Résumé du discours du Rabbi de Loubavitch
du deuxième jour de Chavouot 5751
Dans les prophéties d’Isaïe relatives à la Délivrance messianique, il est dit « Car la Torah sortira de Moi. »1 Les Sages ont enseigné à ce propos dans le Midrache « Une nouvelle Torah sortira de Moi, une compréhension nouvelle de la Torah sortira de Moi »2, « Dans les Temps futurs, D.ieu siégera et expliquera la Torah nouvelle qui sera donnée à travers le Machia'h ».3
De nouvelles révélations et de nouvelles lois
Concernant cette nouvelle révélation dans la Torah, il y a deux approches :
a. Il y aura la révélation du sens profond des Commandements et des secrets de la Torah qui nous sont totalement inaccessibles à l’heure actuelle, comme l’a explicité l’Admour Hazakène dans le Tanya « Les raisons profondes des Commandements n’ont pas été dévoilées… et lorsqu’une raison a été donnée, ce n’est pas là la raison essentielle »4
b. Il y aura un changement des lois de la Torah (la halakha). Ceci est notamment illustré dans le passage du Midrache5 qui évoque le festin des temps messianiques lors duquel seront consommés le Léviathan et le Chor HaBar (un poisson et un buffle aux dimensions et à la force fabuleuses). Il y est en effet mentionné que le Chor HaBar sera égorgé par la nageoire du Léviathan, et, bien qu’une telle mise à mort ne constitue pas aujourd’hui un abattage valable rituellement, l’animal sera néanmoins cachère, car « Une nouvelle Torah sortira de Moi ».
Une prophétie étonnante
Ces deux explications sont, a priori, fort surprenantes.
La première, qui annonce le dévoilement du sens et des secrets cachés de la Torah, est contradictoire avec le principe selon lequel « La Torah n’est pas dans les Cieux ».6 Ce verset signifie en effet que les nouveaux enseignements dans la Torah ne se font pas par voie prophétique, mais à travers l’étude et la réflexion des Sages selon les règles d’interprétation reçues au Sinaï.
Or, l’esprit humain est actuellement incapable de percer ces secrets de la Torah et leur révélation ne pourra se faire que par une révélation divine, lors de l’ère messianique. [C’est ce à quoi le Rambam fait allusion dans sa description du Machia’h qui figure dans ses « Lois sur la Téchouva »7 : « Il sera sage encore plus que Chlomo et un grand prophète…et par conséquent, il enseignera à tout le peuple ». C’est-à-dire qu’il ne suffira pas que le Machia’h soit un sage, quelle que soit l’ampleur de sa sagesse, mais il devra nécessairement être un prophète pour pouvoir révéler ces profondeurs de la Torah.]
Comment est-il donc possible de définir comme « Torah » des sujets qui semblent être du domaine exclusif de la prophétie, dans la mesure où ils sont inaccessibles à l’esprit humain ? Le Rambam statue d’ailleurs que « un prophète ne peut donner d’enseignement nouveau dans la Torah ».8
La seconde explication, qui annonce un changement dans la loi, est encore plus surprenante : comment est-il possible d’envisager un changement dans la halakha alors que ceci est impossible, comme le dit le Rambam, « Il est clair et explicite dans la Torah qu’elle le restera telle qu'elle a été ordonnée pour l'éternité. Elle ne subira ni transformation, ni retranchement, ni rajouts »9 ?
Présents, mais insaisissables
La réponse à la première question tient dans le fait que ces enseignements ont déjà été donnés lors du Don de la Torah au Mont Sinaï, et le Machia’h ne fera que dévoiler ce qui fait déjà partie intégrante de la Torah (bien que notre esprit ne puisse pas actuellement l’appréhender). Leur appellation de « nouvelle Torah » ne doit cependant pas surprendre. En effet, les enseignements nouveaux dans la Torah (‘hidouchei Torah) qui jaillissent aujourd’hui sont, eux aussi, le dévoilement de ce qui existe déjà dans la Torah, comme l’ont formulé les Sages : « Tout ce que l'élève initié dévoilera de nouveau dans le futur a déjà été donné à Moïse au Sinaï ». Un tel enseignement est qualifié de « nouveau », et pourtant « il a déjà été donné à Moïse au Sinaï ».
