Chaque année, Hé Tévet, le cinquième jour du mois hébraïque de Tévet, est célébré dans le monde entier comme la « fête des livres ». Ce jour-là, un nombre incalculable d’hommes, de femmes et d’enfants renouvellent leur engagement dans l’étude de la Torah et la quête du savoir juif en mettant un accent particulier sur l’achat de nouveaux livres, la restauration de livres anciens et l’agrandissement des bibliothèques personnelles et communautaires.
L’événement annuel a lieu en décembre ou en janvier et marque la date hébraïque du jour de 1987 où un tribunal fédéral américain décida sans équivoque que la vaste et rare bibliothèque accumulée et sauvée d’Europe par le Sixième Rabbi – Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, de mémoire bénie – appartenait, comme le Rabbi lui-même, au mouvement ‘Habad-Loubavitch dans son ensemble.
Le gendre et successeur de Rabbi Yossef Its’hak, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie, avait pris très au sérieux les accusations initiales selon lesquelles la bibliothèque inestimable du Sixième Rabbi constituait la propriété personnelle de quelqu’un (lire La chronologie des événements de Hé Tevet), et lorsque le tribunal rendit sa décision en faveur du mouvement ‘Habad, des danses et des chants ont éclaté dans le monde entier. Le Rabbi acquiesça à cette effusion de joie, mais lors du premier anniversaire de la décision du tribunal, il souligna qu’il n’était pas suffisant que les textes aient été récupérés, mais qu’ils devaient être étudiés.
« Selon les conventions du monde », déclara-t-il lors du premier anniversaire de Hé Tévet, « la victoire d’un objet coûteux, comme les pierres précieuses et les diamants, est célébrée en lui accordant plus de respect : le garder dans l’endroit le plus digne possible, afin que personne ne le touche, et certainement ne pas l’utiliser. [...] Mais selon la Torah, la victoire des livres saints [...] est de les utiliser et d’apprendre d’eux encore plus – plus ils sont utilisés, plus ils ont de dignité, même s’ils deviennent usés et déchirés par l’usage. »
L’accent mis par le Rabbi sur les livres et l’expansion de la bibliothèque au cours de cette période s’appuya sur une campagne de mitsva qu’il avait introduite en 1974, connue sous le nom de Bayit Malé Sefarim, « Une maison pleine de livres juifs ». Il s’agissait d’un appel à tous les Juifs, jeunes et vieux, à s’entourer de livres saints et à faire ainsi des livres une partie de leur vie.
L’aura de la maison
Chaque maison a sa propre aura. Qu’il s’agisse d’un penthouse de Manhattan, d’un manoir californien aux tuiles espagnoles, d’un lotissement de banlieue ou d’un ranch texan, chaque structure dégage un sentiment particulier, une esthétique consciente ou inconsciente qui place les occupants et les visiteurs du lieu dans une certaine atmosphère.
Les gens sont constamment à la recherche de moyens d’améliorer leur maison ; ils veulent que leur environnement évoque une certaine humeur, et qu’il reflète leur histoire et leur famille, leur personnalité et leurs passions. Qu’ils préfèrent le rustique, le classique ou le moderne, le familial ou l’industriel, leurs choix de couleurs, de meubles, de décorations murales et de bibelots (ou leur absence) sont autant d’éléments qui reflètent leur identité.
Un simple coup d’œil dans une pièce peut vous en apprendre beaucoup sur la ou les personnes qui y vivent, qu’il s’agisse d’étudiants ou d’érudits, de célibataires qui débutent dans la vie ou de familles établies. C’est le reflet non seulement de ce qu’ils sont, mais aussi de ce qu’ils veulent être. Plus encore, en plus de compléter l’image de l’individu, son environnement joue en fait un rôle spécifique dans sa formation.
