Devenir pratiquant au fil des années peut parfois ressembler à une course semée d’épreuves. L’une de ces épreuves est le fait de vivre son judaïsme ouvertement. Etre juif à la maison, à la synagogue ou dans des réunions entre Juifs est une chose. Mais être juif dehors, dans le vaste monde peut parfois se révéler une véritable gageure.

Quand je me trouve confronté à ce genre de défi, je réfléchis à ma relation profonde avec le Rabbi et je me souviens des cours de ‘Hassidout qui m’ont tant aidé à forger mon caractère. Après tout, les textes sacrés du judaïsme que j’ai étudiés pendant des heures ne doivent pas restés à dormir sur une étagère mais doivent devenir partie intégrante de mes paroles et de mes actions. Alors les hautes montagnes deviennent de plates étendues paisibles et tout se passe sans problème.

Quand j’arrivai à Sydney, en Australie et que je pris mes fonctions dans le service d’orthopédie de l’hôpital St Vincent, je ne crois pas que mes collègues aient réalisé ce que cela allait changer dans leurs habitudes. Ce service orthopédique est très sympathique ; on y tient souvent des réunions de travail mais aussi des anniversaires et autres occasions festives : bien entendu, la nourriture y joue un rôle important et mes collègues ont bien vite pris l’habitude de faire venir un traiteur cachère pour avoir le plaisir de m’intégrer à leur conversation. Parfois, je me demandais ce qu’ils pensaient en réalité… Peu importe, je savais que je devais être fier de ce que j’étais réellement.

Dernièrement, je me suis rendu compte du réel impact de ma pratique sans complexe du judaïsme.

Après la prière du matin, ce mardi, j’étais rentré en trombe à la maison avant de courir à l’hôpital. Je n’avais pas eu le temps de préparer le déjeuner que j’emporte habituellement au travail. Désespéré, j’ouvris mes placards un à un et saisis un paquet de nouilles instantanées, auxquelles il suffit d’ajouter de l’eau bouillante.

A l’heure du repas, je pris vingt minutes pour manger en toute vitesse avant le prochain patient. Tout en savourant mes nouilles, je consultai mes dossiers. C’est alors que Rachel entra dans mon bureau.

Rachel est une physiothérapiste que nous venions d’engager quelques semaines plus tôt.

Après un échange professionnel sérieux sur la santé de nos patients communs, Rachel remarqua le mot « Kosher » écrit en lettres rouges brillantes sur mon sachet de nouilles en polystirène et me demanda : «Qu’est-ce que veut dire Kosher  ?»

Je dois admettre que ma première réaction a été : «Ca y est, elle veut essayer de me coincer !» Comment allais-je lui expliquer la cacherout en dix minutes ou même moins que cela ?

Entre deux cuillères de nouilles, j’expliquai que les Juifs sont astreints à certaines lois alimentaires, tout en citant quelques-unes de ces restrictions. Rachel écoutait, captivée puis remarqua : «Vous savez, ma grand-mère était juive !»

Voilà qui était intéressant ! Je ravalai ma salive et demandai innocemment : «Vos parents étaient juifs  ?»

- C’est-à-dire… mon père s’était révolté, donc… non il ne l’est pas. Et ma mère est athée.

- Mais est-elle juive ?

- Non, je vous l’ai dit. Elle n’est pas juive. Elle ne croit en rien !

- Mais votre mère est-elle la fille de votre grand-mère qui était juive ? insista-je, le cœur battant.

- Oui ! Pourquoi ? Rachel était de plus en plus confuse, elle n’avait pas pensé que sa remarque sur le mot « Kosher » mènerait à une telle discussion de ses origines.

- Vous savez Rachel, déclarai-je gravement, cela signifie que vous êtes juive !

Elle pâlit. Puis demanda poliment : «Qu’est-ce que cela implique  ?»

Je lui expliquai en quelques phrases que le judaïsme se transmet par la mère, que ce n’est pas une croyance ou un choix intellectuel. Non, l’âme a été créée par D.ieu et, comme l’explique la ’Hassidout, chaque Juif a en lui une étincelle divine constamment reliée à sa source, quelles que soient sa pratique ou ses croyances.

Rachel remarqua qu’elle avait davantage de connaissances sur le bouddhisme ou le christianisme que sur le judaïsme. Elle semblait bouleversée.

Par la suite, nous avons eu d’autres occasions de parler ensemble ; je lui offris un bougeoir et une bougie en lui expliquant comment l’allumer le vendredi après-midi. Elle décida de se mettre en contact avec des personnes qui pouvaient lui en apprendre davantage sur le judaïsme.

Un des enseignements fondamentaux du Baal Chem Tov, le fondateur du mouvement ‘hassidique, est que rien n’arrive par hasard. Tout est un résultat de la Providence Divine. De fait, je n’avais pas acheté ce paquet de soupe instantanée. Je ne mange pas ce genre de nourriture d’habitude, je suis plutôt du genre «bio».

Mais il m’avait été envoyé par ma sœur qui habite à Perth, à l’autre bout de l’Australie. Quand j’avais reçu son paquet – qui contenait plein d’autres produits cachères plus délicieux les uns que les autres – je lui avais téléphoné pour lui demander ce qui l’avait motivée à m’envoyer tant de gourmandises. Elle avait répondu que c’était par amour fraternel.

Ce qui arrive dans ce bas monde n’est pas par hasard. Par amour, ma sœur m’avait envoyé un paquet de nouilles instantanées cachères. J’avais été en retard et avais été heureux de trouver quelque chose de nourrissant à me mettre sous la dent. Et le mot « Kosher » était imprimé en rouge brillant. Cette affirmation tranquille de mon judaïsme avait permis à une jeune fille juive de prendre conscience de son identité et de décider de se pencher sur le sujet.

Ce que j’avais pris pour une épreuve était devenu pour Rachel une occasion d’avancer dans la découverte de son héritage.

Mikhael Ilan Ogince

www.chabadwa.org – L’Chaim