Le monde évolue suivant un plan divin qui précède à son existence (il n’est pas de notre propos de discuter ici de la question connue de l’influence du libre arbitre sur le destin). Ce plan concerne la Création dans son ensemble, sa finalité étant la réalisation de la volonté du Créateur d’avoir « une résidence dans les mondes inférieurs », lors de l’ère que la tradition appelle « Monde futur ». Ce plan s’étale dans le temps sur trois périodes, trois phases, dénommées respectivement « Tohou » (le « chaos »), « Torah » et « Yémot Hamachia’h – l’ère messianique ».
Le Talmud1 précise l’étendue de ces trois périodes : « Le monde a pour durée six mille ans : deux mille ans de Tohou, deux mille ans de Torah et deux mille ans d’ère messianique. » La période de Tohou se termina lorsque notre père Avraham acheva de convertir les gens de son pays au monothéisme, comme le dit la Torah : « les âmes qu’ils (lui et Sarah) avaient faites à ‘Haran ». C’est alors que commença la période dite de Torah : Avraham commença à diffuser dans le reste du monde la foi en un D.ieu unique. Le Midrache enseigne en effet que « Jusqu’à Avraham, le monde évoluait dans l’obscurité. Avec sa venue, la lumière a commencé à briller. » C’était à la fin du deuxième millénaire après la création du monde, Avraham était alors âgé de 52 ans.
La période de Torah s’est terminée vers la fin du quatrième millénaire, juste après la conclusion de la Michna, avec le début de la période des Amoraïm, les Sages de la Guémara. La conclusion de la période de Torah s’exprime aussi dans le fait qu’après la clôture de la Michna, les Sages qui succédèrent aux Tanaïm – les Sages de la Michna – n’étaient plus investis du degré d’autorité juridique qui permettait à leurs prédécesseurs de trancher la Halakha – la loi juive – de manière aussi absolue. Ce fut alors que commença la troisième période : Yémot Hamachia’h, l’ère messianique.
« L’ère messianique »
Le fait que cette période dure depuis 1868 ans nous porte à nous interroger sur sa nature « messianique ». En effet, ce fut une période d’exil longue et douloureuse, jalonnée de tragédies et de persécutions multiples ! En quoi peut-elle être qualifiée de messianique ?
En réalité, la signification de cette appellation est qu’il s’agit d’une époque au cours de laquelle le Machia’h aurait pu venir. Selon Rabbi Its’hak Abrabanel2 ces deux mille ans sont appelés « Yémot Hamachia’h » car « ce sont des jours propices à sa venue, si la génération est méritante. » Il compare cette expression avec celle de « Yémot Haguechamim », « la saison des pluies », qui n’implique pas qu’il pleuve en permanence, mais « qui sont des jours propices à la pluie plus que les autres jours de l’année. De même, les deux mille dernières années sont des années propices à la venue de Machia’h. »
Le Maharal de Prague3 explique qu’avant le début de cette période, le Machia’h ne pouvait pas venir, quand bien même le peuple juif aurait atteint le summum du mérite. Cependant, dès lors que le monde est entré dans cette ère, cela ne dépend plus que de nous : si nous l’avions mérité, la Délivrance serait intervenue dès le début de cette période ; en l’absence d’un tel mérite, la Délivrance tarde. Elle viendra néanmoins nécessairement au cours de cette période qui, dans sa globalité, est une période de préparation à la Rédemption messianique.
Six jours, six millénaires
Par delà la division globale des six millénaires en trois périodes enseignée par le Zohar, certains Sages d’Israël ont donné des subdivisions plus détaillées de l’histoire du monde qui expriment comment l’enchaînement des évènements au fil des millénaires correspond au plan divin.
Le Ramban4 (Na’hmanide) explique que les six millénaires que compte actuellement notre monde sont parallèles aux six jours de la création : « Les six jours sont eux-mêmes toute l’existence du monde, car celui-ci durera six mille ans. C’est pour cela qu’il est écrit dans les Psaumes que “le jour de D.ieu dure mille ans”. » Dans son commentaire, le Ramban met ensuite en évidence plusieurs similitudes entre les évènements émaillant chaque jour de la création avec le millénaire qui lui correspond.
Cet enseignement est repris de manière encore plus détaillée dans les enseignements de la ‘Hassidout5 : les six jours de la création, comme les six millénaires du monde, correspondent aux six attributs divins : la largesse (‘Hessed), la rigueur (Guevoura), l’harmonie (Tiferet), la persévérance (Netsa’h), la gloire (Hod) et la fondation (Yessod).
Le premier jour de la création fut celui de la révélation de la bonté et de la largesse de D.ieu. C’est pour cela que la lumière infinie fut créée en ce jour. De la même manière, le premier millénaire fut caractérisé par une largesse et une abondance considérables : les hommes vivaient plusieurs siècles, se « nourrissant » de la bonté de D.ieu. Le deuxième jour fut marqué par la rigueur de D.ieu : il fut créé une séparation entre les eaux « d’en bas » et les eaux « d’en haut ». Le deuxième millénaire vit aussi l’expression de la rigueur et la justice divines lors des épisodes du déluge et de la tour de Babel.
Le troisième jour, au sujet duquel la Torah dit à deux reprises que « c’était bien », brilla l’attribut de Tiferet, l’harmonie. Le monde commença à être viable : la terre ferme apparut, les plantes et les fruits commencèrent à pousser. Parallèlement, lors du troisième millénaire commença à se dévoiler la finalité de la création : il y eut la sortie d’Égypte, le peuple juif fut choisi par D.ieu et la Torah fut donnée.
