Nous pensions vivre dans un monde moderne. Un monde où le meurtre de Juifs de sang-froid, où le massacre en masse d’hommes, de femmes et d’enfants innocents – des bébés ! – chez eux et dans leurs rues était impensable. Nous pensions que voir des tueurs laisser les cadavres mutilés de familles juives entières dans des fossés et des pillards prendre des Juifs en otage appartenait au passé. Certes, de mauvaises choses arrivent à de bonnes personnes, et chaque Juif sait qu’il ou elle est potentiellement une cible uniquement pour sa judéité, mais qu’un monde civilisé qui prêche « la justice et le droit » puisse tergiverser, tolérer, voire soutenir une telle chose ? Aujourd’hui ? Impossible.

Nous nous trompions.

La vérité est que, quelque part au fond de nous, nous le savions, et nous avons toujours douté des assurances du monde moderne selon lesquelles nous étions en sécurité. C’est pourquoi nous étions obsédés par le passé, lisant des livres sur la Shoah, sur Staline, sur les pogroms, sur les Croisades ; c’est pourquoi nous avons construit des musées et créé des programmes d’études ; c’est pourquoi nous avons éduqué et parlé. Nous en avons aussi plaisanté, ce sombre humour juif qui contient une sagesse qu’aucun des musées ne pourrait jamais communiquer.

Et au fond de nous, nous savions que nous avions une option : Israël. C’était en fait la menace contre Israël et ses millions de Juifs en 1967 qui avait d’abord ravivé notre sentiment viscéral de vulnérabilité. « Nous n’entrerons pas en Palestine avec son sol couvert de sable, nous y entrerons avec son sol saturé de sang », déclarait le président égyptien Gamal Abdel Nasser en mai 1967. Une semaine plus tard, nous avons vu comment il ordonnait aux casques bleus des Nations Unies de quitter le Sinaï et comment les soldats égyptiens prenaient position, prêts à tenir leur promesse d’annihiler les Juifs. Nous avons alors vu comment le monde restait silencieux, encore une fois.

Un livre de prières et des kippas maculés de sang après une attaque terroriste en 1956 contre une école professionnelle ‘Habad-Loubavitch à Kfar ‘Habad en Israël. Les terroristes, venus de la bande de Gaza occupée par l’Égypte, ont alors tué cinq étudiants et un enseignant pendant que ceux-ci priaient. - Photo: Moshe Pridan/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien
Un livre de prières et des kippas maculés de sang après une attaque terroriste en 1956 contre une école professionnelle ‘Habad-Loubavitch à Kfar ‘Habad en Israël. Les terroristes, venus de la bande de Gaza occupée par l’Égypte, ont alors tué cinq étudiants et un enseignant pendant que ceux-ci priaient.
Photo: Moshe Pridan/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien

Puis est venue cette victoire glorieuse, et avec elle un sentiment de libération d’une histoire sombre. En six jours brillants, Israël – les Juifs, en réalité – a montré qu’ils pouvaient maîtriser les airs, mener des habiles tactiques de guerre, déjouer leurs ennemis, détruire leurs chars et leur moral.

Au début, nous avons été émus par les images de soldats juifs fondant en larmes en approchant du Mur Occidental, reconnaissant que seul le Tout-Puissant aurait pu offrir une telle victoire miraculeuse sur huit armées musulmanes prêtes à écraser les Juifs et les pousser à la mer.

Avec le temps, nous avons oublié.

Regardez, les Juifs sont intelligents et inventifs ; pourquoi n’aurions-nous pas la plus puissante armée du Moyen-Orient et l’un des appareils de renseignement les plus sophistiqués du monde ? Et ainsi, lentement mais sûrement, nous avons commencé à croire – chacun à sa manière – que « [c’est] ma force et la puissance de ma main qui ont accumulé cette richesse pour moi. »1

Des parachutistes israéliens contemplent le Mur Occidental à Jérusalem quelques instants après avoir repris la ville sainte aux Jordaniens, le 7 juin 1967. La vieille ville de Jérusalem, la Judée et la Samarie ont été occupées par la Jordanie de 1948 à 1967. - Photo: David Rubinger/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien
Des parachutistes israéliens contemplent le Mur Occidental à Jérusalem quelques instants après avoir repris la ville sainte aux Jordaniens, le 7 juin 1967. La vieille ville de Jérusalem, la Judée et la Samarie ont été occupées par la Jordanie de 1948 à 1967.
Photo: David Rubinger/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien

Parce qu’Israël était fort, chaque revers militaire fut suivi d’une victoire. Parce qu’Israël n’était pas seulement fort, mais aussi moral, il pouvait se lancer dans de « courageuses » quêtes de paix, offrant de larges pans de territoire stratégiquement vitaux en échange de morceaux de papier.2 Et ces derniers mois, parce qu’Israël était fort, le peuple juif a estimé qu’il pouvait se permettre de se diviser amèrement sur des questions politiques futiles.

