Rabbi Yossef Its’hak, le sixième Rabbi de ‘Habad-Loubavitch, quitta ce monde le 10 Chevat, 28 janvier 1950. La dévastation vécue par ses ‘hassidim fut dépeinte de manière frappante dans un dessin de l’artiste ‘hassidique Hendel Lieberman : une étendue sauvage et désolée est parsemée d’arbres nus et tordus. Des ‘hassidim sont assis au sol, le visage déformé par l’angoisse et les mains levées en signe de deuil. Dans le ciel, le visage aux yeux perçants du défunt Rabbi se profile.
Au début, la perte était trop brutale pour être acceptée. Mais quelques personnes eurent la présence d’esprit de penser à l’avenir du mouvement.1 Le premier d’entre eux fut le Rav Its’hak Dubov, un ‘hassid éminent qui avait rencontré pour la première fois Rabbi Mena’hem Mendel à Riga. Trois jours seulement après le décès du Rabbi Précédent, Dubov s’adressa à Rabbi Mena’hem Mendel, l’exhortant à accepter la direction du mouvement.
Rabbi Mena’hem Mendel répondit en évoquant un principe mystique énoncé par le fondateur de ‘Habad, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi : « la vie d’un tsadik n’est pas une vie de chair, mais plutôt une vie spirituelle – la foi, la crainte et l’amour [de D.ieu]... »2 En conséquence, Rabbi Mena’hem Mendel s’exclama, bien que physiquement décédé, « le Rabbi vit encore ». C’est un thème sur lequel il reviendra au cours des mois suivants. Mais le Rav Dubov persista. Certes, la vie spirituelle des cinq Rabbis précédents n’avait pas pris fin avec leur décès, pourtant des successeurs avaient tout de même émergé, souligna-t-il.3
Certes, la vie spirituelle des cinq Rabbis précédents n’avait pas pris fin avec leur décès, pourtant des successeurs avaient tout de même émergé.Il devint rapidement évident que la grande majorité des ‘hassidim attendaient de Rabbi Mena’hem Mendel qu’il assume le rôle de dirigeant.4 Mais tout au long de l’année qui suivit, il refusa obstinément de reconnaître sa candidature. Deux facteurs contribuèrent à cette réticence. 1) Sa réserve personnelle et sa pratique de l’évitement de l’attention. 2) Sa sensibilité à l’égard de son beau-frère aîné, Rav Shmaryahou Gurary, qui, précisément en raison de la réticence générale de Rabbi Mena’hem Mendel, se considérait initialement comme le candidat le plus probable.5
Mais les principaux ‘hassidim savaient que l’avenir de ‘Habad dépendait d’un leadership visionnaire. Il ne s’agissait pas d’un poste de figure de proue qui pouvait être occupé par défaut. En fin de compte, la piété et l’érudition phénoménales de Rabbi Mena’hem Mendel, combinées à sa largeur d’esprit et à son efficacité disciplinée allaient décider du cours de l’histoire. Sa réticence personnelle ne fut que le motif d’une plus grande estime de la part de la communauté.6
À l’approche du premier anniversaire de la disparition de Rabbi Yossef Its’hak, la campagne pour couronner Rabbi Mena’hem Mendel comme Rabbi connut un crescendo. Les dirigeants de la communauté ‘Habad en Terre Sainte avaient déjà tenu deux rassemblements publics pour lui déclarer leur allégeance.7 À New York, leurs homologues annoncèrent qu’ils accepteraient officiellement sa direction le 10 Chevat, 17 janvier 1951. Rabbi Mena’hem Mendel avait initialement l’intention de publier un démenti, mais il fut persuadé qu’il ne pouvait nier les faits : qu’il le veuille ou non, les ‘hassidim le considéraient comme leur chef.8
Le 10 Chevat, des ‘hassidim se rassemblèrent de toute l’Amérique du Nord pour présenter à Rabbi Mena’hem Mendel un « acte d’attachement » communautaire (ktav hitkashrout), exprimant leur désir de se lier à lui comme des ‘hassidim à leur Rabbi.9
Rabbi Mena’hem Mendel passa la majeure partie de la journée à prier sur la tombe de son beau-père. Il y lit l’« acte d’attachement » et pleura avec beaucoup d’émotion.10 Lorsqu’il revint, plusieurs centaines de personnes remplirent la synagogue et le suivirent des yeux lorsqu’il prit place sur le siège qui lui avait été préparé. Il parla d’abord de l’influence continue de Rabbi Yossef Its’hak et, citant l’usage américain, il fit une « déclaration » inaugurale proclamant que l’amour de D.ieu, l’amour de la Torah et l’amour du peuple juif « ne font qu’un ».11
Au bout d’environ une heure, le Rav Avrohom Sender Nemtzov, un vieux ‘hassid qui habitait Londres, se leva et dit d’une voix que tout le monde pouvait entendre : « Les si’hot sont bien, mais l’assemblée demande un maamar... »12
« Ne vous méprenez pas ! Personne ne vous décharge de vos missions... Personne ne vous décharge d’un quelconque travail. »Le silence se fit. Un maamar, un discours ‘hassidique original ne pouvait être transmis que par le Rabbi. Alors Rabbi Mena’hem Mendel commença à parler : « Dans le maamar publié pour le jour de la hiloula [du Rabbi précédent], le Rabbi commence par le verset : “Je suis venu dans mon jardin...” » Le Rabbi marqua une pause de quelques secondes, puis il reprit la mélodie sur laquelle ce genre de discours est prononcé selon la tradition ‘hassidique.13
Dans ce premier discours, le Rabbi s’exprima d’une manière profondément personnelle, évoquant des thèmes mystiques, retenant ses sanglots et exprimant une vision très pratique de la mission à laquelle est confrontée la septième génération de ‘Habad. « C’est à nous que revient la mission de faire descendre du ciel le plus élevé ici-bas... Quand on arrive dans un endroit où l’on ne connait pas la divinité, où l’on ne connait pas le judaïsme... on se met totalement de côté... et l’on fait en sorte que ceux qui jusqu’à présent ne connaissaient rien aillent dans les rues et crient... que D.ieu et le monde sont un. »
Lorsqu’il eut terminé, il aborda directement le sujet du leadership : « Les dirigeants de ‘Habad ont toujours exigé que les ‘hassidim réalisent les choses eux-mêmes... Vous pensez que vous avez déposé le fardeau sur moi... que vous pouvez avoir une vie paisible... Ne vous méprenez pas ! Personne ne vous décharge de vos missions... personne ne vous décharge d’un quelconque travail. »
Dès le début, le Rabbi indiqua clairement qu’il attendait de ses ‘hassidim qu’ils soient également des leaders.14
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