Les autres jours de la création sont également reliés aux millénaires correspondants : le quatrième jour, les luminaires célestes furent suspendus et, lors du quatrième millénaire, les deux Temples à Jérusalem fonctionnèrent successivement, desquels sortit la lumière divine qui illumina le monde entier. Le cinquième jour les eaux se remplirent de créatures aquatiques et les oiseaux prirent leur envol, ce qui fait allusion à la domination des Nations du monde sur Israël lors du cinquième millénaire.
C’est ainsi que nous parvenons au sixième jour lors duquel le monde parvint à sa perfection avec la création de l’Homme. Ceci fait allusion à la plénitude que le monde atteindra lors du sixième millénaire qui verra la « création » et la révélation de l’homme le plus parfait qui soit : le roi Machia’h, autrement dit le Messie. Dans les mots du Ramban : « Il s’agit du descendant de David qui sera créé à l’image de D.ieu. » Ainsi, le sixième millénaire prépare le monde à la Rédemption et c’est pendant cette période que vient et se dévoile le Machia’h.
« Le talon du Machia’h »
Au sein même du sixième millénaire, la période la plus déterminante et la plus chargée de sens est celle de sa conclusion, connue sous le nom araméen de « Ikvéta deMéchi’ha – le talon du Machia’h ». Ce nom porte en lui le double visage de cette période : d’une part, il s’agit du « talon », la partie la plus basse du corps, une masse de chair brute et insensible. D’autre part, il s’agit du « talon du Machia’h », une période où les pas du Machia’h qui approche commencent à résonner dans le monde6.
Ainsi, si l’on examine les sources, cette période se distingue par deux mouvements opposés : d’un côté, elle voit le début de la préparation à la Rédemption messianique et, d’un autre côté, c’est une période extrêmement dure marquée par la perte des valeurs morales et spirituelles et par des évènements tristes et douloureux.
Le livre du Zohar7 explique que le sixième millénaire verra « la Présence Divine se relever de la poussière », suivant un processus graduel. Selon le Zohar, une étape décisive de ce processus sera atteinte lorsque « au sixième siècle du sixième millénaire s’ouvriront les portes de la sagesse en haut et les sources de la sagesse en bas et le monde se préparera à pénétrer dans le septième millénaire ».
Et, en effet, cette période qui a débuté en l’an 5500 depuis la création du monde, (il y a 268 ans) avec le début du sixième siècle de ce millénaire a vu un développement des sciences et des savoirs dans le monde d’une magnitude sans précédent. D’une part, « les portes de la sagesse en haut », ont commencé à se dévoiler, c’est-à-dire la sagesse supérieure, la partie profonde de la Torah appelée également ‘Hassidout. (Le dévoilement du Baal Chem Tov eut lieu en 5494 (1734), quelques années avant 5500). D’autre part, les « les sources de la sagesse en bas » ont commencé à jaillir, il s’agit de la « révolution scientifique » suivie plus tard par la « révolution industrielle ».
Ce jaillissement de la sagesse – sous toutes ses formes – ne s’est pas fait sans heurts et sans opposition. Ceci est naturel, car le monde n’avait pas encore la maturité nécessaire pour intégrer ensemble tous ces dévoilements. Néanmoins, il s’agit bien là d’une avancée décisive du monde qui le prépare, tant matériellement que spirituellement, à la venue du Machia’h et l’avènement de l’ère messianique.
Il y a des signes
En contraste avec les avancées dans les domaines spirituel et scientifique qu’elle a connues, cette période fut aussi, dans ces mêmes domaines, une des plus pénibles de notre histoire. Elle a été décrite en détail par les Sages du Talmud qui ont donné à son sujet des signes précis d’après lesquels il est possible de l’identifier8. Ces signes décrivent la perte des valeurs morales, l’érosion des fondements de la société et de l’autorité, la diminution du nombre de ceux qui étudient la Torah, le renforcement de l’athéisme, un sentiment général de désespoir, l’irrésistible augmentation du coût de la vie et aussi les malheurs atroces que devait connaître le peuple juif (au point que certains des Sages du Talmud ont dit : « Que le Machia’h vienne, mais que je ne sois pas là pour le voir ! »).
En nous brossant ce sombre tableau de notre époque, l’intention des Sages était double : que nous ne nous abandonnions pas au désespoir, mais aussi que nous ayons conscience qu’il s’agit là des « douleurs de l’enfantement du Machia’h ». Et, effectivement, si nous considérons le cours des évènements dans le monde lors des dernières décennies, il n’y a pas le moindre doute que les signes caractéristiques de l’ère de « Ikvéta deMéchi’ha » se sont tous intégralement accomplis, d’une manière sans précédent dans l’histoire.
Il est maintenant clair que nous nous tenons à la conclusion de cette période de « Talon du Machia’h ». Nous avons traversé toutes les étapes de cette période et, d’après les processus qui se déroulent actuellement aussi bien au sein du peuple juif que dans le monde entier, nous pouvons dire que nous sommes déjà rentrés dans la phase des derniers préparatifs à l’avènement de la Délivrance messianique.
C’est pour cela que le Rabbi de Loubavitch a si souvent répété que le travail spirituel du peuple juif en exil était terminé et qu’il ne nous reste désormais qu’à « accueillir concrètement le Machia’h » afin qu’il puisse accomplir sa mission et délivrer le peuple juif de l’exil9.
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