L’opposition au hassidisme battait son plein. Les disciples du Maguid de Mézéritch subirent différentes persécutions et Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev fut l’objet de l’une des plus infâmes.

Celui-ci était le Rav1 de la communauté de Pinsk et son attachement à l’école de pensée hassidique souleva une grande opposition à son égard de la part des détracteurs de ce mouvement.

Lorsque les nouvelles de la controverse de Chaklov2, à la suite de laquelle le mouvement hassidique avait été injustement condamné, parvinrent à Pinsk, cette opposition s’accentua au point que, ne sachant quoi faire, Rabbi Lévi Its’hak quitta la ville pour se rendre auprès de son maître.

Ses opposants profitèrent de son absence pour nommer un nouveau Rav du nom d’Avigdor à la tête de la communauté. Ce dernier, redoutant la réaction justifiée de Rabbi Lévi Its’hak, s’en prit aux membres de sa famille et fit pression sur eux pour qu’ils quittent la ville avant que Rabbi Lévi Its’hak ne revienne. Ceux-ci écrivirent alors à Rabbi Lévi Its’hak pour lui faire part des persécutions dont ils étaient l’objet.

Rabbi Lévi Its’hak confia ses problèmes à ses condisciples et ils convinrent que, le Chabbat qui suivrait, celui-ci lirait cette lettre pendant le repas qu’ils prenaient autour de leur maître, ce qui fut fait. Cette lecture ne suscita cependant aucune réaction de la part du Maguid.

À la fin du Chabbat, les disciples du Maguid se réunirent pour trouver par eux-mêmes une solution au problème. N’ayant aucun moyen d’agir, ils décidèrent, devant la gravité de la situation, de retourner l’anathème dont était injustement l’objet la famille de leur condisciple sur ceux qui l’avaient prononcé, selon les règles de la loi juive en de telles circonstances. Leur cible était naturellement le nouveau Rav de Pinsk qui avait humilié Rabbi Lévi Its’hak et sa famille et qui méritait donc une telle punition.

À cette réunion, participaient neuf disciples du Maguid. Le Baal Hatanya3 avait d’abord refusé de se joindre à eux à cause du silence marqué par leur maître lors de la lecture de la lettre.

Connaissant la fermeté de caractère du Baal Hatanya, l’un des participants proposa de lui demander ce que méritait, du point de vue de la loi juive, le comportement du nouveau Rav de Pinsk. Lorsque le Baal Hatanya énoncerait la loi, ils déclareraient : « Le lecteur de la missive se doit de l’exécuter »4.

Le plan fut mis en action et le Baal Hatanya, se sentant sans doute obligé d’aller au bout de ses pensées, accepta de se joindre à leur décision.

Les disciples du Maguid allèrent se coucher, mais le Baal Hatanya ne put trouver le sommeil, car il avait compris que son maître savait que cet événement n’était pas fortuit. Soudain, il entendit les pas du Maguid qui se dirigeraient vers leur chambre et feignit de dormir.

Le Maguid entra, une bougie à la main, et dévisagea chacun de ses disciples. Lorsqu’il arriva au Baal Hatanya, il dit avec étonnement : « Ce petit juif sera le maître de toutes les provinces de Russie ? »

À la voix de leur maître, les disciples se réveillèrent et le Baal Hatanya fit mine de sortir lui aussi de son sommeil. Le Maguid leur demanda alors :

« Mes fils, qu’avez-vous fait cette nuit ? »

Les disciples répondirent que, ne pouvant plus supporter l’injustice, ils avaient pris telle décision. Le Maguid déclara :

« Sachez qu’à cause de cela, vous avez perdu votre tête (il faisait allusion à sa disparition) mais, en contrepartie, vous avez obtenu que chaque fois qu’il y aura une opposition au hassidisme, les hassidim en sortiront vainqueurs ».

