Votre mère vous l’a dit tant de fois. Votre proviseur de lycée n’en était pas si convaincu. Certainement pas votre employeur.
Mais c’est vrai. Et plus encore : non content d’être le centre du monde – vous êtes le monde entier.
C’est une Michna explicite :
Chaque être humain est unique, et chaque être humain est une copie du prototype humain (Adam) [...] par conséquent, chaque être humain doit dire : « C’est pour moi que le monde a été créé ».1
Mais attendez, si vous êtes le centre du monde, qu’en est-il de moi ? Je suis aussi unique et spécial, n’est-ce pas ? Nous ne pouvons pas être tous deux le centre, n’est-ce pas ?
Eh bien, peut-être que si. Peut-être que les êtres humains ne sont pas comptés de manière arithmétique, où un plus un égale deux, jusqu’à ce que la présence des huit milliards d’êtres humains ne réduise chaque individu à un quasi-néant, disparu dans la foule. Peut-être que les êtres humains sont comptés différemment.
Voici donc la conception ‘Habad du décompte des humains, sur notre égalité, sur notre magnifique diversité et sur l’incommensurable valeur de chacun d’entre nous. De sorte que chaque être humain constitue en lui-même le monde entier.
Introduction au etsem
L’être humain constitue l’unité fondamentale de l’humanité. Lorsqu’il s’agit d’unités fondamentales, Wall Street a ses dollars, les physiciens ont leurs atomes, Gottfried Leibniz avait la monade, et ‘Habad parle du etsem.2
Le etsem se trouve partout, en toute chose ; c’est une unité, entière et complète, qui réside dans l’essence de chaque chose. La propriété remarquable du etsem, c’est que, comme aimait à le dire le Baal Chem Tov, « Lorsque vous tenez une partie du etsem, vous le tenez en entier ».3
Pensez aux actions d’une entreprise. Lorsque vous détenez une action, cela ne signifie pas que vous possédez un mètre carré dans les toilettes de l’entreprise. Chaque action est une part de l’entreprise entière, de chacune de ses parties.4 De même, partout où le etsem apparaît dans un détail, vous avez là une part du etsem tout entier.
Considérons les mitsvot.5 Les mitsvot sont l’unité fondamentale du but. Toutes les mitsvot de la Torah représentent un unique etsem : la volonté de D.ieu pour votre monde. Chaque mitsva individuelle détient une part de ce etsem. Voilà pourquoi, si vous êtes engagé dans l’accomplissement d’une mitsva, vous êtes libéré de toutes les autres mitsvot.
Dans chaque mitsva, vous détenez la Torah tout entière, la volonté divine.Par exemple, vous prenez soin de quelqu’un qui ne va pas bien. C’est une mitsva. Imaginons qu’une autre mitsva se présente, comme célébrer le mariage d’un ami, prier avec la communauté à la synagogue, manger dans une Soukka pendant Soukkot, ou appeler votre mère. Vous consultez alors votre autorité halakhique locale pour savoir que faire, et vous recevez une réponse claire : poursuivez la mitsva que vous accomplissez en ce moment.6 (Appeler votre mère pourrait être une exception, puisque personne ne peut vous remplacer pour cela.)
Pourquoi ? Parce que, dans leur etsem, toutes les mitsvot sont le même acte unique – accomplir ce que D.ieu attend de vous. Ainsi, en accomplissant cette mitsva, vous accomplissez toutes les mitsvot de la Torah.7
Un etsem est donc comparable à la vie dans un organisme vivant.8 Quelle est la différence entre un écureuil vivant et celui que quelqu’un a accidentellement écrasé ce matin dans sa course folle pour aller au travail ? Les deux ont les mêmes membres et organes dans la même structure et la même forme. Mais l’écureuil vivant est un être unique, tandis que la dépouille morte est un assemblage de parties sous une même enveloppe. L’animal vivant est uni par un unique etsem partagé, que la dépouille n’a plus.
Comme vous. Vous êtes un organisme vivant. Que je vous saisisse par la main, le lobe de l’oreille ou l’orteil, je vous ai saisi tout entier. Car dans chaque partie de vous se trouve le même etsem – le même vous. Votre orteil n’est pas moins vous que votre lobe d’oreille.
Dans chaque année, chaque jour, chaque instant du temps, il y a un etsem.9 Si je pouvais savoir quelle est la nature de cet instant, quel est son but, ce que je suis censé en faire, j’aurais son etsem.
De même que le reflet du même soleil apparaît dans l’océan, dans un étang, une flaque d’eau ou une goutte de pluie, ainsi dans le etsem de chaque année, chaque jour et chaque instant du temps apparaît tout le temps, chaque seconde, tout à la fois.Et ce etsem contient tout le temps : tout comme le reflet du même soleil apparaît dans l’océan, dans un étang, une flaque d’eau ou une goutte de pluie, ainsi dans le etsem de chaque année, chaque jour et chaque instant du temps apparaît tout le temps, chaque seconde, tout à la fois.