De quoi y avait-il vraiment à avoir peur ?

Au bord du précipice

Le 7 octobre 2023 – Sim’hat Torah en Israël – nous avons appris, à notre horreur éternelle, que le monde moderne n’existe pas, que des meurtriers sauvages dignes du Moyen Âge sont vivants et plus assoiffés de sang que nous ne pourrions l’imaginer, et que notre armée juive n’est pas invincible – loin de là. Nous avons appris que même les assurances les plus bienveillantes de nos alliés ne pouvaient protéger nos frères, et que les « courageuses » initiatives de paix – que ce soit Camp David, les accords d’Oslo, le mémorandum de Wye River, ou, dans ce cas évident, le désengagement de Gaza en 2005, où Israël a volontairement remis à un groupe terroriste semblable à Daesh le contrôle d’une bande de terre adjacente aux maisons et aux terrains de jeux d’Israéliens innocents – ont conduit directement au plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah.

C’est là que nous en sommes aujourd’hui. Pour la première fois depuis les premiers jours de la désastreuse guerre du Kippour de 1973, nous avons été forcés de prendre au sérieux la menace existentielle pour l’existence d’Israël.

Mais nous avons aussi été amenés à constater d’autres choses. Nous avons vu à quelle vitesse les différences politiques qui avaient divisé le peuple juif se sont estompées, à quel point les Juifs du monde entier sont vraiment connectés, ne faisant qu’un seul corps et une seule âme.

Ce n’est pas un hasard si la guerre a commencé à Sim’hat Torah, le jour où nous nous réjouissons du don de la Torah de D.ieu au peuple juif au mont Sinaï. C’est la Torah qui nous unit en tant qu’un seul peuple, et c’est la Torah qui nous relie à D.ieu. C’est aussi la Torah qui nous accorde un coin du monde appelé Israël.

Pendant près d’un demi-siècle, le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie, a parlé et argumenté, crié et supplié que tous les Juif – des dirigeants de l’État d’Israël jusqu’aux Juifs non pratiquants de New York – voient leur connexion et leur droit à la Terre d’Israël non pas comme un don des nations du monde, quelque chose qui leur a été conféré par les Nations Unies, mais comme un élément de l’alliance conclue par D.ieu avec notre ancêtre Abraham, écrite de manière claire dans la Torah – un livre saint non seulement pour les juifs, mais aussi pour les chrétiens et les musulmans. Que notre droit de vivre en Israël, et de nous protéger fermement – non seulement en Israël, mais partout dans le monde – vient directement de D.ieu, le Créateur du ciel et de la terre.

Le général israélien Ariel Sharon, devenu un héros national lors de la guerre des Six Jours, met les téfiline au Mur des Lamentations en 1967. Quelques mois plus tard, son jeune fils décéda tragiquement dans un accident. Dans une lettre de condoléances qu’il lui adressa, le Rabbi souligna “l’immense inspiration que vous avez suscitée dans le cœur de nombreux de nos frères juifs en mettant les téfiline au Mur Occidental, un acte qui a bénéficié d’une grande publicité et qui a résonné puissamment et positivement dans les différentes strates de notre nation...” - Photo: Challenge
Le général israélien Ariel Sharon, devenu un héros national lors de la guerre des Six Jours, met les téfiline au Mur des Lamentations en 1967. Quelques mois plus tard, son jeune fils décéda tragiquement dans un accident. Dans une lettre de condoléances qu’il lui adressa, le Rabbi souligna “l’immense inspiration que vous avez suscitée dans le cœur de nombreux de nos frères juifs en mettant les téfiline au Mur Occidental, un acte qui a bénéficié d’une grande publicité et qui a résonné puissamment et positivement dans les différentes strates de notre nation...”
Photo: Challenge

La joie de Sim’hat Torah est une expression de notre foi et de notre confiance en D.ieu. Elle nous rappelle que notre destin ne dépend pas de notre propre puissance militaire, de notre intelligence ou de notre savoir-faire diplomatique, mais du Tout-Puissant, dont « les yeux sont sur la Terre d’Israël du début de l’année à la fin de l’année ».3

Cette même Torah a introduit au monde le concept d’un D.ieu unique. Là, Il a donné au monde sept commandements universels, dont « Ne pas tuer » et « Ne pas voler », non pas comme des morales basées sur les caprices de l’homme, mais en tant que commandements éternels d’un D.ieu juste et miséricordieux. La Torah qui commande à l’homme de ne pas tuer insiste également sur l’importance vitale de protéger la vie des innocents, donnant des directives sur la manière de mener des guerres et de se défendre lorsqu’un ennemi se lève pour vous tuer.

