Aujourd’hui nous sommes en exil. Le monde entier est en exil : D.ieu a beau être partout, Il n’est visible nulle part, et dans certains endroits, encore moins qu’ailleurs. Mais D.ieu nous l’a promis, la Torah nous l’a promis, le Talmud nous l’a promis et le Rabbi nous l’a annoncé comme imminent : bientôt le Machia’h arrivera et le monde entier sera rédimé.

Savez-vous quelle est la toute dernière chose qui se passera avant que la délivrance ne se fasse ? Maïmonide le dit dans les « Lois sur la Téchouva » :

« La Torah a promis que le peuple juif fera Téchouva à la fin de son exil et immédiatement il sera délivré. »1

Oui, selon cette loi, la dernière chose qui se passera immédiatement avant la délivrance messianique, est la Téchouva des Enfants d’Israël. C’est-à-dire la vôtre.

La source de cette loi est la discussion talmudique suivante :

« Rabbi Eliézer dit : Si les Israélites font Téchouva, ils seront délivrés. Et sinon, ils ne le seront pas. Rabbi Yéhochoua lui a répondu : Si les Israélites ne font pas Téchouva, ils ne seront pas délivrés ? Mais, dans ce cas, le Saint béni soit-Il leur suscitera un roi dont les décrets seront aussi durs que ceux de Haman, si bien qu’ils feront Téchouva. »2

Effectivement, le décret d’extermination fomenté par Haman et promulgué par Assuérus conduisit l’ensemble du peuple juif à faire Téchouva. Une Téchouva telle, qu’elle leur valut non seulement la délivrance qui est depuis célébrée par la fête de Pourim, mais dont il a été dit à deux reprises dans le livre d’Esther3 qu’elle dissipa définitivement le doute qui planait sur l’engagement du peuple juif vis-à-vis de la Torah depuis le mont Sinaï.

Nous vaquions, bon gré mal gré, à nos occupations, mais notre esprit était là-basLe Midrache raconte en effet que, lors du don de la Torah, D.ieu avait miraculeusement fait flotter la montagne au-dessus de la tête des Israélites, leur disant « Si vous acceptez la Torah, cette montagne sera notre dais nuptial. Sinon, elle sera votre pierre tombale. »4 Dès lors, une réserve avait été émise quant à la sincérité de l’engagement qui découlait d’un tel « choix » dicté d'En-Haut.

Cependant, à Pourim, les Juifs ont choisi la Torah d'eux-mêmes, de tout leur cœur, sans pression aucune.

Revenons en arrière : le soir de Pessa’h, Esther donne un banquet lors duquel elle fait savoir à Assuérus que Haman projette de l’exterminer, elle et tout son peuple. Assuérus ordonne la pendaison immédiate de Haman et nomme Mordékhaï, oncle d’Esther à sa place. Le décret, cacheté avec le sceau du roi, ne peut cependant pas être annulé. Le génocide des Juifs aux mains des Amalécites est prévu pour le 13 Adar, onze mois plus tard. L’empire d’Assuérus s’étendant sur l’ensemble du monde civilisé, aucune échappatoire n’est possible. Le seul moyen de garantir sa survie apparaît comme étant la conversion à l’une des nombreuses chapelles idolâtres en vigueur à l’époque.5

Malgré cela, au cours de ces onze mois, pas un seul Juif, homme ou femme, jeune ou vieux, ignorant ou érudit, n’eut ne serait-ce que la pensée de renier sa foi. Au cours de ces onze mois, ils exprimèrent un attachement total et absolu à la Torah et à ses commandements.6

D’où leur vint cette force, à eux qui, quelques mois plus tôt, s’étaient laissés aller à désespérer de la délivrance annoncée et du retour en Terre Sainte ? À eux, dont le manque de foi avait justement entraîné l’édiction du funeste décret ? Il est certes enseigné que lorsqu’un Juif est soumis à l’ultime test de la foi, il s’avère incapable d’abjurer celle-ci, quand bien même se fut-il proclamé athée toute sa vie.7 Mais, au cours de ces onze mois, ils ne furent pas en danger.