C’est parce que tout le temps est lui-même un unique etsem. Et comme je l’ai dit, vous n’obtenez pas un morceau du etsem, vous en obtenez une participation. À chaque instant que la vie vous accorde, vous avez une part de l’ensemble du temps.
Un hologramme pourrait être une métaphore pertinente. Un hologramme présente une image tridimensionnelle parce qu’il est constitué de nombreuses cellules, chacune présentant la même image sous un angle différent. Vous pouvez couper un hologramme en deux et vous aurez alors deux hologrammes complets du même objet en 3D. Coupez-le encore et vous en aurez davantage.
Une meilleure métaphore serait peut-être celle d’une fractale. Une fractale est une image d’une profondeur infinie générée par une unique formule mathématique. Chaque niveau de profondeur de la fractale est simplement une articulation de la même formule.
Se dissimuler tout en restant visible
L’idée développée ici n’est pas que l’on est une partie vitale d’un tout – comme un joueur dans une équipe. Oui, si je retire un homme de votre minyane, j’ai dissous le minyane tout entier. De même, une équipe gagnante dépend des individus qui en font partie – l’équipe ne peut pas accomplir sa mission si chacun ne fait pas sa part.
Cependant, cela n’est vrai que lorsque l’individu s’inscrit dans le tout – en tant que joueur de l’équipe. Mais quand j’ai un joueur tout seul, je n’ai pas toute l’équipe, je n’ai que cet individu. Selon le paradigme de la part-du-etsem, chaque individu contient le tout entier en propre. Chacun est le tout – chacun d’une manière différente et unique.10
Prenez l’univers. L’univers est aussi un unique etsem, et tous ses détails sont des parts de cet etsem. Si vous pouviez trouver le etsem de chaque entité dans l’univers, vous constateriez qu’il contient l’univers tout entier.
Quel est le etsem de chaque entité ? C’est le but pour lequel elle a été créée – ce que nous appelons souvent l’étincelle divine.Quel est le etsem de chaque entité ? C’est le but pour lequel elle a été créée – ce que nous appelons souvent l’étincelle divine intérieure.11 Chaque entité de l’univers exprime le but de l’univers tout entier d’une manière différente.
C’est simplement que dans une entité isolée, ce but n’apparaît pas si clairement. Parfois, il peut sembler qu’il n’y a pas de but, juste des « choses qui arrivent » de façon aléatoire. Quand nous voyons le tableau d’ensemble – la somme de toutes ces « choses qui arrivent » –, alors le but devient plus clair.
Ce qui est encore une autre propriété du etsem : il est toujours là, et rien ne peut le cacher – parce qu’il est l’essence de chaque chose. Ce dont le etsem est capable, cependant, c’est de se camoufler, en quelque sorte se dissimuler tout en restant visible, en s’exprimant comme un détail plutôt que comme un tout. Quels sont ces détails ? Tous les détails qui font d’un univers singulier une multitude d’êtres infinis.12
L’individu est le tout
Le seul véritable etsem, le etsem ultime, est D.ieu Lui-même. D.ieu est l’unicité parfaite, qui englobe toute existence sans dépendre d’aucune existence. Et, en effet, la vérité de tout autre etsem que vous trouverez dans cet univers n’est rien d’autre que D.ieu Lui-même.
Pourtant, la représentation la plus complète et la plus raffinée de ce etsem dans notre monde est l’être humain individuel. En chacun de nous réside l’unité fondamentale de la liberté dans l’univers – la liberté de suivre aveuglément notre propre voie et de faire de soi-même son propre dieu, ou d’accomplir le but pour lequel nous avons été créés et d’apporter harmonie et perfection à notre monde.
C’est ce que signifie l’histoire de la création dans la Genèse lorsqu’elle dit que l’être humain a été créé à « l’image de D.ieu ». L’être humain individuel, avec sa liberté de construire ou de détruire son univers, est la fractale ultime de D.ieu.13
Regardez à nouveau ce récit de la création dans la Genèse et vous remarquerez comment l’émergence de tous les êtres vivants est décrite comme une création en masse – des champs d’herbes, des forêts d’arbres, des bancs de poissons, des troupeaux et des familles de bêtes. Seul l’être humain est créé comme individu.