Derniers enseignements

Le Baal Hatanya raconte :

« Chabbat Vayichla’h5, qui précéda la disparition de mon maître, le Maguid de Mézéritch, il déclara, avant de se mettre au lit, devant l’assemblée de ses disciples :

« Jacob envoya des émissaires6. Rachi7 explique : “Des émissaires vraiment8 divins”. En fait, Jacob envoya la partie concrète des anges à Ésaü, mais il garda chez lui leur spiritualité. »

Après la prière du soir et la sortie du Chabbat, le Maguid prononça ces mots :

« Vision d’Obadia9. Il est écrit : “D.ieu a façonné des mondes par le nom de Y-ah10” et nos Sages expliquent : “Par la lettre Youd, Il a créé le monde futur et par la lettre Hé, le monde ici-bas”. Obadia signifie “Oved Y-ah”, le serviteur de D.ieu. La vision d’Obadia est ce que voit le serviteur de D.ieu. »

Dimanche, le dix-sept Kislev11, mon maître m’expliqua que, les trois derniers jours avant qu’il ne remette à D.ieu l’âme qu’Il lui a confiée, l’homme ne voyait que la parole divine créatrice qui se trouve en toute chose, car cette parole en était la définition.

Durant la nuit, il me révéla la façon dont devait se dérouler la nuit qui précédait une circoncision. Il me demanda alors pourquoi je ne posais pas de question à propos du vendredi soir qui suivait la naissance d’un garçon12. Je lui répondis que je sentais que les paroles que j’avais le mérite d’entendre de la bouche de mon maître provenaient d’une source supérieure... »

En disant ces mots, le Baal Hatanya entra dans une profonde méditation qui dura un long instant. Son visage devint radieux comme il l’était le jour de Kippour13, ce qui impressionna très fortement l’assistance. Puis, il continua : « ...à propos de laquelle il est écrit : “Quant à vous, vous vous tairez”14 ». Mon maître hocha la tête en signe d’agrément. Puis il m’expliqua le déroulement de la circoncision selon les enseignements ésotériques ainsi que celui du vendredi soir qui suivait la naissance. Il me dit alors :

« Vision d’Obadia. Le serviteur de D.ieu... voit. Tu auras un garçon que tu nommeras comme moi. La nuit qui précédera sa circoncision, tu te souviendras et tu mentionneras ce que je t’ai révélé cette nuit »

Parmi les paroles que mon maître eut la bonté de me dire, il m’expliqua : « Il est écrit : “Il nous fera vivre depuis deux jours et le troisième jour, il nous relèvera et nous vivrons devant Lui”15 ». “Il nous fera vivre depuis deux jours” fait référence aux deux premiers jours qui suivent la circoncision. C’est là le sens du verset “Vis par ton sang, vis par ton sang”16. Au troisième jour de la circoncision, il nous relèvera et nous vivrons devant lui. »

Testament spirituel

Quelques mois avant sa disparition, le Maguid avait laissé des instructions à son fils, Rabbi Abraham, dans une lettre datée de quelques jours avant Roch Hachana17 de l’année 5533 :

« Anipoli, premier jour de Séli’hot de l‘année 5532.

Puisque nul ne sait quand viendra la fin de sa longue vie, j’inscris ici, moi, soussigné, les instructions à mon cher et chéri, le juste et saint Abrahamin, que D.ieu lui prête vie :

1. Il fera attention de prier l’après-midi et le soir en communauté.

2. Il apprendra chaque jour les lois du Michné Torah18, dans l’ordre où elles sont écrites.

3. Il prendra une légère collation entre la mise des Téphiline de Rachi et Rabbénou Tam19. Puis il étudiera.

4. Il dira chaque jour pas moins de quatre Psaumes avec une intense ferveur, comparable à celle que l’on met dans la lecture des quatre Psaumes qui suivent la prière du soir de Kippour.

5. Il n’est pas nécessaire qu’il s’isole20 plus d’un jour par mois, mais, ce jour-là, il ne parlera même pas à ses proches.

