La plupart d’entre nous ne s’en souviennent pas, mais il fut un temps où ‘Hanouka n’était pas très connue. À l’époque, les ménorahs géantes ne scintillaient pas devant l’hôtel Plaza sur la Cinquième Avenue, ni devant la Maison Blanche sur l’Ellipse, ni au pied de la Tour Eiffel à Paris. Les jeunes enfants et les adolescents n’arrêtaient pas les gens au coin de Hollywood et Highland à Los Angeles ou au milieu des lumières de Times Square en leur lançant un joyeux « Joyeux ‘Hanouka » et en leur poussant dans les mains une boîte contenant une ménorah en étain, des bougies de cire colorées et une ou deux toupies.
À l’époque, ‘Hanouka était une fête qui se déroulait derrière des rideaux, dans l’intimité de la maison. Jusqu’à l’hiver 1973, il y a exactement 50 ans, lorsque le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie, a lancé la campagne de sensibilisation de ‘Habad-Loubavitch à la fête de ‘Hanouka.
« La mitsva des lumières de ‘Hanouka présente un avantage particulier », a-t-il expliqué le 20 Kislev 5734 (15 décembre 1973), quatre jours seulement avant le début de la fête, « car lorsqu’un Juif allume une ménorah, une lumière concrète en émane et illumine la rue ». C’est pourquoi, poursuit-il, il incombe à chacun de « veiller à ce que chaque foyer juif dispose d’une ménorah pour toutes les huit nuits de ‘Hanouka ». Si une personne n’a pas de ménorah, a ajouté le Rabbi, il faut lui en vendre une à un prix symbolique ou lui en faire cadeau, selon les circonstances. Le Rabbi a également souligné l’importance de faire participer les enfants à la joie de la fête en leur donnant le traditionnels « guelt » de ‘Hanouka (c’est-à-dire de la monnaie légale, pas du chocolat), en rassemblant et en partageant avec eux l’histoire de la fête et en veillant à ce qu’ils aient également leurs propres ménorahs.
À la fin du farbrenguen, qui se déroula un Chabbat après-midi, le Rabbi déclara qu’il était certain que les personnes présentes tiendraient une réunion immédiatement après la fin du Chabbat afin d’élaborer les plans nécessaires pour la campagne de ‘Hanouka.1
Depuis, la fête des Lumières n’a plus jamais été la même.2

Renouveler et restaurer le monde
La fête de ‘Hanouka, parfois qualifiée par dérision de « petite fête », mais elle est tout le contraire. Rabbi Ichayahou Horowitz (1558-1628), connu sous le nom de saint Cheloh, a souligné que ‘Hanouka contient en elle l’immense pouvoir de renouveler et de restaurer le monde entier. « Tout comme la création a commencé par “Que la lumière soit”, écrivait-il, la mitsva de ‘Hanouka commence par l’allumage des bougies. »
Dans le judaïsme, les mitsvas liées à l’allumage des bougies ont une prééminence, a expliqué le Rabbi lors de la fête de ‘Hanouka en 1973, « car l’effet de l’action, l’apparition des lumières, est immédiatement visible... ». Si toutes les mitsvas énoncées dans la Torah manifestent une lumière spirituelle, celle-ci reste invisible pour l’œil physique. Il n’en va pas de même pour les mitsvas consistant à allumer des lampes, qui remplissent la maison d’une lumière tangible. Il s’agit notamment de la ménorah de ‘Hanouka qui, selon la loi, doit être placée « à l’entrée de la maison, à l’extérieur », de manière à ce que « tout passant ... remarque immédiatement l’effet de la lumière, qui illumine l’extérieur et l’environnement ».

Le monde était particulièrement sombre lorsque le Rabbi a lancé la campagne de ‘Hanouka en 1973. Comme aujourd’hui, la Terre et le Peuple d’Israël avaient subi des pertes dévastatrices lorsque les armées arabes ennemies environnantes avaient envahi la Terre Sainte le matin de Yom Kippour. Au cours des premières heures et des premiers jours de la guerre, l’existence même d’Israël semblait menacée, et avec elle la vie de millions de Juifs. Si Israël finit par renverser la vapeur et repousser les envahisseurs – la contre-offensive de Tsahal est parvenue à 100 kilomètres de la capitale égyptienne, Le Caire, et à 30 kilomètres de Damas, en Syrie –, le prix à payer fut très élevé : près de 2 600 soldats ont été tués, laissant derrière eux des veuves et des orphelins, et le moral d’Israël a été ébranlé.