« Pourquoi l’être humain a-t-il été créé comme individu ? », demandent les rabbins du Talmud. « Pour t’enseigner que celui qui détruit une seule vie humaine, c’est comme s’il avait détruit un monde entier. Et celui qui sauve une seule vie humaine, c’est comme s’il avait sauvé un monde entier. »14
Ce n’est pas qu’une simple hyperbole figurative. Le Talmud fournit une illustration concrète de ce principe15 :
L’individu est sacré. Rien, ni le bien de l’État, ni même la vie de la majorité, ne peut outrepasser la sainteté de l’individu.Une caravane de voyageurs sur la route est accostée par des étrangers qui leur disent : « Livrez-nous l’un d’entre vous et nous le tuerons, et si vous refusez, nous vous tuerons tous. »
Même si tous doivent être tués, ils ne peuvent pas livrer une seule âme.16
Cette règle est stupéfiante. Et pourtant, en elle réside le rejet fondamental du totalitarisme fasciste et communiste qui est devenu un fondement de la modernité post-Seconde Guerre mondiale.17 L’individu est sacré. Rien, ni le bien de l’État, ni même la vie de la majorité, ne peut outrepasser la sainteté de l’individu.
Cela reflète aussi le ressenti intuitif de l’être humain. L’être humain, lorsqu’il ou elle prend conscience de sa propre existence, est confronté à quelque chose de troublant, voire choquant. Il y a des milliards de « ils », d’« elles », de « vous », de « il » et de « elle », mais un seul « je ».
C’est simplement parce que l’être humain individuel fait l’expérience de la vie comme une fractale parfaite du véritable etsem de D.ieu – le véritable « je ».
La divinité de la diversité
Maintenant, vous allez demander : « Si tous les êtres humains possèdent de manière égale une étincelle divine et représentent le même D.ieu unique dans Son univers, pourquoi ne sont-ils pas tous semblables ? S’il y a un seul D.ieu, ne devrait-il pas y avoir un seul être humain ? »
Et c’est une observation que le Talmud note dans une métaphore concise et profonde : « Un être humain frappe de nombreuses pièces avec un seul poinçon et elles sont toutes identiques. Le Saint, béni soit-Il, modèle chaque être humain avec le moule unique d’Adam, et aucun n’est semblable à l’autre. »18
Vous voyez, la question s’apparente à celle que les philosophes se posent à travers les millénaires : « Comment l’unité engendre-t-elle la multiplicité ; comment d’un D.ieu qui est unité parfaite vient un univers de diversité ? »
Et nos rabbins répondent que cette question n’en est pas vraiment une. Car, bien au contraire, l’expression la plus raffinée d’un D.ieu qui transcende la forme est un univers aux formes diverses et opposées.
Bien au contraire, l’expression la plus raffinée d’un D.ieu qui transcende la forme est un univers aux formes diverses et opposées.Seul de Celui qui n’est ni eau ni feu peuvent naître à la fois les océans et les étoiles ; de Celui qui n’est ni grand ni petit peuvent naître à la fois la baleine bleue et le moucheron ; de Celui qui n’est ni lumière ni obscurité peuvent naître à la fois les yeux du faucon et les oreilles de la chauve-souris, l’éclat féroce dans l’œil du léopard, la tendresse vigilante d’un aigle puissant pour ses aiglons, le silence et le bruit, la destruction et le renouveau, l’ordre et le chaos – et tout cela simultanément, même au sein d’un même être.
Comme le dit une fois le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie :
Le Très-Haut ne voulait pas que Sa création soit une sorte d’unité simple, homogène et uniforme, sans distinction entre une créature et la suivante. Au contraire, Il désirait une multitude – une multitude considérable, à tel point que nous nous exclamons : « Que Tes œuvres sont nombreuses, ô D.ieu ! »19
Et pas seulement en nombre. Elles sont diverses, et leur diversité a un sens profond. Devant n’importe laquelle de ces créatures, nous pouvons nous exclamer : « Que Tes œuvres sont grandes, ô D.ieu ! »20 Car ces différences ne sont pas des différences fortuites ou négligeables. Au contraire, l’unicité de chaque créature individuelle est à elle seule un commentaire sur la grandeur de son Créateur.
De même, ce sont les différences entre les êtres humains, et non ce qu’ils ont en commun, qui les rendent précieux pour leur Créateur.21
Le merveilleux paradoxe de la condition humaine
Oui, tout cela paraît un paradoxe impossible – dire d’un même élan que nous sommes à la fois parfaitement « un » et entièrement différents. Mais cela aussi est un reflet du Créateur, pour qui il est impossible que quoi que ce soit puisse être impossible, car Il transcende toutes les dualités. Un paradoxe de cette nature est beauté, car il est une fenêtre dans notre monde à travers laquelle brille la transcendance.
C’est peut-être pourquoi nous, êtres humains, avons fini par embrasser ces valeurs essentielles et pourtant contrastées de diversité et d’égalité – non pas tant par notre sens de la raison que par le etsem en chacun de nous qui incarne et manifeste la magnificence du divin.