6. Il ne vivra pas chichement. Il donnera ce qui restera de ce dont il a besoin en charité.

7. Il étudiera chaque jour les manuscrits que j’ai écrits de ma main et dans lesquels est consigné ce que j’ai entendu de mon maître, le Baal Chem Tov.

8. Le jour anniversaire de mon décès, il ne jeûnera pas. Au contraire, il organisera un repas. Il donnera en charité plus que ce que ses possibilités lui permettent.

9. Mon Tallith21, que j’ai reçu en cadeau du Baal Chem Tov et que j’utilise les jours de fête, servira à sa prière de Kippour uniquement.

10. Il priera dans un livre de prières simple, sans aucun commentaire.

11. Il ne se rendra sur ma tombe que le jour d’anniversaire de mon décès.

12. Si des opposants cherchent querelle, il ne répondra pas et D.ieu les fera payer.

13. Il entendra les saints conseils de mon disciple Rabbi Mendélé22. Il s’attachera aux saintes qualités de Rabbi Yéhouda Leib HaCohen23 et la sainte humilité de Rabbi Zouché24. Il saura que le premier avis de mon saint disciple plein d’expérience, Rabbi Zalmina25, auteur du Code de Lois26, est une petite prophétie et il fera tout ce qui sort de sa bouche, car si celui-ci s’était trouvé dans la génération de mon maître, le Baal Chem Tov, il se serait aussi distingué. Je n’en dirai pas plus à ce propos. Il l’écoutera dans tous ses chemins, car son discernement, sa compréhension et sa connaissance27 sont sans fin. Il ne poussera pas non plus mon saint disciple Zouché à prendre la direction d’une communauté, car, de par sa sainteté, il s’est déjà placé au-dessus de cette fonction. Je n’en dirai pas plus à ce propos.

Maintenant, je signe de ma main ce document qui vient en témoignage et mon cœur est plein d’espoir que toi, mon fils, tu accompliras après moi ces choses écrites avec vérité et justice. Que D.ieu allonge mes jours et mes années en bonne santé.

Telles sont les paroles de ton père qui prie pour toi et pour tout le peuple juif.

Dov Ber, fils de mon maître, Rabbi Abraham.

Ceci a été écrit et signé en notre présence le jour de l’année indiquée en en-tête, ici, dans la sainte communauté d’Anipoli.

Ouziel Meizlech, Rav de Ostravta et Ritshod.

Le petit Chlomo de Loutsk de la ville de Skohl.

Dernières paroles

Les dernières paroles du Maguid de Mézéritch ont été consignées par écrit par son fils :

« Je note les choses que m’a transmis mon père et mon maître, que son mérite soit sur nous, le dix-huit Kislev 5533 (1772), veille de sa disparition, en présence de trois personnes : moi-même et mes amis le saint Rabbi Yéhouda Leib Hacohen et le saint Rabbi Zalmina. Voici toutes les paroles que nous avons entendues.

Il a d’abord déclaré : « Mes enfants, si vous vous tenez unis, vous ne ferez que progresser sans jamais, à D.ieu ne plaise, revenir en arrière. Cela est donné en allusion dans la phrase liturgique : “Un et qui le ramènera ?” »

Mon père demanda qui était venu et Rabbi Zalmina répondit que c’était Rabbi Zouché. Mon père lui fit signe avec son doigt de s’approcher de lui. Lorsqu’il se fut approché, mon père le tint par sa main droite et lui dit: « Toi, Zouché, tu es dans ce monde et là-bas tu seras aussi auprès de moi comme le corps est proche de l’âme. »