Le secret de cette foi vibrante, ce que Morde'khaï – le Moïse de sa génération – a révélé en eux, tient dans l’extraordinaire pouvoir de projection de l’esprit et de l’âme : sachant que le 13 Adar suivant, aussi éloigné fût-il, ils seraient quoi qu’il arrive prêts à donner leur vie pour mourir en tant que Juifs, puisque c’est en tant que tels qu’ils avaient été désignés à mourir, ils vivaient et ressentaient d’ores et déjà la ferveur liée à ce moment de don de soi, à chaque instant de leur vie quotidienne. Ils ont capté et vécu cette ferveur pendant onze mois, jour et nuit. Ils ont ressenti l’essence profonde de leur âme dans chacun des actes de leur vie quotidienne, aussi futiles soit-ils. Ils ont attribué à chaque chose la place qu’ils la savaient détenir dans le plan divin, et nulle autre. Ils ont été bons et bienveillants, généreux et miséricordieux, courageux et entreprenants pour toute entreprise de bien. Ils ont étudié la Torah pour la Torah elle-même. Ils ont prié pour lier leur âme, leur corps, leur journée à l’Éternel. Ils ont travaillé pour nourrir leurs enfants et raffiner le monde. Ils ont été juifs, et rien d’autre. Chaque seconde, pendant onze mois.

Et ils furent délivrés.


Autre époque. Autres ennemis. Autres menaces. Mais, de nouveau, une situation qui nous fait nous projeter. Une situation « dure comme le décret de Haman. »

De fait, nous nous sommes tous projetés, pendant plus de deux jours, dans un petit immeuble de Bombay. Au fil des heures, nous avons vécu chaque instant en pensant à ce qui se déroulait dans ce centre juif, Jewish Center, Nariman House, Chabad House selon les appellations que revêtait le Beth ‘Habad de Bombay au gré des médias.

Nous nous sommes tous, au moins pour une seconde, imaginés à leur placeNous vaquions, bon gré mal gré, à nos occupations, mais notre esprit était là-bas. Notre esprit, et notre cœur, notre espoir, nos larmes et nos prières, se trouvaient confinés avec Gabi, Leibish et Bentzion, Rivky, Yokheved et Norma.

Nous avons tous, ces jours-là, consacré chaque moment de notre temps libre à prier pour eux, à nous renseigner sur leur sort, à demander, exiger la révélation divine que nous appelons un miracle.

Nous nous sommes tous, au moins pour une seconde, imaginés à leur place, menacés par les canons des fusils terroristes. Et nous avons, en cet instant tragique, fait Téchouva. Notre cœur s’est tourné vers notre Père Céleste, les mots du Chéma Israël, « Écoute Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est Un » ont résonné à l’intérieur de nous, comme un écho lointain, alors que la vie nous semblait soudain faire sens, que l’universalité du bien et l’insignifiance du mal nous apparaissaient comme l’évidence absolue et que nous étions alors bons, totalement et exclusivement bons, et sereins.

Et puis, cet instant s’est envolé et nous avons continué la course effrénée de notre vie, tout en priant et en espérant et en exigeant le miracle. Et puis malheureusement la nouvelle, implacable, est tombée. Nos espoirs avaient été vains.

Gabi, Rivky et les autres ne sont peut-être plus parmi nous, mais il nous appartient de continuer à faire vivre celui ou celle qu’ils ont suscité à l’intérieur de nous. Cet instant de ferveur et d’amour de D.ieu, cet aperçu de notre âme, nous pouvons le rechercher parmi les décombres du Beth ‘Habad de Bombay qui jonchent notre cœur, le nettoyer des poussières d’angoisse et de rage qui le souillent encore et, soigneusement, méthodiquement (il est si fragile !), le rattacher à notre conscience, à notre vie, le soigner, le nourrir, jusqu’à ce qu’il pousse comme un arbre majestueux que rien ne saura plus déraciner.

« À chaque génération – et chaque jour8 –, un Juif doit s’envisager comme s’il était sorti d’Égypte. »9

De son Égypte personnelle.10

La tragédie de Gabi et Rivky, les émissaires du Rabbi, nous a fait atteindre cette vision de nous-mêmes. Si nous savons la maintenir en vie, ils continueront aussi à vivre en nous.