Pendant 75 ans, Israël a cherché à être reconnu aux yeux de la communauté internationale en insistant sur le fait qu’elle est une nation comme les autres. Mais ce n’est pas le cas. Le 7 octobre en a été un autre rappel. Comme le Rabbi l’a une fois souligné à Its’hak Rabin, les Juifs sont, comme la Torah les décrit, « une nation qui habitera seule, et ne sera pas comptée parmi les nations ».4

À ce point d’inflexion douloureux, nous savons que nous ne pouvons pas continuer à répéter les erreurs du passé, mais nous ne pouvons pas non plus désespérer. Au lieu de cela, c’est vers la Torah éternelle que nous devons nous tourner pour trouver la bonne direction. Le chemin vers la paix est également défini dans la Torah, une véritable paix – une paix qui ne repose pas sur des espoirs et des illusions, mais sur la sécurité. « L’Éternel donnera la force à Son peuple », a écrit le roi David dans les Psaumes, « l’Éternel bénira Son peuple avec la paix » (Psaumes 29,11). Le fondement d’une paix véritable et durable est la force. Sans l’un, vous ne pouvez pas avoir l’autre.5

« Lorsque les nations ennemies voient la véritable force juive, non pas une force qui émane de “la force et la puissance de ma main” mais une force qui vient de la véritable foi en D.ieu Tout-Puissant, a observé le Rabbi en 1968, alors elles se dissiperont d’elles-mêmes et n’approcheront même pas pour faire la guerre. »6

Ce qui suit est un bref aperçu de la revendication du peuple juif sur la Terre d’Israël et de son droit – en fait, de son devoir – de protéger sans équivoque la vie de tous ses citoyens, tel que défini dans la Torah et expliqué par le Rabbi.7

« Au commencement... »

Tout le monde reconnaît les célèbres premiers mots de Genèse 1,1 : « Béréchit bara Elokim eth hachamayim véeth haarets. » « Au commencement de la création par D.ieu des cieux et de la terre. »

La Torah est avant tout un recueil de lois, et c’est pourquoi le grand commentateur médiéval Rachi demande immédiatement : Pourquoi la Torah commence-t-elle ici ? N’aurait-elle pas dû commencer par le tout premier commandement ? Puis il répond : « Car si les nations du monde devaient dire à Israël, “Vous êtes des voleurs, car vous avez conquis par la force les terres des sept nations [de Canaan]”, [le peuple d’Israël] répondra, “Toute la terre appartient au Saint, béni soit-Il ; Il l’a créée (nous l’apprenons de l’histoire de la Création) et l’a donnée à qui Il jugeait bon. Quand Il l’a souhaité, Il la leur a donnée, et quand Il l’a souhaité, Il la leur a retirée et nous la donnée à nous. »

Il n’est pas anodin que nous lisions la Genèse dans le rouleau de la Torah lors de Sim’hat Torah, le jour où la guerre a commencé.

Les mots écrits dans la Genèse, a expliqué le Rabbi, sont le fondement de la revendication du peuple juif sur la Terre d’Israël – rien d’autre. Le même D.ieu qui a créé ce monde a accordé Israël au peuple juif, une promesse réitérée 10 fois dans les Cinq Livres de Moïse, à commencer par l’alliance que D.ieu fit avec Abraham dans la lecture de la Torah de Lekh Lekha. La seule exigence est que le peuple juif soit fier de son identité, connaisse et apprécie les faits écrits dans la Torah, puis les partage avec le monde.

Yossef Ciechanover, second en partant de la droite lors de l’audience du Premier ministre Mena’hem Begin avec le Rabbi en 1977. - Photo: Jewish Educational Media/The Living Archive
Yossef Ciechanover, second en partant de la droite lors de l’audience du Premier ministre Mena’hem Begin avec le Rabbi en 1977.
Photo: Jewish Educational Media/The Living Archive

Ainsi, le Juif a deux façons d’aborder le sujet de sa revendication sur la terre avec les puissances mondiales : 1) Il peut déclarer, avec respect mais avec fermeté, qu’il vient en tant que représentant du peuple juif pour revendiquer ce qui lui appartient légitimement, la Terre d’Israël promise et accordée aux Juifs par D.ieu dans la Bible ; ou 2) Qu’il s’agit de la terre désignée par Lord Balfour comme foyer national pour le peuple juif, pour être une nation comme les autres ; ou peut-être que c’était ce qui avait été accordé aux Juifs dans la partition de l’ONU, à l’époque où le monde ressentait encore une certaine mesure de culpabilité et de pitié après la Shoah ; ou l’un des nombreux autres arguments logiques mais discutables.