La raison de cet apparent paradoxe est que ces enseignements nouveaux étaient contenus de manière voilée dans la Torah que Moïse a reçue. Cela signifie qu’ils n’étaient pas explicités, mais que les règles d’interprétation reçues au Sinaï permettent à « l’élève initié » de mener son analyse jusqu’à pouvoir extraire des sources un enseignement nouveau, un ‘hidouch. D’un côté, il s’agit là d’une découverte propre à cet « élève », car c’est lui qui l’a mise à jour, et, d’un autre côté, c’était un sujet qui était déjà inclus dans la Torah que Moïse a reçue au Sinaï.
Cela est également valable pour les enseignements nouveaux que le Machia’h révèlera : ces secrets sont déjà présents dans la Torah que Moïse à reçue au Sinaï. Cependant, dans la mesure où il s’agit de sujets dont l’extrême profondeur les place hors de portée de l’esprit humain, leur révélation ne pourra se faire qu’à travers un dévoilement prophétique. Mais il ne s’agit là que du mode de leur révélation, alors qu’eux-mêmes sont du domaine de la « Torah » (ayant été donnés au Sinaï) et non de la « prophétie ».
En quoi résidera la nouveauté ?
On peut se demander quelle est la différence profonde entre « תורה חדשה – la nouvelle Torah » que révélera le Machia’h et les « חידושי תורה – les nouveaux enseignements » que les Sages révèlent avant l’ère messianique. En effet, dans la mesure où il s’agit dans les deux cas de révéler ce qui est déjà présent de façon voilée dans la Torah, qu’est-ce qui distingue l’enseignement du Machia’h au point où les Sages ont dit « La Torah que l'on étudie aujourd'hui est du vent comparée à la Torah du Machia'h »10 ?
La différence entre ces deux catégories d’enseignements réside dans leur degré de dissimulation au sein de la Torah avant leur révélation. Celui de la « nouvelle Torah » qu’enseignera le Machia’h est sans aucune commune mesure avec celui des ‘hidouchim de « l’élève initié ». En effet, ces derniers peuvent être élucidés et révélés par l’élève, alors que la « nouvelle Torah » ne peut pas se révéler dans l’intellect humain.
Prophète et sage à la fois
Mais, dans la mesure où il faudra bien que ces sujets soient captés par l’esprit humain, car, comme nous l’avons rappelé, la Torah « n’est pas dans les Cieux » et a vocation à être intégrée intellectuellement, alors, après que le Machia’h en ait reçu la révélation de façon prophétique, il les comprendra dans sa grande sagesse et les enseignera de façon intelligible à tout le peuple, dont tous les membres seront alors « de grands sages qui appréhenderont l’esprit de leur Créateur ».11
[On comprend dès lors d’autant mieux le choix des mots du Rambam dans la halakha précédemment citée : « Il sera sage encore plus que Chlomo et un grand prophète… et par conséquent, il enseignera à tout le peuple. » Les mots « et par conséquent » viennent dans la continuité des deux qualités citées précédemment : « sage » et « prophète ». Le Machia’h sera en effet, d’une part, un prophète pour pouvoir recevoir la révélation de la nouvelle Torah qui est impossible par l’entremise de l’intellect, et, d’autre part, un grand sage, ce qui lui permettra de comprendre ce qu’il aura reçu prophétiquement, puis de l’enseigner à tout le peuple.]
Le changement dans la Halakha : un dévoilement
De même, le changement annoncé dans les lois de la Torah qui semble contredire le principe selon lequel la Torah est immuable sera possible, car il n’y aura en vérité aucun changement, mais seulement un nouveau dévoilement dans la halakha : les lois de l’abattage rituel qui interdisent normalement une bête égorgée avec une nageoire n’ont d’emblée pas été données de façon à s’appliquer à ce cas précis.
