Question :

Mon ami et moi avons eu une petite dispute l’autre soir. J’ai levé mon verre et lui ai souhaité « le’haïm », ce qui, ai-je expliqué, est un souhait juif qui signifie « à la vie ». Il a dit qu’il n’y avait rien d’unique dans ce genre de toast, et que de nombreuses cultures – allant des Arméniens aux Maoris néo-zélandais – disent la même chose dans leurs langues respectives.

Je vous demande donc, cher rabbin, pourquoi nous disons « le’haïm » ? Y a-t-il une raison spécifiquement juive à cette coutume ?

Réponse :

Vous avez touché un point de contention qui dure depuis plus de 2 000 ans. À l’époque, les gens portaient un toast à « du vin et de la vie pour la bouche des rabbins ». Certains pensaient que c’était une superstition païenne interdite, mais le Talmud a contredit cette opinion en citant une Tossefta1 qui permet ce souhait. Le Talmud a également cité le précédent de Rabbi Akiva, qui prononça cette formule à chaque coupe lors du repas de mariage de son fils.2

Nous savons ainsi que le toast « à la vie » est une tradition juive vieille d’au moins 2 000 ans.

Mais en quoi cette pratique est-elle spécifiquement juive ?

Plusieurs explications sont données pour le souhait « à la vie » (quoique « pour la vie » soit une traduction plus fidèle de « le’haïm »).

De mauvaises choses sont arrivées quand du vin a été bu

Selon une interprétation, l’Arbre de la Connaissance était une vigne.3 D’après cela, c’est la consommation par Adam et Ève de raisins (ou peut-être de vin) qui a introduit la mort dans le monde.

Mais cela ne s’arrange pas : après avoir survécu au Déluge, Noé planta une vigne et devint ivre, et on peut lire le désastre qui s’ensuivit au chapitre 9 de la Genèse.

Ensuite, au chapitre 19, nous lisons l’histoire de Lot, enivré par ses filles qui l’ont ensuite fait pécher avec elles.

Comme la consommation d’alcool peut facilement mener à des conséquences négatives, nous exprimons le souhait que cette consommation de vin soit « pour la vie ».4 Certains ont même la coutume de préciser ce souhait en portant un toast « le’haïm tovim oulechalom », « pour une bonne vie et pour la paix ».5

À la vie ou pas à la vie...

Le Midrash apporte une autre explication fascinante :

Après que les juges du tribunal rabbinique aient délibéré sur des affaires capitales, ils se tournaient une dernière fois vers ceux qu’ils avaient envoyés interroger les témoins et leur demandaient leur avis : « Savri maranane », « Attention, messieurs... » Si ces derniers pensaient que le plaignant devait vivre, ils répondaient « le’haïm », « À la vie ». Cependant, s’il s’agissait de la mort, ils répondaient « lemita », « À la mort ». Si les juges trouvaient le défendeur coupable, il lui était donné à boire du vin très fort pour diminuer la douleur de l’exécution.6

Ainsi, lorsque nous buvons notre vin, nous souhaitons que ce soit « à la vie », contrairement au vin fort bu par la personne sur le point d’être exécutée.7

Une approche ‘hassidique

En entendant les gens dire « le’haïm », Rabbi Dovber de Mézeritch répondait, « Le’haïm velivrakha », « À la vie et à la bénédiction ». Lors d’un rassemblement ‘hassidique, son disciple, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, répondit également par « Le’haïm velivrakha ». Après le rassemblement, une discussion sur cette expression s’ensuivit. Un ‘hassid proposa : « Le Talmud déclare que “quand le vin entre, les secrets sortent” ».8

Quand nous buvons du vin, nos émotions sont révélées. Cependant, cela nécessite une bénédiction pour que tout se passe bien, nous ajoutons donc le mot « livrakha », « pour la bénédiction ». Le mot hébreu « livrakha » peut aussi être lu comme une contraction de deux mots, « lev rakha », un « cœur sensible (littéralement, doux) », auquel nous aspirons.

Bien sûr, tout ce qui précède n’enlève peut-être rien au sens le plus simple de dire « le’haïm ». Tout comme Rabbi Akiva bénissait les autres par « le’haïm » au moment de boire, nous aussi, en disant « le’haïm », n’avons pas nécessairement des intentions plus profondes derrière ce souhait ; nous le disons simplement comme une bénédiction pour nos amis.9

Le Talmud nous dit que lorsque deux personnes partagent un verre ensemble, cela les rapproche.10 À la lumière de cela, le Tséma’h Tsédek a dit que lorsque deux Juifs, pour une raison quelconque, partagent un verre et se souhaitent « le’haïm », ils attirent la paix et les bénédictions dans le monde. Le pouvoir de la camaraderie couplé aux souhaits de « le’haïm » est si grand que Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, l’Admour Hazakène, a proclamé que ce que la proximité et les bons vœux d’un rassemblement ‘hassidique peuvent accomplir, même l’archange Michael ne peut l’accomplir !11

Pour finir, à l’avènement de Machia’h, un grand festin sera célébré à la fin duquel nous lèverons nos verres pour dire « le’haïm » sur le vin préservé par D.ieu depuis l’aube de la création12 – puissions-nous le voir bientôt.13

Le’haïm !