Le don de la Torah au mont Sinaï a souvent été interprété comme un événement distinctement particulariste. C’est à ce moment que la tribu hébraïque qui venait d’échapper à la servitude égyptienne est devenue « le peuple élu ». Le Rabbi, cependant, a souligné que le statut particulier que le peuple juif a reçu réside dans la responsabilité universelle qu’il porte.1

Pour étayer sa position, le Rabbi a cité Maïmonide, qui a consacré plusieurs chapitres de son code juridique aux injonctions éthiques qui s’appliquent également à toutes les nations. Ce code moral universel englobe la croyance en D.ieu, la valeur de la vie humaine, la moralité sexuelle, le droit pénal et civil, le bien-être animal et un large éventail de responsabilités civiques. Maïmonide admet que « l’esprit rationnel tend vers » ces préceptes, mais affirme qu’ils doivent néanmoins être acceptés et vécus expressément « parce que D.ieu les a commandés dans la Torah et nous les a fait connaître par l’intermédiaire de Moïse, notre maître ».2

Le statut particulier que le peuple juif a reçu réside dans la responsabilité universelle qu’il porte.

Le Rabbi a également cité la tradition midrashique selon laquelle les Dix Commandements ont été transmis simultanément dans les soixante-dix langues du monde.3 « Afin que personne ne pense que le message universel du judaïsme est d’importance secondaire, a-t-il expliqué, la voix de D.ieu a résonné afin que tous les peuples de la terre puissent la comprendre. »4

Par conséquent, le mandat universel d’une moralité divinement inspirée se trouve au cœur de la vision plus large que le Rabbi propose du judaïsme comme une voie destinée à élever le monde entier à un niveau supérieur. Au Sinaï, la Torah nous dit : « D.ieu descendit sur la montagne ». Ceci symbolise la désintégration et l’effondrement de la hiérarchie cosmique, plaçant chaque individu dans une relation directe avec D.ieu. En vertu du commandement divin, l’homme devient l’agent de D.ieu et reçoit le pouvoir d’élever ce monde inférieur et de le rendre totalement transparent à la divinité transcendante.5

Comme le dit le Midrash :

« Quand le Saint béni soit-Il a créé le monde, Il a décrété et dit : “Les cieux appartiennent au Seigneur, et la terre, Il l’a donnée à l’humanité.” Lorsqu’Il a voulu donner la Torah, Il a annulé le décret antérieur et a dit : “Les mondes inférieurs s’élèveront vers les mondes supérieurs et les mondes supérieurs descendront vers les mondes inférieurs.” »6

Nombre d’entre nous aspirent à une civilisation qui soutient un code moral pour une gouvernance équitable et le bien commun de l’humanité tout entière. Mais le Rabbi soutenait que la vision humaine seule ne saurait conférer une puissance durable à ce projet, dans la mesure où elle se réduit trop aisément à une utilité égoïste, et dégénère trop souvent en barbarie amorale. Lorsque la vision humaine s’imprègnera de la puissance de l’injonction divine, lorsque les êtres humains se reconnaitront responsables du dessein divin, lorsqu’ils agiront animés par la volonté révérencielle qu’une telle responsabilité devrait susciter, alors le monde s’élèvera véritablement.7

La vision humaine seule... s’est trop souvent détériorée en barbarie amorale.

Dès les premières années de son leadership, le Rabbi présentait l’éducation morale fondée sur la foi comme l’unique fondement d’une civilisation viable,8 et lorsque Ronald Reagan devint président des États-Unis en 1981, le Rabbi reconnut en lui un esprit apparenté. Reagan exprimait avec force sa conviction que la liberté du peuple américain « émane d’une foi permanente en D.ieu et en dépend », défendait la prière dans les écoles publiques et cherchait à amender la Constitution afin qu’aucun tribunal ne puisse l’interdire.9

Le Rabbi a correspondu en privé avec Reagan10 et a ouvertement salué son initiative, défendant leur position commune dans de nombreuses allocutions publiques.11 La crainte du châtiment n’empêche pas pour autant le calcul selon lequel la culpabilité peut être dissimulée, l’autorité contournée, et que le profit personnel justifie la prise de risque. Mais personne ne peut se dérober à sa propre conviction profonde qu’il existe « un œil qui voit et une oreille qui entend »,12 et qu’à chaque instant le Créateur dote chaque personne du pouvoir de révéler Sa présence sur terre et d’élever le monde à un niveau plus noble.13

En conséquence, le Rabbi soutenait que le gouvernement devrait financer les écoles confessionnelles, et a particulièrement encouragé un moment obligatoire de recueillement silencieux au début de chaque journée scolaire.14 Les enfants, expliquait-il, demanderaient à leurs parents ce à quoi ils devraient réfléchir, suscitant ainsi davantage d’introspection et d’échanges constructifs au sein de la société dans son ensemble.15 L’argument selon lequel de telles mesures contrevenaient à la Constitution américaine, a dit le Rabbi, méconnaissait l’esprit qui avait guidé les rédacteurs de la Constitution.16 Comme Reagan le soulignerait également, les « pères fondateurs » avaient gagné l’Amérique pour fuir la persécution religieuse, et ils avaient rédigé la Constitution afin de préserver le fondement religieux de leur nouvelle patrie. Ils n’ont certainement jamais eu l’intention que ces clauses soient elles-mêmes interprétées pour entraver l’expression religieuse.17

L’émancipation démocratique avait ouvert la voie permettant au peuple juif d’accomplir sa mission ultime.

D’aucuns considéraient avec circonspection l’engagement du Rabbi. Dans les générations précédentes, arguaient-ils, les Juifs n’avaient jamais cherché à insuffler une moralité fondée sur la foi à leurs voisins non-juifs. En quoi les affaires de la société dans son ensemble le concernaient-elles ? Pourquoi ne se bornait-il pas à servir sa propre communauté ? Pour le Rabbi, en revanche, l’émancipation démocratique avait ouvert la voie permettant au peuple juif d’accomplir sa mission ultime. La Torah ne leur avait pas été donnée pour être préservée dans le ghetto. La Torah leur avait été donnée pour qu’ils illuminent le monde.18