Lors d’une de leurs premières rencontres avec Pharaon, Aaron accomplit un acte surnaturel pour prouver que Moïse et lui sont d’authentiques messagers de D.ieu : il jette son bâton à terre qui se transforme en serpent. Ne voulant pas être surpassé, Pharaon convoque « ses « sages et ses magiciens » qui réussissent à reproduire ce prodige. Cependant, ensuite, le bâton d’Aaron engloutit les bâtons des magiciens.1
Les magiciens de Pharaon parvinrent également à reproduire les plaies du sang et des grenouilles. Mais confrontés à la plaie des poux, ils furent impuissants : « Et les nécromanciens tentèrent d’en faire autant par leurs pratiques occultes pour faire apparaître les poux, mais ils ne le purent pas ».2
L’interprétation littérale du verset suggère qu’une véritable magie fut effectivement employée. Était-ce vraiment le cas ? Et si oui, pourquoi les poux étaient-ils imperméables à leurs incantations ? Plusieurs réponses ont été proposées par nos Sages.
1. La magie n’existe pas
Certains – au premier rang desquels figure Maïmonide – sont d’avis que la sorcellerie et la magie n’ont aucune existence réelle.3 Dans le Michné Torah, son œuvre majeure, après avoir décrit les diverses interdictions concernant la sorcellerie, Maïmonide écrit :
Toutes ces choses ne sont que mensonges et tromperies par lesquels les premiers idolâtres ont abusé les nations païennes afin de les entraîner à leur suite. Il ne convient pas aux Juifs, qui sont des sages avisés, de se laisser séduire par de telles chimères, ni de leur accorder quelque valeur... Quiconque croit en ces pratiques et, dans son cœur, pense qu’elles sont vraies et paroles de sagesse, mais interdites par la Torah, est sot et faible d’esprit... Les maîtres de la sagesse et ceux dont la connaissance est parfaite savent par des preuves évidentes que tous ces arts [occultes] que la Torah a interdits ne sont pas le reflet de la sagesse, mais plutôt du vide et de la vanité qui ont séduit les esprits faibles et les ont fait abandonner toutes les voies de la vérité. C’est pour ces raisons que, lorsque la Torah met en garde contre toutes ces choses vaines, elle conseille [Deutéronome 18,13] : « Sois entièrement fidèle à l’Éternel, ton D.ieu. »4
Clairement, Maïmonide considère que la sorcellerie n’existe pas. Si tel est effectivement le cas, à quoi le verset fait-il référence dans ce cas ?
2. C’était de la prestidigitation
Cette vision est développée par Saadia Gaon, qui explique que les Égyptiens étaient habiles dans l’art de la tromperie et de la prestidigitation,5 qu’ils utilisèrent pour produire les serpents.
Le Malbim fournit une description détaillée de la façon dont cela aurait pu être réalisé :
La méthode de leur tromperie est davantage explicitée dans le verset : « Et les sorciers d’Égypte en firent autant. » Cela implique qu’ils utilisèrent des peaux de serpents morts. Les sorciers se dissimulaient sous ces peaux, se mouvant en dessous d’une manière qui donnait l’impression qu’il s’agissait de créatures vivantes et ondulantes. L’expression « et ils firent » fait référence aux sages et aux sorciers qui se faisaient passer pour des serpents en s’enveloppant dans des peaux de serpents. Lorsqu’ils jetaient leurs bâtons, les sorciers les échangeaient rapidement contre les peaux de serpents, utilisant leur dextérité et leur habileté pour créer l’illusion qu’ils s’étaient transformés en créatures vivantes.
Le Ralbag ajoute que les magiciens ne purent utiliser de tour de passe-passe pour faire apparaître des poux car ceux-ci sont trop minuscules pour de tels tours.6
Ces interprétations représentent toutefois une opinion minoritaire. Comme nous le verrons bientôt, la plupart des commentateurs classiques s’accordent sur le fait que les Égyptiens possédaient effectivement des pouvoirs magiques, comme il apparaît clairement d’après une lecture simple du texte et du Talmud. Pour plus de détails à ce sujet (et sur la façon dont l’approche de Maïmonide peut être conciliée avec la lecture littérale des textes), voir « Les Juifs croient-ils en la magie ? »
3. La magie est bien réelle
Une perspective radicalement différente est celle de Na’hmanide, qui soutient que la magie est un phénomène bien réel. Il commente sur cet épisode qu’il approfondira cette question ultérieurement, se référant probablement à son traitement de ce sujet dans le Deutéronome :
Et maintenant, comprends et saisis la question de la sorcellerie. Le Créateur, béni soit Son nom, lorsqu’Il créa tout à partir du néant, établit les mondes supérieurs pour régir ceux qui sont en dessous d’eux. Il dota la terre et tout ce qui s’y trouve de pouvoirs dérivés des étoiles et des constellations, selon leur influence et leur configuration, comme le démontre la science de l’astrologie.