[On trouve d’ailleurs un cas similaire dans l’épisode où il fut autorisé au prophète Élie d’offrir un sacrifice en dehors du Temple. En effet, la Torah a dit « Garde-toi de sacrifier tes holocaustes dans chaque endroit que tu verras »12, ce sur quoi le Rogatchover a dit « Cependant, tu as le droit de les sacrifier dans les endroits que t'indiquera le prophète comme le fit Eliahou sur le mont Carmel. »13 Cette permission spécifique montre que, dans un tel cas, l’interdiction d’offrir des sacrifices hors du Temple ne s’appliquait pas d'entrée de jeu. Il ne s’agit pas d’avoir autorisé de transgresser un interdit de façon ponctuelle, mais d’avoir révélé que l’interdiction ne concernait pas cette situation.]
Ce ‘hidouch-là sera aussi enseigné par le Machia’h de façon intelligible et conformément aux principes d’interprétation de la Torah, etc. Ainsi, ce sera le Beth Din (le tribunal rabbinique) lui-même qui statuera en la matière, après avoir reçu l’enseignement du Machia’h, de sorte que ce 'hidouch de « la Torah qui sortira de Moi » deviendra comme « toutes les choses reçues par le biais de la transmission… ou comme les choses qu'ils ont déduites eux-mêmes en se fondant sur les principes qui permettent d'étudier et d'interpréter la Torah afin de trancher selon leur compréhension. »14
Le changement dans la Halakha : une étude plus élevée
Il est un principe selon lequel lorsqu’il existe dans la Torah deux explications différentes sur un même sujet, celles-ci sont liées l’une à l’autre. Il convient donc de trouver le rapport entre les deux sens du dévoilement de la « nouvelle Torah », la révélation des secrets cachés et le changement dans les lois de l’abattage rituel.
Pour ce faire, il convient de considérer en premier lieu un sujet au contenu similaire : le changement dans les lois de la Torah lors de l’ère messianique qui sera consécutif au dévoilement d'un niveau plus élevé de la Torah : en effet, dans la plupart des cas où l’école de pensée de Hillel (« Beth Hillel ») et celle de Chamaï (« Beth Chamaï ») se sont opposées, la loi a été tranchée selon l’opinion de Beth Hillel. Or, il est annoncé que, dans les temps messianiques, la loi changera et sera fixée d’après l’opinion de Beth Chamaï.15
Il est nécessaire, en premier lieu, de comprendre la raison profonde de l’opposition entre Beth Hillel et Beth Chamaï.
On sait que, dans la grande majorité des cas, Beth Hillel était plus permissive alors que Beth Chamaï était plus stricte. Cela n’est, bien entendu pas dû au hasard et découle d’une différence fondamentale dans leur conception des choses. Une telle différence d’approche est possible parce que chaque loi de la Torah peut être abordée de différentes façons. Voici ce que dit le Midrache à ce sujet : « D.ieu montra à Moïse quarante-neuf possibilités de considérer chaque chose comme impure et quarante-neuf possibilités de la considérer comme pure. Moïse dit : Maître du monde: Quand parviendrons-nous à définir avec précision le statut de ces choses ? D.ieu lui répondit : Il faut trancher d'après la majorité. Si la majorité statue qu’elle est impure, alors la chose sera impure, si la majorité tranche qu'elle est pure, alors elle sera pure. »16 Ainsi, ces deux approches sont légitimes, et c’est la Torah qui détermine que la loi devra suivre l’opinion majoritaire.
La raison pour laquelle les Sages de Beth Hillel étaient généralement permissifs est que, suivant la nature profonde de leurs âmes, leur cheminement intellectuel les amenait à tendre vers la permission. De même pour Beth Chamaï : de par la source de leurs âmes, il avaient tendance à accorder une importance particulière aux éléments en faveur d’une plus grande rigueur dans l’application de la loi.
