Né à Worms en 1215, le célèbre Rabbi Meïr de Rothenburg (connu sous l'acrostiche de son nom, Maharam) fut très vite reconnu pour sa vaste érudition talmudique. Il écrivit de nombreux livres et répondait aux questions que lui posaient des rabbins de toute l’Europe. Dans sa Yéchiva, des centaines de jeunes Juifs étudiaient le Talmud et les Décisionnaires. Rabbi Meïr était considéré comme le grand-rabbin de France et d’Allemagne.
Alors qu’il était déjà âgé, des pogromes éclatèrent. Sous des prétextes futiles, les foules se déchaînaient contre les Juifs et le sang juif était versé comme de l’eau : tous les Juifs étaient menacés et même le vénérable Rabbi dût s’enfuir. On raconte que c’est en route pour la Terre Sainte qu’il fut reconnu, arrêté et finalement emprisonné sur l’ordre du souverain, Rodolphe. Celui-ci annonça que son illustre otage ne serait libéré qu’en échange d’une énorme rançon.
Quand Rabbi Meïr apprit cela, il fit immédiatement stopper les collectes qui s’organisaient déjà dans la communauté : la loi juive interdit, en effet, de céder à ce genre de chantage car cela ne fait qu’augmenter l’émergence d’autres enlèvements et extorsions de fonds.
C’est ainsi que durant six ans, il croupit dans une prison, au sommet d’un donjon surplombant le fleuve : il révisa toute la Torah qu’il avait apprise par cœur auparavant, jusqu’à son décès à l’âge de 78 ans. Déçu de n’avoir pas obtenu l’argent qu’il demandait, Rodolphe refusa cruellement qu’on procède à l’enterrement de son prisonnier. Ce n’est que sept ans après la mort du Rabbi qu’un Juif riche offrit au souverain toute sa fortune pour pouvoir l’inhumer dignement.
Même si Rabbi Meïr connaissait parfaitement des milliers de pages de Torah, il souffrait de ne pas disposer d’un véritable Séfer Torah. On lui avait procuré des Téfilines et d’autres objets de culte mais pas de Séfer Torah.
Au bout de deux ans de captivité, un jeudi soir, il s’assoupit et aperçut soudain, dans une vision presque irréelle ce qui semblait être un ange majestueux qui portait… un grand Séfer Torah brillant de mille feux !
Était-ce un rêve ou la réalité ? Le Maharam n’eut pas le temps de réfléchir, déjà l’ange parlait : « Je suis l’ange Gabriel. Tes prières ont été entendues, voici ton Séfer Torah ! Tu sais que Moché Rabbénou, Moïse notre Maître, écrivit 13 rouleaux de la Torah. Douze ont été distribués à chacune des Tribus ; voici le treizième ! C’est celui qui est utilisé chaque Chabbat au ciel par les Tsadikim qui séjournent auprès du Tribunal céleste. Cependant, rien ne se compare aux Mitsvot accomplies par un Juif sur terre. C’est pourquoi il a été décidé qu’il te sera confié et tous les Tsadikim viendront l’écouter de ta bouche chaque fois que tu le liras ! »
Le cœur battant, Rabbi Meïr se réveilla : le saint Séfer Torah était bien là, devant lui !
Il remplit volontiers ses obligations : chaque Chabbat, Roch 'Hodech et jours de fête, il lisait le passage correspondant dans le rouleau de la Torah et sa cellule irradiait d’une lumière spirituelle émanant sans doute des milliers d’âmes des Tsadikim qui venaient l’écouter. Même les jours de semaine, il aimait à étudier dans ce parchemin sacré et, à chaque fois, il sentait son esprit s’ouvrir à de nouvelles idées, des explications extraordinaires.
Cela dura deux ans puis Rabbi Meïr se dit qu’il devrait recopier scrupuleusement ce Séfer Torah afin que des générations de Juifs après lui puissent s’en inspirer et, à leur tour, le recopier.
Ses élèves parvinrent à lui procurer du parchemin, des plumes et de l’encre et, au bout d’un an, l’œuvre fut achevée. Après plusieurs vérifications et corrections, ce second Séfer Torah fut prêt.
Mais le même soir, Rabbi Meïr rêva qu’un autre ange venait dans sa cellule et reprenait le Séfer Torah original ! Bouleversé, il se réveilla et constata que, malheureusement, c’était vrai !
« Pauvre de moi ! s’exclama-t-il. Peut-être n’aurais-je pas dû entreprendre cela. Il s’agit là sans doute d’une punition ! »
Une voix interrompit ses pensées et le rassura : sa copie était parfaite et il avait bien agi car elle servirait de base pour l’écriture de nombreux autres rouleaux de la Torah.
Quand le Maharam sentit sa fin approcher, il fabriqua une boîte en bois, l’enduisit de bitume afin de l’imperméabiliser, y plaça avec amour son Séfer Torah et la fit descendre à l’aide d’un drap du donjon de sa prison jusque dans le Rhin.
Pendant plusieurs semaines, la boîte flotta sans être remarquée jusqu’à ce qu’elle fût repérée par des pêcheurs non loin de Worms. Malgré tous leurs efforts, ils ne parvinrent pas à l’attraper dans leurs filets. Ils décidèrent alors de laisser des pêcheurs juifs tenter leur chance : à peine ceux-ci approchèrent-ils leurs embarcations que, d’elle-même, la boîte flotta dans leur direction et se laissa facilement remonter.
Après bien d’autres péripéties, la boîte fut finalement ouverte dans la synagogue de Worms. Voici ce qui était inscrit à l’intérieur, sur l’une des parois : « Ce rouleau a été écrit par Meïr et est un cadeau offert à la communauté de Worms. Ce rouleau est saint et pur et on ne doit l’utiliser que deux fois par an : à Chavouot (la fête du don de la Torah) et à Sim’hat Torah, le jour où l’on complète la lecture annuelle de la Torah. »
Malgré les nombreux malheurs qui affectèrent la communauté de Worms durant les siècles qui suivirent, les fidèles consentirent toujours de gros sacrifices pour garder intact ce trésor transmis dans de si étranges circonstances. Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi de Loubavitch, a témoigné l’avoir vu.
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