Les militants de ‘Habad se sont depuis longtemps engagés à partager les joies de la Torah et des mitsvas avec leurs frères du monde entier. En Israël, cette action comprenait évidemment des visites dans les bases militaires les plus éloignées. « Les visiteurs à la barbe fournie et au chapeau noir à larges bords sont arrivés sur les hauteurs du Golan [avant-poste militaire] armés des traditionnels beignets de ‘Hanouka, de brandy, de gâteaux, de bonbons, de chaleur et de bonne humeur », rapportait le New York Times en décembre 1972, « autant d’éléments qui les ont aidés à atteindre leur objectif... Ils se sont décrits à un journaliste comme des soldats de Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson de Brooklyn, chef spirituel du mouvement Loubavitch mondial. Il leur avait enjoint, disaient-ils, de faire prier les soldats avec des téfiline, les phylactères de tête et de bras que les hommes juifs sont tenus de porter pour leurs dévotions matinales en semaine. »3
Jusqu’en 1973, il n’y avait pas eu de modus operandi particulier pour la diffusion de ‘Hanouka, mais maintenant il y en avait un. Une fois de plus, le Rabbi mit l’accent sur les soldats juifs qui servaient sur les lignes de front de la guerre en cours. Se référant aux soldats d’Israël par le terme ancien de netourei karta, ou « gardiens de la ville »,4 le Rabbi demanda à ses disciples de leur rendre visite où qu’ils soient stationnés. « Ils sont les représentants du peuple juif tout entier et ont le privilège de protéger le peuple juif avec leurs corps et leurs âmes », expliqua-t-il. Il est donc essentiel qu’il y ait une « ménorah de ‘Hanouka dans chaque base et avant-poste, même dans un endroit où il n’y a qu’un seul soldat, et certainement là où il y a beaucoup de soldats » et que les ménorahs soient allumées pendant les huit nuits de la fête, chaque nuit par un autre soldat.5
Le Rabbi a demandé que du ‘Hanouka guelt (« argent de ‘Haounka ») soit également distribué aux soldats et que ceux qui leur rendent visite échangent des paroles de Torah. En plus des ménorahs, chaque base ou avant-poste devrait également disposer d’une boîte de charité, où les soldats pourraient accomplir la mitsva de tsédaka avec l’argent de ‘Hanouka qui leur a été donné (ce que les enfants devraient également faire avec l’argent qu’ils reçoivent de leurs parents, a souligné le Rabbi).
« Il est particulièrement important de visiter les maisons des veuves de guerre et des orphelins », a poursuivi le Rabbi, « d’éclairer leurs maisons avec la lumière des bougies de ‘Hanouka allumées par les mères et leurs enfants, et de partager avec eux des paroles de consolation ». Un effort similaire, a-t-il ajouté, doit être mené avec les soldats blessés et leurs familles.

Une vie plus lumineuse
Le Rabbi annonça sa nouvelle campagne cinq jours avant ‘Hanouka. La réunion que le Rabbi avait suggérée d’organiser le soir même eut lieu et, deux jours plus tard, le Rav Dovid Raskin, de l’Organisation de la Jeunesse Loubavitch de New York, put informer le Rabbi qu’il avait trouvé un emboutisseur et qu’il était en train de produire 10 000 ménorahs en étain.6
L’emboutisseur s’appelait Tibor Kupferstein, un survivant de la Shoah originaire de Budapest dont l’usine répondait à des contrats militaires américains. Les Loubavitchs lui ont demandé de concevoir une ménorah légère et peu coûteuse qui serait facile à distribuer. « Ils m’ont demandé si je comprenais ce qu’il fallait faire et j’ai répondu : “Oui, je prendrais un morceau de ceci et un morceau de cela et je ferais quelque chose de très bien pour eux”, a déclaré M. Kupferstein au New York Times en 2009. “Le premier que j’ai fait était trop coupant, alors je lui ai fait un bord plus doux.” »
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Il sortit son usine de ses contrats militaires et se mis à fabriquer des ménorahs 24 heures sur 24. « Les Lubavitchers m’ont dit qu’ils allaient les distribuer gratuitement et j’ai pensé que c’était une très bonne idée », se souvient-il. À la fin de ‘Hanouka, Kupferstein avait produit 60 000 ménorahs.