Il est relaté dans le Talmud que les Sages de Beth Chamaï avaient l’esprit plus aiguisé que ceux de Beth Hillel.17 Ces derniers, néanmoins, constituaient la majorité et la loi fut fixée selon leur opinion. Dans les temps messianiques, cependant, la sagesse augmentera de façon considérable dans le peuple juif et la majorité des Sages du Sanhédrine se rangera alors à l’opinion de Beth Chamaï. Ceci entraînera que la halakha changera pour être fixée selon cette opinion.
Il ressort de là qu’à travers une augmentation de la sagesse de la Torah, consécutive à une étude de la Torah à un niveau plus élevé, il y aura un changement dans la halakha. Il en sera de même concernant la permission du bœuf abattu avec la nageoire du Léviathan : ce degré de compréhension de la Torah sera issu d’une étude particulièrement élevée, celle des secrets cachés de la Torah qui seront alors révélés, « une nouvelle Torah sortira de Moi ».
Un ajout dans la Torah, dans le cadre de la Torah
Ce qui précède suscite néanmoins quelques interrogations :
1. Il semble qu’il y ait une contradiction flagrante entre les deux sujets évoqués plus haut : le changement de la halakha conformément à l’opinion de Beth Chamaï, généralement marquée par la plus grande rigueur, et la permission de l’abattage du bœuf avec la nageoire du Léviathan, qui dérogera totalement à la loi telle qu’elle est comprise et appliquée aujourd’hui.
2. En outre, comment comprendre que, lors de l’ère messianique, on instaurera selon l’opinion de Beth Chamaï de nouvelles interdictions et de nouvelles précautions pour s’éloigner et se prémunir du mal, alors que cette période sera justement marquée par la disparition du mal, comme l’annonce la prophétie de Zacharie « Je ferais disparaître l’esprit d’impureté de la terre »18 ?
3. Le Talmud19 raconte qu’il arriva un jour que les Sages de Beth Chamaï furent plus nombreux que ceux de Beth Hillel et que la Halakha fut fixée sur certains points d’après leur opinion, et conclut : « Ce jour là… fut un jour aussi dur pour Israël que celui où l'on fit le veau d'or ». Comment se fait-il que ce soit précisément cette opinion qui sera retenue lors de l’ère messianique !
Pour répondre à ces questions, il convient de considérer en premier lieu la source dans la halakha de l’idée d’un ajout et d’un changement dans les Commandements. Il s’agit du sujet des « villes de refuge » (ערי מקלט) dans lesquelles étaient exilés les meurtriers involontaires qui, d’une part, étaient ainsi protégés des vengeurs et, d’autre part, expiaient leur faute par cet exil. Ces villes étaient au nombre de six et, selon la Torah, « Lorsque D.ieu élargira tes frontières, tu rajouteras trois nouvelles villes ».20 Le Rambam enseigne que ce verset du Pentateuque atteste de l’ère messianique, car « l’élargissement des frontières » qu’il mentionne n’a jamais eu lieu et il est évident que D.ieu n’a pas donné cet ordre en vain.21
Il a été expliqué, par ailleurs, que le fait que la promesse messianique soit un paramètre d’un Commandement de la Torah confère à la Délivrance le caractère obligatoire et immuable des Commandements.22
Nous nous trouvons face à un paradoxe qui évoque ce que nous avons dit précédemment : d’un côté, l’avènement messianique est garanti par la Torah, car il est un élément du Commandement des villes de refuge qui, comme le reste de la Torah « ne subira ni transformation, ni retranchement, ni rajouts », et d’un autre côté, cela s’exprime précisément par le rajout de trois nouvelles villes de refuge !
Il n’y a cependant pas de contradiction à cela, car il ne s’agit pas de rajouter quoi que ce soit à la Torah, mais d’un ajout à l’intérieur du cadre de la Torah. Celle-ci, considérant différemment les deux époques que sont la période actuelle et l’ère messianique, leur attribue des lois différentes : six villes de refuge actuellement, neuf pour l’ère messianique.