La première option, a expliqué le Rabbi, est évidemment la meilleure approche. La majorité du monde croit en la Bible, et au moins la reconnaît et reconnaît sa valeur pour le peuple juif. Balfour, en revanche, pourrait ne pas être aussi universellement apprécié (certainement pas en 2023 !). De même, les arguments sur ce qui s’est passé en 1948 ne sonneront pas nécessairement vrai pour l’auditeur non juif, comparés aux faits de base exposés dans la Bible elle-même. Mais pour proclamer la Torah comme fondement premier de votre argument, il faut une base de fierté juive solide. Lorsque les nations du monde voient que les Juifs eux-mêmes y croient vraiment, elles peuvent l’accepter.

« L’argument doit être vrai, sans la moindre trace de malhonnêteté ! », insista le Rabbi. « Outre le fait que la malhonnêteté est contraire à la Torah, une telle approche [s’appuyant sur des sources séculières pour la revendication juive à la terre d’Israël] entraînera l’effet inverse des résultats escomptés... Le non-juif comprend que ce n’est pas un argument [vieux de quelques décennies] mais qui remonte au Mont Sinaï, voire avant cela ! »8

Que la revendication du peuple juif à Israël remonte encore plus loin que le Sinaï fait référence à l’achat par Abraham de la Grotte de Makhpela à Hébron à Ephron, une transaction commerciale dont les paramètres sont détaillés dans la Torah (Genèse chap. 23). (D’autres acquisitions légales énumérées dans les Écritures sont l’achat par Jacob d’une section de Sichem (Naplouse) à son dirigeant Hamor (Genèse 33,19), et l’achat par le roi David du mont du Temple à Jérusalem à Aravna le Jébuséen (II Samuel chap. 24). Le fait que David ait choisi Jérusalem comme capitale juive 1 000 ans avant que les religions d’aujourd’hui ne mettent le pied dans la Ville Sainte était également souvent souligné par le Rabbi.)9

En effet, à l’instigation du Rabbi, à l’hiver 1976, l’ambassadeur israélien à l’ONU de l’époque, ‘Haïm Herzog, soumit le contrat entre Abraham et Ephron à l’ONU. « Pour la première fois dans l’histoire », rapportait la JTA, « un accord conclu il y a près de 4 000 ans et consigné dans la Bible, a été émis comme un document des Nations Unies... ». Le Rabbi a dit à Herzog, qui devint plus tard président d’Israël, que sa revendication personnelle à Hébron était renforcée par le fait qu’il était Lévite, Hébron étant l’une des villes désignées pour les membres de cette tribu. Le fils de ‘Haïm Herzog, Isaac Herzog, actuel président d’Israël, était également présent lors de cette rencontre.

Il est également important de noter que la terre n’a été donnée à aucun individu en particulier, n’appartenant ni aux dirigeants politiques d’Israël ni à l’élite, mais est la possession collective du peuple juif – de chaque Juif individuellement. Ainsi, aucun dirigeant élu n’a le droit de négocier n’importe quelle partie de la Terre Sainte, cela étant littéralement le vol de quelque chose qui ne lui appartient pas.10

Un ‘hassid Loubavitch aide un soldat israélien à mettre les téfiline à son poste à la frontière avec le Liban, le 9 décembre 1976. - Photo: Yaacov Saar/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien
Un ‘hassid Loubavitch aide un soldat israélien à mettre les téfiline à son poste à la frontière avec le Liban, le 9 décembre 1976.
Photo: Yaacov Saar/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien

La paix grâce à la force

Un principe fondamental de la Torah est que chaque vie est précieuse, comme le dit la Michna dans Sanhédrine : « Quiconque détruit une âme, c’est comme s’il avait détruit un monde entier. Et quiconque sauve une âme, c’est comme s’il avait sauvé un monde entier. »11