Chaque soir de la fête – tôt le vendredi, lorsque la ménorah doit être allumée avant le coucher du soleil, et plus tard le samedi soir, lorsqu’elle doit être allumée après la tombée de la nuit – les bénévoles de ‘Habad, jeunes et moins jeunes, se sont répandus dans toute la ville de New York pour distribuer les ménorahs. Ils frappaient aux portes, visitaient les magasins et se tenaient au coin des rues. (Plus tard, le Rabbi a offert du ‘Hanouka guelt à tous ceux qui avaient participé à la campagne, la preuve de cette participation étant exigée sous la forme d’une note signée par les organisateurs.) Certaines des ménorahs en étain furent également expédiées dans des villes comme Los Angeles et Miami, où elles ont été distribuées. À la fin de la fête, les 60 000 ménorahs avaient disparu.
Un effort similaire fut déployé en Israël, où les Forces de Défense israéliennes ont transporté des ‘hassidim dans des avions militaires vers des bases situées sur le canal de Suez, au fin fond du Sinaï et jusqu’à la frontière syrienne, afin de partager la lumière et la joie de ‘Hanouka. Après tout, la ménorah raconte l’histoire de la victoire d’un petit groupe de Maccabées sur un puissant empire qui tentait d’écraser le peuple juif sur le champ de bataille.
« Les Juifs ont toujours été une “petite minorité parmi les nations” et ne peuvent se mesurer aux nations du monde en termes de puissance physique et matérielle », écrivait le Rabbi dans une lettre de ‘Hanouka quelques années plus tard. « Mais dans le domaine de l’esprit, c’est exactement l’inverse : la force spirituelle de la “voix de Jacob” subjugue “les mains d’Ésaü” ... En outre, la victoire de l’esprit ne se limite pas au domaine spirituel, mais entraîne une victoire sur le champ de bataille au sens ordinaire du terme, “la délivrance des puissants entre les mains des faibles, et du grand nombre entre les mains du petit nombre”... ».
C’est également à l’occasion de ‘Hanouka que l’allumage public de la ménorah a vu le jour, d’une certaine manière. Comme l’a rappelé le rabbin Shmuel Lipsker dans une interview accordée en 2014 à Chabad.org, cette année-là, lui et quelques amis étudiants de la yeshivah se sont postés à l’angle de la Cinquième Avenue et de la 47e Rue, dans le centre de Manhattan, pour distribuer les ménorahs. Ils voulaient quelque chose qui puisse attirer l’attention des milliers de New-Yorkais qui passaient à toute allure devant eux. « Nous avons décidé de construire une grande ménorah et de l’apporter avec nous », se souvient Lipsker.

Ils ont donc construit une simple ménorah en tasseaux avec une base en parpaings, et l’ont transportée à Manhattan. « Tout l’après-midi, nous avons annoncé que nous allions allumer notre ménorah à 17 heures », explique-t-il. « Il ne faut pas oublier que c’était avant l’époque des allumages public de ménorah ; le concept n’existait pas encore. Cela attira énormément de monde. Nous distribuions des ménorahs et de plus en plus de gens se rassemblaient autour de nous. Lorsque nous avons allumé notre ménorah, il y avait une foule immense. C’était incroyable, tout simplement époustouflant. »
L’année suivante, un rabbin de ‘Habad allumait une ménorah publique devant l’Independence Hall de Philadelphie. Un an plus tard, en 1975, le représentant de ‘Habad à San Francisco et un légendaire promoteur de rock se sont associés pour construire la première ménorah géante au monde, une ménorah de 25 pieds en acajou qui trône toujours sur Union Square. En 1979, le président américain Jimmy Carter allumait la ménorah géante de ‘Habad à l’extérieur de la Maison Blanche, désignée depuis comme la « Ménorah Nationale ».
Un demi-siècle plus tard, la campagne de ‘Hanouka de ‘Habad a touché littéralement des millions de Juifs et des milliards de personnes dans le monde. Chaque année, ‘Habad érige des ménorahs géantes dans des lieux publics, de Berlin à Buenos Aires, de Vancouver au Vermont. Le mouvement distribue plus de 700 000 kits de ménorah et 2,5 millions de guides de ‘Hanouka en personne ou par courrier.
« Prions », écrit le Rabbi dans une lettre de 1980 adressée à tous les participants aux allumages publics de la ménorah de ‘Hanouka aux États-Unis, « pour que le message des lumières de ‘Hanouka illumine la vie quotidienne de chacun, sur le plan personnel et pour la société dans son ensemble, pour une vie plus lumineuse à tous égards, à la fois matériellement et spirituellement ».
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