Deux façons d’intégrer la Torah
Ceci sera mieux compris si l’on explique l’essence du Commandement relatif aux villes de refuge, en particulier la différence entre les six villes de refuges de notre époque et les neuf villes de l’ère messianique.
La Torah peut se considérer de deux façons : a. la Torah en elle-même, au-delà de toute relation avec le monde, b. la Torah telle qu’elle a été donnée ici-bas, pour agir sur le monde et le raffiner. Il s’agit en fait de la distinction entre la Torah (la Sagesse divine) et les Commandements (instructions à l’homme relatives à son comportement dans le monde). À l’intérieur même de la Torah, il s’agit de la distinction entre sa partie « dévoilée » (נגלה דתורה), une étude relative aux sujets du monde, et sa partie « profonde » (פנימיות התורה), c’est-à-dire la Torah en elle-même qui transcende le monde.
À l’heure actuelle, l’essentiel du service divin prescrit par le Judaïsme a pour objet le raffinement du monde, la séparation du Bien et du Mal. Dans l’avenir, lors de l’ère messianique, ce travail sera achevé et la Torah sera étudiée, non plus pour son effet sur le monde, mais pour elle-même, afin de révéler l'unité divine à des niveaux très élevés.
Ceci constitue la teneur de la différence entre les villes de refuges de notre époque et celles de l’ère messianique :
Le sujet des villes de refuge est globalement lié à la notion de réparation des fautes. En effet, toute personne qui commet une faute est considérée comme ayant, envers elle-même, « versé le sang de l’homme ». En effet, en fautant, elle a détourné la vitalité divine qui était destinée aux choses saintes vers les forces du mal. Cette personne est néanmoins considérée comme « meurtrier involontaire », car sa volonté véritable est d’accomplir la volonté de son Créateur et sa faute est seulement due au fait que son mauvais penchant l’a vaincu. La réparation à cela passe par le sujet des « villes de refuge » qui, spirituellement, correspondent à l’étude de la Torah. En effet, la Torah « intègre » l’homme en elle, le sauvant du « vengeur du sang », le Satan, et apportant expiation et réparation à sa faute.
C’est ainsi qu’il faut considérer la différence entre les villes de refuge de notre temps et celles de l’ère messianique. De nos jours, le pendant spirituel des « villes de refuges » est l’étude de la partie dévoilée de la Torah. C’est ce à quoi le nombre de six villes fait allusion : les six ordres de la Michna, qui incluent les lois relatives aux choses permises et interdites, à la pureté et à l’impureté, etc., par lesquelles le raffinement du monde s’opère. Dans les temps futurs, cependant, il y aura une autre sorte de « villes de refuge », conformément au niveau de spiritualité qui marquera cette période. Bien qu’aucun mal ne sera plus perpétré dans le monde dans les temps messianiques, l’existence même du mal demeurera dans la première partie de cette période, avant que ne s’accomplisse totalement la prophétie « Je ferais disparaître l’esprit d’impureté de la terre ». Il y aura donc encore la nécessité d’une étude de la Torah qui garantisse que ce mal ne se concrétisera jamais, une étude d’un niveau plus élevé qu’auparavant : celle de la partie profonde de la Torah. C’est ce à quoi les « trois villes supplémentaires » font allusion : la Torah étant en effet une « Torah triple » (Pentateuque – Prophètes – Hagiographes), l’ajout de trois villes représente un changement qui affectera l’ensemble de la Torah, à savoir la révélation de sa partie profonde.
Une autre allusion à cela est le fait que les trois villes qui s'ajouteront aux temps messianiques sont les villes du Kini, du Knizi et du Kadmoni, qui furent promises à Avraham et qui n'ont jamais été conquises. Or, la ‘Hassidout enseigne que les terres des sept peuples canaanites qui ont déjà été conquises (celles que nous possédons aujourd’hui) représentent les sept attributs émotionnels (Midoth), alors que les trois villes qui s’y ajouteront dans l’avenir (Kini, Knizi et Kadmoni) représentent les forces intellectuelles (‘Habad – sagesse, compréhension, connaissance). La raison en est que, actuellement, l’essentiel du service divin réside dans le raffinement du caractère (בירור המידות) alors que, dans les temps futurs, le travail sera de raffiner l’intellect lui-même, ce qui ne sera possible que lorsque se dévoilera la « nouvelle Torah qui sortira de Moi ».