Alors que les Juifs sont d’accord pour dire que la Terre d’Israël appartient au peuple juif, après la victoire d’Israël en 1967 et toutes les terres qu’elle gagna à ses ennemis arabes, certaines personnes ont commencé à soutenir que le fait d’en restituer des parties aux États ennemis pourrait apporter une paix durable, et que c’était donc nécessaire en vertu du principe halakhique de « pikoua’h nefesh », sauver des vies. Si la Judée, la Samarie et la vieille ville de Jérusalem constituent très clairement le cœur de la Terre d’Israël et sont si importantes pour le peuple juif, pourquoi, en revanche, serait-ce un problème de négocier avec les Égyptiens, par exemple, sur la vaste péninsule du Sinaï, qui n’avait jamais fait partie de la Terre d’Israël, même à l’époque biblique, et ne contenait donc aucune des saintetés inhérentes à la Terre ?

Le Rabbi considérait cela aussi strictement à travers le prisme de la Torah : tout accord, déclara-t-il, risquant des vies juives ici et maintenant pour un hypothétique futur état de paix mal défini, était – et reste – en contradiction avec la loi de la Torah. Pour cela, il citait sans cesse le Code de la loi juive (Choul’hane Aoukh, Ora’h ‘Haïm 329:6) :

... [Quand] des non-juifs prennent les armes contre des villes juives, si [les non-juifs] viennent [pour attaquer les villes] pour un gain financier [pour piller], le Chabbat ne peut être profané à cause d’eux. Si, cependant, [les non-juifs] viennent pour tuer, et même s’ils viennent sans intention exprimée, mais qu’il y a une préoccupation qu’ils viennent peut-être pour tuer, on doit les affronter de façon armée et profaner le Chabbat à cause d’eux. [Ces mesures peuvent être prises] non seulement lorsque leur arrivée est imminente, mais même si [les non-juifs] menacent simplement de venir.

Cela est poussé encore plus loin dans le cas d’une localité juive définie comme une ville frontalière. Le Code continue :

Dans une ville proche de la frontière, même si [les non-juifs] cherchent seulement à venir pour voler du foin et de la paille, le Chabbat peut être profané à cause d’eux, de peur qu’ils capturent la ville, et de là, [tout] le pays leur sera aisé à conquérir.

La source de cette loi se trouve dans le Talmud au traité Erouvine, où elle est également appliquée à la ville de Nehardéa en Babylonie. En d’autres termes, cela n’a rien à voir avec la sainteté de la Terre d’Israël mais avec la sainteté de la vie juive.12 Permettre à des ennemis de franchir les villes frontalières même juste pour voler du foin et de la paille revenait à affirmer la faiblesse des Juifs et à amener à des invasions plus fréquentes, plus entreprenantes et au final plus dangereuses. La profondeur stratégique offerte par les terres justement gagnées lors de la guerre des Six Jours était vitale pour la protection des villes juives à travers Israël. (Rappelons que les États arabes étaient prêts à attaquer dans le but de détruire Israël quand Israël les a devancés en menant une attaque préventive, le point étant qu’Israël n’a pas lancé une guerre de conquête mais a remporté une victoire indiscutable dans une guerre défensive). À l’inverse, négocier de tels territoires mettait littéralement en danger la vie des Juifs.

Le principe sous-jacent ici est que céder n’importe quel territoire durement gagné et donné par D.ieu posait un danger immédiat pour la vie juive, cet impératif l’emportant non seulement sur les promesses d’avenir paisible mais aussi sur les risques potentiels qui pourraient venir avec le maintien du contrôle des territoires, y compris ceux contenant des populations hostiles.

Tout comme le Rabbi a souligné la fierté juive et l’honnêteté en ce qui concerne la source de notre revendication à la Terre Sainte, il a mis en garde contre même mener des discussions sur le fait de céder des terres, ou accepter de s’engager dans des « pourparlers de paix » pour apaiser les Américains ou la communauté internationale, affirmant que de tels manœuvres mettaient la vie des Juifs en danger et se retourneraient inévitablement contre eux.13

Réjouissances lors de la célébration de Bar-Mitsva collective pour les orphelins de guerre israéliens tenue à Kfar ‘Habad en Israël, le 3 août 1977. - Photo: Moshe Milner/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien
Réjouissances lors de la célébration de Bar-Mitsva collective pour les orphelins de guerre israéliens tenue à Kfar ‘Habad en Israël, le 3 août 1977.
Photo: Moshe Milner/Bureau de Presse du Gouvernement Israélien

