Rabbi Israël Baal Chem Tov et son disciple Reb Volf Kitzès firent ensemble un voyage dans la région de Moguilev pour y passer Chabbat. Reb Leib, un riche habitant de la région, était opposé à l’approche révolutionnaire du Baal Chem Tov, mais il était un homme hospitalier et proposa de les accueillir. N’ayant de place que pour un seul invité, il prit Reb Volf chez lui et s’arrangea pour que le Baal Chem Tov passe le Chabbat chez Reb Shammaï, un ami aisé.

En rentrant de la synagogue, Shammaï se tourna vers le Baal Chem Tov et lui dit : « Je veux que vous sachiez que je prends le repas de Chabbat avec ma femme à table. J’espère que cela ne vous dérange pas. Dans le cas contraire, dites-le-moi et vous pourrez trouver un autre endroit où prendre le repas. »

« Non, c’est très bien », répondit le saint Baal Chem Tov. Sur ce, ils firent les bénédictions traditionnelles du repas de vendredi soir et commencèrent leur repas.

Shammaï aimait honorer le Chabbat avec de nombreux plats et mets délicats lors d’un repas copieux et long. Entretemps, le dîner de Chabbat de Reb Volf chez Reb Leib était terminé, il décida donc de rejoindre son maître. Il entra dans la maison de Shammaï et vit qu’ils étaient encore bien au milieu du repas.

Alors qu’ils mangeaient ensemble, le Baal Chem Tov se tourna vers son hôte et lui dit : « J’ai la coutume de danser pendant le dîner de Chabbat. J’aimerais savoir si vous êtes d’accord pour danser maintenant. »

« Est-ce que c’est Sim’hat Torah aujourd’hui ?, répondit Shammaï en riant. Pourquoi demandez-vous à danser maintenant ? Ce n’est pas le moment pour cela ! »

Mais le Baal Chem Tov insista, et son hôte finit par accepter. Le Baal Chem Tov se leva, prit les mains de Reb Volf et le duo se mit à danser ensemble, là, dans la salle à manger, un soir de Chabbat.

Shammaï et sa femme ne purent s’empêcher de rire de ce spectacle étrange. À sa grande surprise, cependant, après avoir observé la ferveur et la passion des deux danseurs, Shammaï ne put s’empêcher de ressentir un petit frisson. Il commença à s’agiter sur son siège, à claquer des doigts et à taper du pied en rythme, tout en regardant sa femme par-dessus son épaule avec un peu de honte.

Bientôt, Shammaï ne put plus se contenir et il sauta de sa chaise pour se joindre à la danse. La femme de Shammaï fut emportée par la ferveur, et elle aussi dansa à sa place.

Finalement, la danse s’acheva, ils se rassirent pour conclure le repas, et le Baal Chem Tov et son disciple partirent se coucher.

« Que vient-il de se passer ?, demanda Shammaï à sa femme. Qu’est-ce qui nous a pris de danser comme des fous ? Qui sont cet homme et son disciple que Reb Leib nous a envoyés ? »

Le jour suivant, le même scénario se répéta. Le Baal Chem Tov ne voulut rien savoir et, très vite, Shammaï dansa avec le Rabbi et son disciple. C’est alors qu’il se rendit compte qu’il devait y avoir quelque chose de spécial chez cet homme. « Ce doit être un homme saint, se dit Shammaï. Je sens quelque chose de spécial dans ces danses. » Ses soupçons furent confirmés lors du troisième repas du Chabbat, lorsque la danse atteignit un tout autre niveau. Une extase spirituelle s’empara de tout le groupe alors que leurs pieds virevoltaient au sol, le visage du Baal Chem Tov s’enflammant d’une lueur ardente et sainte.

Shammaï était à présent persuadé que son invité était un homme d’une grande sainteté.