Pourquoi la Halakha suivra l’avis de Beth Chamaï
D’après ce qui précède, on comprend pourquoi la Halakha sera fixée selon l’opinion de Beth Chamaï dans les temps messianiques :
La controverse entre Beth Hillel et Beth Chamaï porte sur les sujets qui se trouvent « à la frontière » entre le permis et l’interdit. Beth Hillel pense que ceux-ci doivent être autorisés, et Beth Chamaï les interdit. En effet, la différence entre ce qui est permis et ce qui est interdit tient dans le fait qu’une chose permise connaît son raffinement en étant utilisée pour le bien, alors qu’une chose interdite est raffinée en étant repoussée et éloignée.
Beth Hillel et Beth Chamaï sont en désaccord sur la conduite à tenir envers des choses qui comportent du mal de façon voilée. Beth Hillel pense qu’il n’est pas nécessaire de considérer ce mal, et qu’il faut donc utiliser la chose pour le bien, tandis que Beth Chamaï est d’avis que ce mal doit être pris en compte et qu’il convient de le repousser afin de le raffiner.
Cette différence découle de la grandeur particulière dans l’étude de la Torah des Sages de Beth Chamaï : comme « leur esprit était particulièrement aiguisé », ils avaient le pouvoir de raffiner le mal même quand celui-ci était ténu et caché. Les Sages de Beth Hillel, de leur côté, n’avaient pas cette capacité et se disaient que, dans la mesure où ils ne peuvent rien faire pour le mauvais côté de la chose, le moins que l’on puisse faire est de mettre celle-ci à profit en l’utilisant pour le bien et la sainteté.
Il est, dès lors, compréhensible que, de nos jours où la plupart des gens appartiennent à la catégorie inférieure dans l’étude de la Torah, celle de Beth Hillel, la Halakha soit conforme à son opinion.
Et on comprend aussi pourquoi, lorsque la Halakha fut ponctuellement tranchée d’après Beth Chamaï, ce fut un évènement « aussi grave et difficile que le veau d’or ». En effet, lorsque l’on repousse du domaine de la sainteté des choses que l’on aurait pu raffiner et élever, cela ajoute des forces au Mauvais Côté. Mais, dans les temps futurs, quand tous les Juifs atteindront les sommets de la sagesse, ils seront capables de se prémunir contre le mal le plus fin qui soit, auquel ils pourront apporter raffinement et élévation en éloignant la chose qui le contient.
Le lien avec Chavouot
Ceci est étroitement lié à la fête de Chavouot, « זמן מתן תורתנו – Le temps du Don de notre Torah », (lors duquel l’intégralité de la Torah fut donnée, y compris la « nouvelle Torah qui sortira de Moi »).
Il existe en effet une discussion entre Beth Hillel et Beth Chamaï au sujet de l’offrande des holocaustes que chaque individu devait apporter lors de la fête (עולת ראי'ה). Beth Hillel pensait qu’il fallait l’apporter au cours de la fête et Beth Chamaï pensait qu’il fallait l’apporter après la fête (l’offrande ne repoussant pas les interdits de la fête, car, étant entièrement consumée sur l’autel, elle ne rentrait pas dans la catégorie de « אוכל נפש – nourriture humaine » dont seule la préparation est autorisée un jour de fête). Ainsi, d’après Beth Chamaï, le lendemain de Chavouot était appelé « יום טבוח – yom tevoa’h », « un jour de sacrifices », car c’est ce jour que chacun offrait le sien.
