commerciales.

Dans la parabole de Rav Yossef, on peut retrouver des équivalences : notre monde se caractérise également par la pluralité. Chaque élément de l’existence est une entité séparée, sans lien apparent avec les autres.2 Toutefois, c’est dans ce monde, par opposition au Monde Futur, que l’âme peut réellement avancer et faire du profit. C’est pourquoi, nos activités matérielles sont emplies d’énergie.

Les « échanges commerciaux qui génèrent du profit » impliquent qu’il faille apporter des entités d’un domaine à l’autre, faisant en sorte que des objets matériels qui apparaissent tout à fait indépendants les uns des autres, s’unissent en entrant en la possession de D.ieu, pour ainsi dire, en révélant leur intériorité spirituelle.

Un changement durable

Rav Yossef parle des « Yossef au marché ». Le mot Yossef est associé avec l’idée d'accroissement.3 Rav Yossef signifiait par là que même avant le Don de la Torah, il y avait « de nombreux Yossef au marché » c'est-à-dire qu’il existait des guides spirituels capables de produire le profit qui résulte du contact entre le matériel et le spirituel. Mais le Don de la Torah fit une différence.

Tout d’abord, il établit l’unité. Avant le Don de la Torah, il y avait de « nombreux Yossef », c'est-à-dire que les efforts des dirigeants spirituels, bien que significatifs, restaient divers ; chacun avait ses propres élans. Le Don de la Torah apporta une lumière supérieure, une lumière qui permit la synthèse entre les différentes approches. Elle permit un niveau d’unicité à multiples faces et les dépassant toutes.

En outre, et comme cela apparaît dans les mots cités plus tôt par Rachi, le Don de la Torah créa le potentiel pour les entités matérielles de « s’élever ». Avant le Don de la Torah, les révélations de la Divinité rendues possibles par l’intermédiaire des Patriarches n’affectaient pas la substance matérielle du monde.

Par exemple, quand Yaakov disposait des bâtons de peuplier, d’amandier et de marronnier devant le troupeau de Lavan,4 ses actions avaient le même effet spirituel que celui obtenu par notre observance de la Mitsva des Tefiline.5 Cependant, son service spirituel achevé, les bâtons restaient d’ordinaires morceaux de bois aucunement affectés dans leur essence.6 Par contre, quand un Juif met les Tefiline, elles en deviennent sacrées. La Mitsva agit spirituellement sur la substance matérielle et l’élève au-dessus du niveau profane.

Pas simplement une histoire

Bien que le changement radical décrit par Rav Yossef soit associé au Don de la Torah au Sinaï, son intention n’était pas simplement de relater un événement historique. Car le passé de notre peuple n’est pas coupé de son présent. Dans cette veine, à propos du verset : « ces jours sont rappelés et mis en pratique »,7 le Ari Zal explique8 que lorsqu’un jour de fête est rappelé comme il le faut, il est « revécu », c'est-à-dire que les influences spirituelles qui le distinguaient sont à nouveau ressenties. Ainsi, chaque année, la célébration du Don de la Torah à Chavouot plonge la personne dans un rapprochement avec D.ieu toujours plus profond et dans un degré d’unicité plus fort encore.

Cela se reflète dans le nom de la lecture de la Torah, le Chabbat de Chavouot cette année, Nasso. Nasso signifie « lever ». Pus particulièrement, le verset9 avec lequel la Paracha commence est : « levez les têtes… » La tête, siège de l’intellect est la partie la plus développée de notre corps physique. Et pourtant, le Don de la Torah nous rend capable de « lever » nos têtes à une hauteur plus élevée encore.

Car lorsqu’un homme étudie la Torah, il ne s’agit pas simplement pour lui de contempler D.ieu avec des yeux d’homme. Mais il assimile la sagesse de D.ieu à travers son processus intellectuel. Et la connaissance du Divin que gagne cet homme reste avec lui, changeant et élevant son mode de pensée.10

Etendre le lien

Néanmoins, une question peut se soulever : le commandement, qui commence la Paracha, de « lever les têtes » (qui dans ce contexte signifie faire un recensement) fut donné en dehors de celui de recenser les Lévites. L’objet du commandement de D.ieu concerne ici « les descendants de Guerchon », les Lévites chargés de porter les rideaux qui couvraient le Sanctuaire. Ce sont les descendants de Kehat qui étaient responsables de l’Arche contenant les Tables de la Loi et la Menorah, toutes deux associées à la Torah. Or le commandement de les compter, eux, figure dans la précédente Paracha, Bamidbar.11 Si l’intention de Nasso est de souligner l’effet sublime de l’étude de la Torah, pourquoi est-elle associée avec les descendants de Guerchon ?

La réponse est que l’étude de la Torah ne peut rester une activité spirituelle isolée. Elle devrait élever le service de la prière (associé aux descendants de Guerchon) et en fait, chaque aspect de notre conduite. Plus encore, quand un individu a ainsi élevé son service spirituel, il a la capacité d’élever le monde autour de lui, le rapprochant encore de D.ieu.

C’est ce que traduit la conclusion de la Paracha, qui décrit les dernières étapes de l’inauguration du Sanctuaire. Car le but du Sanctuaire était bien de propager la sainteté à travers le monde, rapprochant de D.ieu ses dimensions matérielles par l’offrande des sacrifices.

Appliquer ces leçons, nous dédier à l’étude de la Torah et utiliser cette étude pour élever notre conduite et notre environnement hâtera la venue de l’ère où l’humanité et le monde en général atteindront leur apogée : « Le monde sera rempli de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent le lit de l’océan. »12

Adapté de Sefer HaSi'hot 5750, p. 493 ff.