Une fois la flamme de la bougie de havdalah éteinte et la Reine Chabbat raccompagnée, Shammaï se tourna vers le Baal Chem Tov : « Je vois que vous êtes un homme saint. Dites-moi, de grâce, de quoi vous avez besoin ? Comment puis-je vous aider ? Avez-vous besoin d’argent ? »

– Je n’ai aucunement besoin de votre argent, répondit le Baal Chem Tov. Mais pourriez-vous tenir un repas de mélavé malka pour moi ?

– Bien sûr, j’en serais honoré, répondit Shammaï.

« Bénissez-moi, saint Rabbi », dit Shammaï alors qu’ils étaient assis ensemble pour prendre le mélavé malka.

« Je peux te bénir de l’une de ces trois choses : une longue vie, la richesse ou une famille remarquable. »

Shammaï était un homme sage, il répondit donc : « Rabbi, je veux les trois. »

Et ce fut le cas : Shammaï vécut jusqu’à un âge avancé, près de 100 ans, dans une abondance de richesses, et il mérita d’avoir pour descendants des générations de Juifs droits et pieux.

Une fois leurs affaires à Moguilev terminées, le Baal Chem Tov et Reb Volf continuèrent leur route vers la ville de Sarigrad où vivait le célèbre Rabbi Yaakov Yossef de Polnoye. À cette époque, Rabbi Yaakov Yossef était encore un adversaire farouche du ‘hassidisme. Ils se joignirent à un grand convoi et arrivèrent tôt le matin à la place de la ville où l’on garait les calèches et où l’on abreuvait les chevaux.

Comme c’était la pratique dans de nombreuses villes à cette époque, les cochers locaux venaient tôt le matin et garaient leurs calèches à cet endroit, laissant les chevaux à un préposé qui abreuvait et soignait les animaux fatigués. Les cochers juifs se rendaient ensuite à la synagogue pour prier.

Lorsque le Baal Chem Tov et son disciple arrivèrent, ils ne descendirent pas immédiatement de la calèche pour se diriger avec tous les autres vers la synagogue. « Descends du carrosse, vieil homme », leur dit le cocher d’un ton bourru. Imperturbable, le Baal Chem Tov appela d’autres cochers juifs et se mit à leur raconter des histoires merveilleuses. Les cochers, les yeux écarquillés et l’oreille attentive, étaient incapables de s’arrêter d’écouter et, en peu de temps, c’est toute une grande foule qui était rassemblée à écouter ce Juif passionné qui racontait des histoires fascinantes et émouvantes.

Pendant ce temps, Rabbi Yaakov Yossef était arrivé à la synagogue et fut surpris de constater l’absence du quorum habituel. Il envoya son assistant au dépôt de carrosses pour voir ce qui se passait – avec un avertissement sévère leur demandant de revenir immédiatement pour prier.

L’assistant n’en crut pas ses yeux : tous les gens du bourg étaient là, à écouter un homme étrange raconter des histoires ! S’approchant pour mieux saisir la situation, il fut bientôt pris lui aussi dans le charme du Baal Chem Tov.

N’ayant aucune nouvelle de son assistant, Rabbi Yaakov Yossef décida d’aller voir par lui-même ce qui se passait. S’approchant de la scène où le Baal Chem Tov racontait des merveilles, Rabbi Yaakov Yossef ne put s’empêcher de se sentir attiré par la voix du saint Rabbi. Remarquable érudit, Rabbi Yaakov Yossef comprit immédiatement qu’il ne s’agissait pas d’histoires ordinaires, mais de profonds secrets divins.

« Qui êtes-vous ?! », demanda Rabbi Yaakov Yossef.

« C’est quelque chose que je voudrais vous dire en privé ».

« Très bien, parlons-en après la prière. »

Sur ce, le Baal Chem Tov descendit enfin du carrosse vers Rabbi Yaakov Yossef, ce qui marqua le début d’une longue et fructueuse relation. Rabbi Yaakov Yossef devint ensuite l’un des principaux disciples du Baal Chem Tov, et il écrivit le premier ouvrage faisant autorité sur ses enseignements, intitulé Toldot Yaakov Yossef.

(Hamashpia [Havlin, Shlomo Zalman], p. 124-125)