« Pour moi, [Jacob,] quand je revins de Padan, Rachel mourut dans mes bras au pays de Canaan pendant le voyage, lorsqu’une courte distance me séparait encore d’Éphrath ; je l’inhumai là, sur le chemin d’Éphrath, qui est Bethléem. » — Genèse 48,7

Je ne l’ai pas même transportée jusqu’à Bethléem, pour l’amener dans la partie habitée du pays... Mais sache que c’est sur ordre divin que je l’ai enterrée à cet endroit, afin qu’elle vienne au secours de ses descendants. Lorsque [le général babylonien] Nebouzaradan les enverra en exil et qu’ils passeront près de là, Rachel sortira alors de sa sépulture et elle implorera pour eux, en pleurant, la miséricorde divine, ainsi qu’il est écrit : « Une voix retentit dans les hauteurs, une voix plaintive, d’amers sanglots, c’est Rachel qui pleure pour ses enfants. » Et le Saint béni soit-Il lui répondra : « Il y a une récompense pour ton travail… et les enfants retourneront dans leur propre frontière. » (Jérémie 31, 14-16) — Commentaire de Rachi sur le verset, tiré de Psikta Rabbati ch. 3.

D.ieu répondit à Rachel : « Tu as bien défendu tes enfants. Il y a une récompense pour ton action et pour ta justice. »

Le Midrash explique quel est le « travail » pour lequel Rachel fut récompensée par l’assurance de D.ieu que ses enfants retourneraient en Israël : après que les Juifs furent exilés à Babylone, les Patriarches, les Matriarches et Moïse allèrent apaiser D.ieu, tentant d’évoquer la miséricorde divine sur leurs enfants. Chacun invoqua les différentes grandes actions qu’il avait accomplies, demandant à D.ieu de rendre la pareille en manifestant de la compassion envers les Juifs. Mais D.ieu n’en fut pas influencé. Puis Rachel entra et déclara : « Maître de l’univers, considère ce que j’ai fait pour ma sœur Léa. Tout le travail que Jacob a accompli pour mon père était pour moi uniquement. Cependant, lorsque je suis venue pour entrer sous le dais nuptial, ils y placèrent ma sœur à ma place. Non seulement ai-je gardé le silence, mais je lui ai donné le mot de passe dont Jacob et moi avions convenu (qui était destiné à empêcher tout échange d’épousée pour la nuit de noces). Toi aussi, si Tes enfants ont amené Ta rivale dans Ta maison, garde le silence pour eux. » D.ieu lui répondit : « Tu les as bien défendus. Il y a une récompense pour ton action et pour ta vertu. Retiens ta voix de pleurer et tes yeux de verser des larmes, car il y a une récompense pour ton travail, dit l’Éternel, et ils reviendront du pays de l’ennemi. Et il y a de l’espoir pour ton avenir, dit l’Éternel, et les enfants retourneront dans leur propre frontière. »

Pourquoi l’acte de Rachel fut-il plus précieux aux yeux de D.ieu que les réalisations de tous les autres ? Pourquoi son acte courageux fut-il plus cher à D.ieu que l’acceptation d’Abraham de sacrifier son fils ou les quarante années de direction désintéressée par Moïse d’un peuple à la nuque roide ?

On peut peut-être répondre à cette question en examinant la légitimité du mariage de Jacob avec Rachel et Léa. Comment Jacob put-il les épouser tous les deux alors que la Torah a explicitement interdit à un homme d’épouser deux sœurs ? Na’hmanide explique que dans la mesure où les Patriarches vécurent avant que l’observance des mitsvot ne devienne obligatoire lors de la révélation du Sinaï, ils n’observèrent les lois de la Torah que lorsqu’ils se trouvaient sur la Terre d’Israël. Par conséquent, Jacob était « autorisé » à épouser deux sœurs alors qu’il résidait à Padan Aram.

En suivant ce raisonnement, Na’hmanide explique la raison réelle, bien que tacite, de Jacob de ne pas enterrer sa femme préférée et bien-aimée Rachel dans la caverne de Makhpela, préférant plutôt réserver à Léa la sépulture jouxtant la sienne. Pour dire les choses simplement, Jacob était gêné d’amener sa seconde épouse, celle qu’il avait épousée « illégalement », dans le caveau familial. Que diraient de son acte Abraham, Sarah, Isaac et Rebecca ? En outre, déclare Na’hmanide, c’est également la vraie raison pour laquelle Rachel est décédée immédiatement après l’arrivée de Jacob en Israël : l’air sacré d’Israël ne pouvait tolérer la seconde femme de Jacob.

Pendant des milliers d’années, elle reposerait seule au bord d’une route isolée, dans l’attente de la Rédemption et de la Résurrection des Morts.

Rachel était une prophétesse ainsi qu’une femme sage et très instruite. Quand elle accepta de donner à Léa le mot de passe qui permettrait à sa sœur de devenir la première – et unique « légitime » – épouse de Jacob, elle était pleinement consciente de l’étendue de son sacrifice. Elle réalisa que même si Jacob acceptait de la prendre comme seconde épouse, elle ne pourrait pas vivre avec son mari bien-aimé, car il retournerait inévitablement dans le pays de ses pères. Ses enfants seraient élevés par sa servante Bilha et elle ne vivrait pas assez longtemps pour voir ses petits-enfants. Et pour couronner le tout, elle ne reposerait pas dans son lieu de sépulture légitime, aux côtés de Jacob et de sa sainte belle-famille. Au lieu de cela, pendant des milliers d’années, elle reposerait seule au bord d’une route isolée, dans l’attente de la Rédemption et de la Résurrection des morts. Renoncer à sa vie physique est dérisoire par rapport à ce sacrifice ahurissant. Rachel a tout sacrifié – son avenir physique et spirituel – pour le bien de sa sœur.

Les Patriarches et Moïse furent formidables. Mais ils n’avaient rien qui puisse rivaliser, même de loin, avec un sacrifice aussi stupéfiant.

Notre Mère Rachel a pleuré pour nous et D.ieu a entendu ses supplications. Il est certain que malgré la demande de D.ieu de retenir « sa voix de pleurer et ses yeux de verser des larmes », elle continue de pleurer jusqu’à ce qu’elle voit la réalisation de la promesse de D.ieu. Mais peut-être D.ieu attend-Il que ses enfants se comportent comme Rachel. Un dernier acte totalement désintéressé pour le bien d’un frère juif ou d’une sœur juive fera enfin sourire Rachel.