C’est là le secret de la sorcellerie et de son pouvoir, comme nos sages l’ont déclaré (Houline 7b) : La sorcellerie contredit l’armée céleste. C’est-à-dire que la sorcellerie s’oppose aux forces naturelles et entre ainsi en conflit d’une certaine manière avec l’armée céleste. C’est pour cette raison que la Torah interdit la sorcellerie, afin que le monde puisse suivre son ordre naturel, qui reflète la volonté de son Créateur, béni soit-Il.
De nombreuses personnes pieuses rejettent entièrement la sorcellerie, affirmant qu’elle est fausse, demandant : « Qui informe un corbeau ou une cigogne de ce qui va advenir ? » Mais nous ne pouvons nier des phénomènes manifestes et attestés. Même nos sages ont reconnu de tels phénomènes. Par exemple, le Midrash7 interprète le verset « L’oiseau des cieux portera la voix »8 comme faisant référence au corbeau et à la sagesse de ceux qui sont habiles dans l’interprétation des oiseaux.9
Pour expliquer pourquoi ces puissances magiques n’étaient pas assez puissantes pour reproduire la plaie des poux, Na’hmanide suggère que D.ieu intervint pour montrer aux magiciens de Pharaon qu’une Puissance Supérieure était à l’œuvre.10
4. Ils avaient recours aux démons
De nombreux commentateurs, dont Rachi11 et Na’hmanide,12 citent le Talmud, qui affirme que (au moins une partie de) la sorcellerie était orchestrée par des démons. Un démon n’a pas de pouvoir sur une entité plus petite que la taille d’un grain d’orge. Comme les poux étaient trop petits pour que les démons puissent les manipuler, les nécromanciens réalisèrent que cela devait être la Main de D.ieu.
5. Cela n’avait rien d’extraordinaire
Le Rabbi aborde cette question selon une autre perspective. Suivant Rachi et le Talmud, il tient pour établi que ce type de sorcellerie était couramment pratiqué en Égypte. Il s’interroge dès lors sur la portée de ce signe accompli par D.ieu. Qu’y avait-il d’impressionnant à ce que Moïse et Aaron exécutent un prodige ordinaire ?
Le Rabbi suggère que l’élément véritablement novateur ici était le fait que le bâton d’Aaron avala ceux des sorciers après être lui-même redevenu un bâton.13 Cela explique pourquoi Rachi ne mentionne pas ici – comme il le fait à propos de la grêle, qui contenait du feu et de la glace – qu’il s’agissait d’un « miracle au sein d’un miracle ». Dans le cas de la grêle, le miracle était double : le fait que le feu ne consumait pas l’eau et que l’eau n’éteignait pas le feu. Cependant, le fait qu’un bâton se transforme en serpent puis redevienne un bâton ne semblait pas être une nouveauté en Égypte. Ainsi, le miracle résidait dans le fait qu’un bâton avala les bâtons des sorciers, ce qui semble avoir été un exploit impressionnant même en Égypte.
Tirant une leçon de cet épisode, le Rabbi explique qu’un serpent représente quelque chose qui inspire l’effroi et cause des dommages. Dans le langage spirituel, cela représente l’impératif de neutraliser les influences négatives. Il y a des moments où nous devons faire face à des conceptions ou à des personnes qui font obstacle à l’observance de la Torah et des mitsvot. Cependant, il est fondamental que cela s’accomplisse selon l’esprit d’Aaron, « qui aime la paix, poursuit la paix, aime les créatures de D.ieu et les rapproche de la Torah ».14 En d’autres termes, lorsqu’une remontrance constructive s’impose, il est important de le faire d’une manière qui cause le moins de dommages possible, en gardant à l’esprit que l’on œuvre pour l’élévation spirituelle de la personne.
Cette leçon est symbolisée par l’action du bâton d’Aaron engloutissant les autres bâtons. Même lorsqu’il s’avère nécessaire de s’opposer à une personne ou de la corriger lorsqu’elle ne se comporte pas correctement, cela ne doit pas être fait comme un serpent. La remontrance ne doit pas être faite avec emportement ou sévérité d’une façon susceptible de blesser. Elle doit plutôt être faite une fois que le serpent est déjà métaphoriquement redevenu un bâton.
Toute remontrance doit être faite avec amour et bienveillance.15
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