Le principe de « la paix par la force » ne s’appliquait pas seulement sur le fait de ne pas céder des territoires, bien sûr, mais aussi aux grandes guerres qu’Israël a été contraint de mener pendant chaque décennie de son existence. En aucun cas la Torah n’autorise un certain nombre de morts ou de blessures « acceptables » en échange de pouvoir vivre dans un environnement difficile. Au contraire, elle affirme catégoriquement que chaque vie compte et exige que chacune soit protégée. Rien ne peut entraver la réalisation de cet objectif, et toute posture morale qui entrave cet objectif très clair et très humain – par exemple, revêtir le manteau de « l’armée la plus morale du monde », ce qui est un standard arbitraire dont aucun ennemi ni allié ne s’embarrasse – est en fait l’opposé de la morale et de la justice. De même qu’Israël a eu tort d’attendre d’être attaqué lors de la guerre de Kippour en 1973 dans le seul but que les nations du monde reconnaissent que ce n’étaient pas les Juifs qui étaient les agresseurs. La guerre a finalement coûté à Israël son moral et son aura d’invincibilité à l’étranger ; Israël a quand même été considérée comme l’agresseur ; et, pire encore, elle a perdu près de 3 000 jeunes hommes au combat. S’en tenir fermement aux principes moraux de la Torah aurait conduit à un résultat totalement différent.

Le point étant que selon la Torah, les demi-mesures et les cessez-le-feu hasardeux n’ont en réalité rien de moral car ils prolongent et aggravent chaque crise. Depuis la crise de Suez en 1956, en passant par la guerre des Six Jours en 1967, la guerre de Kippour, et la campagne « Paix en Galilée » de 1982, le Rabbi a exhorté Israël à terminer la tâche qu’elle avait entamée en remportant une victoire concluante.

Israël, dit-il, n’aurait pas dû abandonner sa victoire dans le Sinaï en 1956 – où elle fut finalement contrainte de retourner – ni avoir été si hésitant dans la manière dont elle a capturé Jérusalem en 1967, lorsqu’elle veilla à ne pas endommager les sites historiques de la ville par peur de l’opinion mondiale, ce qui l’amena à subir un nombre particulièrement élevé de pertes. (Le Rabbi a déclaré que même la structure physique du Mur Occidental lui-même, malgré sa signification éternelle pour le peuple juif, n’avait pas plus de valeur qu’une seule vie juive.)14  Pendant la guerre de Kippour, le Rabbi envoya message après message au haut commandement israélien pour que l’on prenne les deux capitales ennemies du Caire et de Damas, non pas dans le but de les occuper mais de vaincre les régimes ennemis une fois pour toutes.15

L’un de ceux chargés de transmettre le message au ministre de la défense d’Israël de l’époque, le général Moshé Dayan, était Yossef Ciechanover, un fonctionnaire israélien qui occupa de nombreux postes gouvernementaux de haut niveau au fil des ans, dont celui de directeur général du ministère des Affaires étrangères et chef de la mission de défense d’Israël aux États-Unis. Le cinquième jour de la guerre de Kippour, il reçut un appel téléphonique de l’un des secrétaires du Rabbi, le Rav Binyamin Klein, lui demandant d’aller voir Dayan et de l’exhorter à prendre Damas. Bien qu’hésitant sur la réaction de Dayan, Ciechanover fit comme on le lui avait demandé.

« Dayan a pris [le conseil du Rabbi] très au sérieux », a déclaré Ciechanover au projet d’histoire orale My Encounter with the Rebbe de Jewish Educational Media (JEM). « Il m’a dit : “Je ne peux pas le faire du point de vue de la main-d’œuvre.” J’ai rappelé Binyamin, et le Rabbi était alors en ligne. La réponse du Rabbi fut : “C’est une grosse erreur, c’est une grosse erreur.” C’est tout. »

Moins d’une décennie plus tard, lorsqu’Israël lança la campagne « Paix en Galilée » pour neutraliser les forces de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui lançaient régulièrement des attaques terroristes contre les Israéliens depuis des bases établies parmi la population civile du Liban, le Rabbi exhorta de nouveau Israël à être décisif et à prendre la capitale, Beyrouth. À l’époque, le Rabbi comparait l’hésitation d’Israël lors des précédentes campagnes militaires à un chirurgien constamment interrompu par un observateur au cœur fragile à chaque début d’opération. Voyant quelques gouttes de sang, l’observateur s’écrie : « Arrêtez maintenant l’opération, laissez le patient guérir et retrouver ses forces, puis vous pourrez effectuer une seconde opération. » Bien que ce scénario médical soit absurde, c’est exactement ce qui s’était passé sur le front militaire.