Et c’est peut-être ce qui nous motive véritablement à préserver la diversité de notre monde, et celle de nos semblables, car dans cette diversité s’exprime le secret le plus profond du divin et de l’âme humaine.
Paradoxalement encore, en décrivant le caractère précieux de chaque être humain de manière si individualiste, nous lions en réalité les êtres humains plus étroitement les uns aux autres. Dans la plus grande intimité.
Lorsqu’il décrit le lien d’un Juif avec un autre (qui est un modèle du lien que toute l’humanité doit apprendre à ressentir), Rabbi Chnéour Zalman écrit dans son œuvre classique connue sous le nom de Tanya que toutes nos âmes, en plus d’être un etsem unique à leur origine, sont « jumelles ».22
C’est-à-dire : non seulement elles représentent toutes le même D.ieu unique, mais elles sont intriquées entre elles dans cette représentation – tout comme les particules d’un même atome sont enchevêtrées dans leurs états –, même si elles sont dispersées aux extrémités opposées de la galaxie. Car non seulement elles sont toutes un etsem unique dans leur essence profonde, mais aussi dans leurs différences.
Et donc, ce qui arrive à un être humain, même dans un détail qui semblerait apparemment sans lien avec un autre être humain à l’autre bout de la planète, affecte cette autre personne immédiatement et profondément.
Chaque être humain regarde un autre être humain et dit : « Ce n’est pas un autre. C’est ma même essence exprimée sous une forme différente unique et spéciale. »Ainsi chaque être humain doit regarder un autre être humain et dire : « Ce n’est pas un autre. C’est ma même essence exprimée sous une forme différente unique et spéciale. Ce qu’elle vit, je le vis. Sa douleur est ma douleur. Son bonheur est mon bonheur. Son destin est mon destin. »
Il devient maintenant d’une évidence absolue pourquoi nous ne pouvons pas dépouiller un être humain de sa dignité d’être humain pour le bien du reste de l’humanité, et pourquoi un monde qui agit ainsi n’est pas un monde pérenne. Car c’est une impossibilité. Chaque individu est le monde entier. Nous sommes tous des reflets d’un seul visage sous chaque angle imaginable. Si vous avez dépouillé un individu de sa dignité humaine, vous nous en avez tous dépouillés.
En pratique...
Dans son récent ouvrage, Vision sociale – la vision transformatrice du Rabbi pour le monde, le Dr Phillip Wexler examine comment le grand sociologue Max Weber avait du mal à imaginer que le « mystique du monde intérieur » puisse créer une société pérenne. Pourtant, écrit Wexler, le Rabbi a étendu l’enseignement ‘Habad, très « intérieur » et très « mystique », vers un programme activiste de transformation sociale et un meilleur avenir pour l’Amérique et le monde.
Voici une illustration concrète de la façon dont le concept ‘Habad du etsem aborde l’un des grands dilemmes sociaux de notre époque : l’incarcération des criminels.
Comme le montre Wexler, le Rabbi parlait avec une grande passion de la nécessité de remplacer la punition par la réparation. « Les établissements correctionnels », disait-il, doivent honorer leur appellation.
Dans les mots du Rabbi :
Nous devons veiller à ce que l’individu sente qu’il est – comme D.ieu l’a dit – « à notre forme et à notre image ».23 C’est-à-dire qu’il est un être humain. Que, pour peu qu’il le désire, il peut être une personne à l’image du Très-Haut.
.. Mais quand nous lui retirons cette possibilité, quand nous le persécutons et l’opprimons, quand nous l’empêchons de redresser la tête, alors non seulement l’« établissement correctionnel » ne sert pas son propre objectif – au contraire, il le rend encore plus enclin à la criminalité qu’il ne l’était avant son incarcération initiale.
Le gars est un criminel. Il a volé. Il a causé des dommages. Peut-être même a-t-il tué. Mais c’est un être humain, et donc à l’image divineC’est pourquoi l’établissement correctionnel doit avoir pour objectif d’élever le moral de ceux qui s’y trouvent. Ils doivent être traités de toutes les manières possibles comme des personnes libres – à l’égal des gardiens de prison. Il faut leur donner l’opportunité de réaliser leur potentiel humain au degré le plus complet.24
Le gars est un criminel. Il a volé. Il a causé des dommages. Peut-être même a-t-il tué. Mais c’est un être humain, et donc à l’image divine, une fractale de D.ieu. Et par conséquent, notre tâche en tant que société est de lui apprendre à vivre comme l’être noble qu’il est véritablement.
Chacun de nous est le monde, un être divin. C’est pourquoi, si vous vous respectez vraiment vous-même, vous entrerez dans l’espace de chaque autre être humain avec respect et humilité.
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