Puis, il demanda si le saint Rabbi Mendélé de Vitebsk se trouvait là et Rabbi Zalmina répondit que non. Mon père poussa alors un profond soupir et demanda si Rabbi Leib HaCohen était présent. À la réponse affirmative de Rabbi Zalmina, il fixa Rabbi Leib des yeux et lui dit: « Toi aussi, tu seras dans mon entourage, car “les lèvres du Cohen garderont la connaissance”. Or je suis du monde de la connaissance ». Puis il s’exprima en ces termes : « Zalmina, Zalmina, toi, tu resteras seul mais je veillerai à te tirer de toutes tes épreuves,28 car je me languirai vraiment de toi. »

Puis, il s’adressa à moi : « Et toi, mon cher Abrahaminé, tu te tairas et tu te comporteras, comme jusqu’à présent, selon les paroles de mon cher Zalmina. Alors, tout sera bien pour toi. Et surtout, ne te mortifie pas, car une petite brèche dans le corps provoque une grande brèche dans l’âme. Or ton âme est tout à fait particulière. »

Puis il conclut : « Je vous souhaite une bonne nuit ».

Telles sont les dernières paroles que j’ai entendues de sa bouche »

Disparition et transmission

Le Maguid avait laissé des instructions précises à propos du déroulement de ses obsèques, comme on peut le lire dans cette lettre :

« Je, soussigné, déclare que, du fait que nul ne sait quand il va disparaître, je note par écrit, en toute possession de mon esprit, comment on se comportera avec moi après ma longue vie. D’abord, si D.ieu veut que j’aie la même conscience que maintenant, les disciples qui m’entoureront alors liront mot à mot devant moi la Sainte Épître du Zohar jusqu’au bout, lettre par lettre.

2. Que nul ne touche mon corps ou mon linceul à l’exception des signataires de ce document. Personne d’autre qu’eux. Cela, à partir du moment où l’on déposera mon corps sur le sol jusqu’à la mise dans la tombe.

3. Mes éminents disciples partageront mes vêtements de semaine.

4. Toutes les pièces à distribuer que l’on trouvera dans ma boîte de charité seront utilisées dès la fin des sept jours de deuil selon les instructions que j’y laisserai.

5. Ils couvriront ma tête du morceau de tissu que j’ai gardé dans mon étui de Tallith et Téphiline depuis la disparition de mon maître, le Baal Chem Tov, et qui provient de ses saints habits. Cela est donné en allusion dans le verset : “Il portera du tissu saint”29. Que D.ieu qui donne vie à toute chose allonge mes jours et mes années dans la largesse.

 Paroles du soussigné au jour de l’année indiquée en tête. »

 

Le mardi 19 Kislev 5533 (1772), le Maguid de Mézéritch quitta ce monde dans la ville d’Anipoli où il fut enterré.

Une discussion s’engagea entre la Hébra Kadicha30 de la ville qui prétendait que c’était à eux de prendre en charge sa purification et les disciples du Maguid qui affirmaient qu’ils devaient le servir après sa disparition comme ils l’avaient servi de son vivant. Les deux antagonistes portèrent leur différend devant le tribunal rabbinique de la ville qui décida que la toilette était du ressort de la Hébra Kadicha, mais ceux des disciples qui faisaient eux-mêmes partie d’une Hébra Kadicha pourraient y participer. Le Baal Hatanya, qui faisait partie, malgré son jeune âge, de la Hébra Kadicha de Lyozna, fut compté parmi eux.

Les disciples du Maguid tirèrent au sort pour attribuer la toilette de chaque membre du corps de leur maître. Le Baal Hatanya tira un papier qui portait l’inscription : “Sa tête est une tache de vermeil”31 qui signifiait que la toilette de la tête lui était échue.

Reb Haïm de Roudnia a raconté qu’il avait entendu de la bouche de Rabbi Ménahem Mendel de Horodok, alors qu’il parlait du grand mérite qu’avait eu le Baal Hatanya de se charger de la toilette de la tête de leur maître.

« Nous avons tous reçu d’une même source et certains d’entre nous de l’origine de la source, mais la majorité de la façon la plus superficielle. Mais lui - le Baal Hatanya - a reçu le superficiel et le plus profond tout en même temps ».