« C’est ce qui est en train d’être fait maintenant à 3 millions de Juifs en Israël, puisse leur nombre augmenter », se lamentait le Rabbi à l’été 1982. « ...Nous sommes actuellement en plein milieu de la quatrième opération, après avoir déjà sacrifié des centaines de vies – puisse D.ieu venger leur sang – et des centaines de blessés. » Bien qu’Israël ait initialement annoncé sa ferme intention d’en finir avec l’OLP, un petit nombre de personnes au gouvernement avaient décidé que « la meilleure façon de parvenir à une fin pacifique... est de laisser toutes les bactéries à l’intérieur de la plaie, et de simplement déplacer les bactéries d’une zone à une autre... ». (En effet, Israël permit à l’OLP de s’échapper en Tunisie, d’où elle continua ses attaques contre Israël et contre les Juifs pendant des années.) « Ces “expériences” sont menées sur 3 millions de Juifs ! » s’écria le Rabbi.16

‘Haïm Herzog, l’ambassadeur d’Israël aux Nations Unies à l’époque, s’adresse à l’assemblée le 10 novembre 1975. - Photo: UN/Michos Tzovaras
‘Haïm Herzog, l’ambassadeur d’Israël aux Nations Unies à l’époque, s’adresse à l’assemblée le 10 novembre 1975.
Photo: UN/Michos Tzovaras

Un autre élément que le Rabbi soulignait constamment était de savoir qui devait diriger ces opérations militaires. Ceux qui prennent les décisions ne devraient pas être des politiciens, y compris des politiciens qui avaient été auparavant des experts militaires, mais des généraux et des experts militaires actifs ayant la liberté nécessaire pour gagner sans avoir à faire face à des ingérences ou des pressions politiques.17 Tout comme la Torah exige d’une personne d’écouter un médecin dans une situation de vie ou de mort, la Torah exige que l’on écoute les experts militaires actifs lorsque des vies sont en jeu.18

Loin de prôner la guerre, c’était le chemin le plus sûr – en fait le seul – vers la paix. Sinon, les résultats seraient tragiques.

« Si vous ne leur permettez pas de terminer l’opération rapidement, poursuivait le Rabbi en 1982, alors ce sera comme la première ministre qui a arrêté l’offensive pendant la guerre de Kippour, et qui a écrit plus tard dans ses mémoires “Je ne me pardonnerai jamais pour le reste de ma vie, pour les morts et les blessés qui sont toujours devant mes yeux.” »19

(Bien que je ne sache pas qui a fait les marques, je sais que dans l’exemplaire des mémoires de Golda Meir qui se trouve dans la bibliothèque du Rabbi, cette citation de l’auteure est soulignée au crayon, se terminant par son aveu que « je ne serai jamais la même personne que j’étais avant la guerre de Kippour. »)

Un exemplaire des mémoires de la Première ministre Golda Meir appartenant à la bibliothèque d’Agoudat ‘Hassidei ‘Habad à Brooklyn, N.Y. Son témoignage que “la terrible conscience [des lourdes pertes subies pendant la guerre du Yom Kippour] me suivra tous les jours de ma vie” est souligné au crayon.
Un exemplaire des mémoires de la Première ministre Golda Meir appartenant à la bibliothèque d’Agoudat ‘Hassidei ‘Habad à Brooklyn, N.Y. Son témoignage que “la terrible conscience [des lourdes pertes subies pendant la guerre du Yom Kippour] me suivra tous les jours de ma vie” est souligné au crayon.

Ce n’est pas notre force

Un troisième point que le Rebbe soulignait fréquemment : ce n’est pas seulement que les Juifs ont reçu Israël comme don de D.ieu et que la Torah leur fait obligation de la protéger, ainsi que ses habitants, mais que la source même de leur force, la capacité même de continuer à exister comme « un agneau entouré de loups »,20 vient uniquement de D.ieu.

Après avoir donné une conférence plutôt déprimante (et prémonitoire) à New York en 1974 sur l’issue de la guerre de Kippour, le philosophe politique Hans Morgenthau fut interrogé par un membre de l’auditoire pour savoir si Israël pouvait vraiment être détruit. « Le fait que les Juifs aient survécu jusqu’à ce jour est en soi une chose mystérieuse que je ne peux expliquer, a-t-il admis, et je pense que personne ne le peut. »