Or, cette expression de « yom tevoa’h » est employée à un autre endroit concernant la fête de Chavouot : il est rapporté dans le Talmud que la veille du Don de la Torah, un esprit malfaisant du nom de « Tavoua’h », « l’égorgé » est sorti dans le monde, et si le peuple d’Israël n’avait pas reçu la Torah, cet esprit aurait commis en son sein un « tevoa’h », un massacre, ce qu’à D.ieu ne plaise.23 Cependant, le Maharcha explique que cet esprit est le Satan, le mauvais penchant, et puisque les Enfants d’Israël ont bien reçu la Torah, c’est eux qui l’ont égorgé, ce qui explique que son nom est « Tavoua’h », « l’égorgé » et non « Tovéa’h », « l’égorgeur ».
Le rapport entre ces deux sujets est le suivant : d’après Beth Chamaï, le « jour des sacrifices », celui de « l’égorgement » du mauvais penchant, se fait le lendemain de Chavouot, et non le jour même de la fête. Or, dans les faits, les Sages de Beth Hillel ont agi selon l’opinion de Beth Chamaï. La raison profonde à cela est que, étant donné que la Torah fut donnée le jour de Chavouot, ce qui inclut la « nouvelle Torah qui sortira de Moi », alors, à ce niveau, le mal, même caché, peut être raffiné (selon l’avis de Beth Chamaï) et il n’est donc pas nécessaire « d’égorger » le mauvais penchant.
Une vraie nouveauté : la che’hita du Chor HaBar
Outre le changement de référentiel halakhique qui passera de Beth Hillel à Beth Chamaï, il y aura également une véritable nouveauté dans la permission de ce qui est aujourd’hui interdit : l’abattage du Chor HaBar avec la nageoire du Léviathan.
La raison de cette permission est que cet abattage sera fait par D.ieu Lui-même. Or, bien que D.ieu accomplisse Lui-même les Commandements de façon générale,24 cet abattage qu’Il réalisera n’est pas soumis aux limitations qui concernent habituellement l’abattage, puisque les lois qui nous ont été données ne concernent pas ce cas précis, comme nous l’avons dit plus haut.
L’explication profonde à cela, telle qu’elle apparaît dans la ‘Hassidout, est la suivante : l’abattage d’un animal a pour but d’élever celui-ci à un degré plus haut. La Michna enseigne en effet « אין ושחט אלא ומשך – Che'hita, ‘égorger’, signifie ‘tirer’ », c’est-à-dire que l’on « tire » l'animal pour le faire sortir du « monde animal » et l'élever jusqu'au « monde humain ».25 Cet enseignement véhicule le principe de l’ensemble des Commandements : le raffinement de monde à travers l’utilisation des choses matérielles pour la sainteté, ce qui élève celles-ci et les incorpore elles-mêmes à la sainteté. Lorsque ceci est réalisé par l’être humain, celui-ci étant limité, il est nécessaire d’encadrer son action par certaines précautions. Mais lorsque c’est D.ieu Lui-même qui agit, il n’est nul besoin de ces précautions.
« Comprendre ce qui n’est pas » en « comprenant ce qui est »
Pour approfondir encore plus l’explication :
La ‘Hassidout enseigne que la lumière divine qui se révèle à travers l’observance des « Commandements négatifs », les interdictions de la Torah, est plus élevée que celle qui est révélée par l’accomplissement des « Commandements positifs », les obligations prescrites par la Torah. La raison en est que, la lumière divine liée aux Commandements positifs étant réduite, il est possible de la faire résider dans des actes et des objets matériels. En revanche, la lumière divine liée aux Commandements négatifs est trop élevée pour que la matière lui serve de « réceptacle » et la seule façon de la saisir est par la négation de l’action.
Ce sujet est parallèle à la différence entre « השגת החיוב – la compréhension positive », c’est-à-dire la compréhension d’un sujet à travers ce qui est perceptible de lui, et « השגת השלילה – la compréhension négative », la compréhension d’un sujet en considérant ce qu’il n’est pas. La « compréhension positive », l’approche intellectuelle classique, n’est possible que dans le cas de sujets qui peuvent être appréhendés intellectuellement. Par contre, des sujets qui dépassent totalement l’entendement humain ne peuvent pas être saisis tels qu’ils sont. La seule façon de s’en rapprocher est donc de tâcher de comprendre ce qu’ils ne sont pas, de quoi il ne peuvent relever sachant qu’ils sont au-delà de ce qui est intellectuellement définissable.
