L'autre soir à Jérusalem, alors que je commandais une pizza, j'ai entendu quelqu'un derrière moi proposer à des clients de faire un « Farbrenguen », une réunion 'hassidique. Je me retournai pour voir qui pouvait être ce Hassid, mais je fus surpris de voir que c'était un jeune garçon portant une chemise noire serrée et arborant des cheveux gominés hérissés, bref, une tenue peu habituelle dans le milieu 'hassidique...

Je lui souris : il avait sans doute utilisé le mot « Farbrenguen » pour attirer mon attention. Il m'a alors posé toutes sortes de questions.

« Oui, répondis-je, je suis un 'Habadnick... Oui j'ai vu le Rabbi de près... Oui, j'ai reçu un billet d'un dollar de sa main... »

Il voulait savoir si j'avais sur moi un dollar du Rabbi. « Oui, bien sûr » ai-je répondu.

« Pouvez-vous me le donner? » demanda-t-il à brûle-pourpoint.

Si seulement vous aviez pu voir son regard à ce moment-là ! Il voulait tellement avoir un dollar du Rabbi!

Comme vous le savez, durant de nombreuses années, chaque dimanche, et à chaque occasion, le Rabbi distribuait des billets d'un dollar à tous ceux qui passaient devant lui. Alors qu'il avait déjà quatre-vingt, quatre-vingt dix ans même, le Rabbi restait debout de longues heures d'affilée pour recevoir des gens qui venaient du monde entier lui demander sa bénédiction.

Le Rabbi désirait rencontrer chacun, le saluer, le bénir. Le dollar devait être remis à la charité. Cependant, celui qui le recevait préférait souvent le garder et en donner un autre, ou plusieurs autres, à la place à la Tsédaka (charité).

Je montrai à mon nouvel ami un dollar que je gardais toujours sur moi : en haut sur la marge, j'avais écrit mon nom et la date du jour où je l'avais reçu. Maintenant, je le lui donnai : il ajouta son nom à côté du mien et la date d'aujourd'hui.

Me séparer de mon dollar avait été une décision douloureuse, mais raisonnée. Des années auparavant, le Rabbi m'avait regardé droit dans les yeux en me le tendant : comment pouvais-je même penser le donner ? Cependant, alors que je le donnai à ce jeune Israélien, j'eus l'impression qu'il regardait à travers moi, comme s'il voyait le Rabbi lui-même. C'était à travers moi que le Rabbi lui donnait ce dollar...

* * *

Quelques jours plus tard, je retournai m'acheter une pizza. Mon « ami » s'y trouvait aussi : apparemment, c'était un habitué. Dès qu'il m'aperçut, il se précipita vers moi en agitant quelque chose : c'était mon dollar. Alors que moi, je l'avais toujours gardé plié dans mon porte-monnaie, lui, il l'avait fait plastifier. J'admirai l'œuvre.

À ce moment-là entra dans la pizzeria un homme revêtu de l'habit 'hassidique de Mea Chéarim. Mon nouvel ami se précipita vers lui aussi : « J'ai reçu un dollar du Rabbi ! » disait-il joyeusement en l'agitant.

Le 'Hassid, impressionné par sa candeur, décida de mettre le jeune Israélien à l'épreuve.

« Quelle valeur a ce dollar pour toi ? » lui demanda-t-il.

« Tout l'or du monde ! répliqua-t-il. C'est une “Segoula”, un bon signe ! »

« Me vendrais-tu ta “Segoula” ? » demanda le Hassid.

« Jamais ! » Le cri venait du fond du cœur !

« Et si je te donnais un million de dollars ? »

Mais le jeune homme était ferme. « Pas question ! »

« Je ne comprends pas, dit le 'Hassid, quelle meilleure “Segoula” peut-il y avoir à part un million de dollars à la banque. »

« Si je refuse ton offre d'un million de dollars, insista le jeune homme, le Rabbi trouvera le moyen de me faire gagner une plus grande récompense encore ! »

Puis s'avisant qu'il avait peut-être vexé le Hassid, le jeune homme s'excusa de son enthousiasme peut-être mal placé.

« Non, répondit le Hassid, pensif, tu ne m'as pas vexé, bien au contraire. D'ailleurs, dit-il honnêtement, je crois bien que je suis jaloux de toi ! »

Dovi Scheiner