Comprendre que D.ieu est la réponse au mystère de la survie du peuple juif est essentiel pour nous. D.ieu veille sur Sa terre et sur Son peuple et les garde à tout moment, et nous devons reconnaître les miracles qu’Il accomplit pour nous au quotidien. Il était plus facile de reconnaître les miracles dans l’éclat de la guerre des Six Jours, mais qu’est-ce, sinon D.ieu, qui pourrait expliquer l’arrêt de l’Égypte en plein élan dans le désert en 1973, alors qu’elle aurait pu facilement continuer sa marche sur Tel Aviv et Jérusalem ? À bien des égards, le Rabbi soulignait que c’était un miracle encore plus grand que ce qui avait été vécu en 1967, car ce n’était manifestement pas dû à la force naturelle de l’armée israélienne mais à l’œuvre manifeste de D.ieu.21

La chose la plus préjudiciable que nous pourrions faire contre notre propre sécurité serait de perdre de vue la providence de D.ieu et de commencer à croire que « [c’est] ma force et la puissance de ma main qui ont accumulé cette richesse pour moi ». C’est précisément à ce moment-là que les nations du monde commencent à montrer leur propre force, et dans une bataille mettant en jeu les ressources naturelles, la force et la taille, le peuple juif est manifestement désavantagé. D’un autre côté, lorsque les Juifs font tout ce qui est nécessaire d’un point de vue matériel, mais tout en plaçant leur confiance en D.ieu, sachant avec certitude que c’est Lui qui les a bénis en leur accordant ce qu’ils ont, et que c’est Lui qui continuera à les soutenir, alors ils attirent les bénédictions abondantes de D.ieu et une force accrue pour persévérer et surmonter tous les défis à venir.22

C’est là que nos mitsvas entrent en jeu. Reconnaître que ce ne sont pas seulement les armes et les chars qui gagnent les guerres et protègent les Juifs, mais aussi et surtout les bénédictions qui viennent d’en haut, nous amène à voir plus clairement la valeur des mitsvas que nous accomplissons pour la sécurité des Juifs d’Israël. Une mitsva pour Israël n’est plus seulement un beau geste, mais un élément réel et précieux de l’effort de guerre.

C’est pourquoi, avant la guerre de 1967, le Rabbi a lancé la campagne des téfiline, avant la guerre de Kippour, il a insisté sur les rassemblements d’enfants pour étudier la Torah, et autour de la guerre du Liban, il a introduit les rouleaux de Torah de l’unité. La Torah que nous étudions et les mitsvas que nous faisons nous relient à D.ieu, à nos frères juifs, et à la terre d’Israël elle-même ; ce sont là les véritables sources de notre force.

Des ‘hassidim ‘Habad impriment des exemplaires du Tanya, l’œuvre fondamentale du ‘hassidisme ‘Habad, dans un camion à Sidon, au Liban, pendant l’opération israélienne “Paix en Galilée” en 1982. Des Tanyas ont été imprimés dans tout le Liban, y compris à la périphérie de Beyrouth.
Des ‘hassidim ‘Habad impriment des exemplaires du Tanya, l’œuvre fondamentale du ‘hassidisme ‘Habad, dans un camion à Sidon, au Liban, pendant l’opération israélienne “Paix en Galilée” en 1982. Des Tanyas ont été imprimés dans tout le Liban, y compris à la périphérie de Beyrouth.

« Les yeux sur la terre »

Il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas. Nous ne savons pas ce qui va suivre, quand les otages restants seront libérés. Nous ne savons pas si d’autres ennemis se joindront à la lutte, ou si les alliés d’Israël commenceront à augmenter la pression sur celle-ci à nouveau, comme ils l’ont toujours fait.

Mais nous savons que quelque chose a radicalement changé. Que nous ne faisons plus les choses comme nous le faisions jusqu’à présent. Et que si nous voulons vraiment que ce changement soit durable, alors nous devons ancrer notre nouvelle lucidité dans la vérité éternelle de la Torah. Car malgré le terrible coup que nous avons subi le 7 octobre, nous savons que D.ieu a aussi fait de nombreux miracles ce jour-là, dont certains dont nous commençons à entendre parler, et d’autres que nous ne connaîtrons peut-être pas avant de nombreuses années. Mais telle est la nature du peuple juif et de la terre d’Israël : D.ieu est maître de notre destin. Il a fait des miracles dans le passé, Il en fait en ce moment même, et Il continuera à en faire à l’avenir.

Il est donc temps pour nous de nous lever et de déclarer fièrement la vérité sur les Juifs et Israël : Israël est notre terre parce que D.ieu nous l’a donnée ; il est de notre devoir moral le plus élevé de protéger ses citoyens quoi que quiconque en dise, et nous savons de tout notre être que nous réussirons, car D.ieu a promis que Ses yeux seront sur la Terre « du début de l’année à la fin de l’année ».