Ainsi, les Sages de Beth Chamaï, dont les âmes proviennent des « Guévourot », les puissants attributs de rigueur de D.ieu qui sont plus hauts que les « ‘Hassadim », les attributs de largesse, perçoivent les choses telles qu’elles sont dans leur source spirituelle. Ils perçoivent cette lumière si élevée qu’elle ne peut se révéler à travers une action quelconque, mais seulement à travers la non-action. C’est ainsi qu’ils appliquent une loi « rigoureuse » et interdisent la chose. Les Sages de Beth Hillel, eux, ne voient la chose que telle qu’elle apparaît, et non telle qu’elle est dans son essence, ainsi la permettent-ils.
Par conséquent, aujourd’hui, quand la plupart des gens ne sont pas au niveau de Beth Chamaï, il faut faire prévaloir la largesse sur la rigueur et ne pas interdire toutes ces choses-là. Mais aux temps messianiques, lorsque le bien aura été extrait du mal et qu'il n'y aura plus lieu de craindre que se produisent des choses indésirables, tous seront au niveau de pouvoir scruter les choses telles qu’elles sont dans leur source spirituelle et se comporter avec une rigueur sainte en s’abstenant d’utiliser une chose pour pouvoir révéler la haute lumière divine qu’elle recèle.
Telle est également la raison de l’ajout des trois villes de refuge, qui représentent les secrets cachés de la Torah. Le « meurtrier », comme nous l’avons dit, symbolise l’ensemble des sujets négatifs, dont la lumière divine n’est accessible qu’à travers leur négation. La résidence du meurtrier dans une ville de refuge représente donc la jonction de deux opposés : les sujets élevés qui ne peuvent normalement être captés qu’à travers une « compréhension négative », sont ici intégrés à l’intérieur, grâce à l’étude de la « nouvelle Torah qui sortira de Moi ».
C’est aussi le sens de la permission particulière qui se révélera dans les lois de l’abattage. Celle-ci exprime en effet comment une chose interdite, qui en soi ne peut être considérée qu’à travers une « compréhension négative », se dévoilera d’une façon propre à la « compréhension positive », puisque la viande qui en résultera sera consommée par l’homme, devenant ainsi partie intégrante de sa chair.
La raison pour laquelle cette révélation se fait précisément dans le cas de l’abattage du Chor Habar au moyen de la nageoire du Léviathan est la suivante :
L’endroit naturel du Léviathan est la mer, « עלמא דאתכסיא – le monde caché », qui représente des dévoilements extrêmement élevés qui ne descendent pas se révéler ici-bas. Le Chor Habar vit sur la terre ferme, « עלמא דאתגליא – le monde dévoilé », qui représente des dévoilements divins qui parviennent jusqu’ici, mais qui sont beaucoup moins intenses. Dans les temps messianiques, il y aura l’association de ces deux qualités : la plus haute lumière divine, dans le plus grand dévoilement. C’est ce à quoi l’abattage – l’élévation – du Chor Habar par le Léviathan fait allusion : les sujets les plus élevés qu’il est impossible d’appréhender (le « monde caché », qui fait référence aux plus hauts degrés de la Torah, ceux qui proviennent « de Moi ») deviendront accessibles à l’esprit humain (« sortira de Moi ») par une « compréhension positive » (« le monde dévoilé »).
Car, comme statue le Rambam à la fin de son œuvre, « les Juifs seront tous de grands Sages, connaissant les choses cachées et comprenant l’intention de leur Créateur comme ce que peut en saisir l’Homme, ainsi qu’il est dit ‘Car la terre sera remplie de la connaissance de D.ieu comme l’eau recouvre les Océans’.26 »
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