Il s’ensuit qu’un foyer juif est rempli d’objets juifs et de décorations juives. Certes, il y a une mézouza à la porte (bien que ce soit plus qu’une simple question de décoration). Mais si vous entrez dans une maison juive, vous trouverez très souvent des indices esthétiques de son identité : peut-être une ménorah sur la cheminée ou un plateau du Séder de Pessa’h sur une étagère. Vous trouverez peut-être une peinture du Mur occidental à Jérusalem, une étoile de David en fer forgé ou une tapisserie à thème juif.
Par-dessus tout, ce sont les livres de Torah et les textes juifs qui occupent le devant de la scène dans le foyer juif. L’élément le plus important pour le « Peuple du Livre », ce sont, bien évidemment, les livres !
L’appel du Rabbi
Au cours de l’hiver 1973-74, dans les mois qui ont suivi la Guerre du Kippour, le Rabbi entama une campagne visant à renforcer le moral et la protection spirituelle de l’armée israélienne et des Juifs en Israël et dans le monde.
Environ six ans auparavant, à l’approche de la guerre des Six Jours de 1967, le Rabbi avait parlé du pouvoir spirituel des téfiline, en particulier face à une guerre existentielle, lançant ce qui allait devenir la campagne des téfiline. À présent, le Rabbi commença à souligner que d’autres campagnes de mitsvas étaient nécessaires. Cette année-là, le Rabbi définit les cinq premières de ces campagnes : 1. Il réitéra l’importance d’encourager les hommes et les garçons juifs à mettre les téfiline ; 2. Que tous les Juifs étudient la Torah ; 3. Que l’on ait des mézouzas aux montants des portes ; 4. Que l’on donne la tsédaka (c’est-à-dire la charité) ; et 5. Que l’on remplisse sa maison de livres juifs. Toutes ces mitsvas concrètes servent à protéger l’individu, sa famille et sa maison, mais le Rabbi expliqua chacune d’entre elles en détail et ajouta de multiples dimensions.
Le Rabbi expliqua qu’en plus de la valeur spirituelle inhérente à chacune de ces mitsvas, l’intellect de l’individu doit être également engagé dans ces initiatives. Afin d’élargir la campagne d’étude de la Torah, le Rabbi parla de l’importance de rendre les livres de Torah disponibles pour tous et de s’assurer qu’ils soient bien en évidence dans chaque foyer juif et dans la chambre de chaque enfant.
Cet appel fut officiellement lancé par le Rabbi lors de son discours du Chabbat Bamidbar 1974 (le 25 mai) et reçut le nom de Bayit Malé Sefarim, ou « Une maison pleine de livres ». Il s’agissait d’un appel aux Juifs du monde entier à remplir leur maison de Torah et de prière, au sens propre comme au sens figuré.
Avant tout, le Rabbi voyait dans cette campagne une stratégie pragmatique pour permettre à chaque Juif d’étudier la Torah et de la rendre plus présente et plus importante dans sa vie. Pour commencer, il déclara que chaque Juif doit avoir un sidour (livre de prière), un ‘Houmach (les Cinq Livres de Moïse) et un livre de Tehilim (Psaumes), reliant ainsi les Juifs de manière très tangible à ces fondements de leur héritage. (En plus de ces livres, le Rabbi mentionna la nécessité pour chaque foyer juif d’avoir également une boîte de charité.) Il expliqué également que si des livres juifs sont alignés le long des murs, posés sur les tables basses et dans les étagères des enfants, les Juifs y jetteront inévitablement un coup d’œil et entameront leur cheminement dans les profondeurs de la sagesse juive.
Mais le Rabbi alla plus loin. Une maison « pleine » de livres signifie une maison qui est définie par ses livres – une maison où les livres remplissent l’essence même de la maison. Un foyer rempli de livres de Torah devient un foyer défini par la Torah elle-même.
Une maison de Torah a un impact positif sur les enfants élevés dans la maison et sur les visiteurs qu’elle reçoit. Les livres qu’elle contient ont également un effet profond sur les propriétaires de la maison. Même les livres qui sont achetés principalement comme décorations ou « juste pour les avoir », ont consciemment et inconsciemment un immense effet sur la façon dont les habitants se perçoivent eux-mêmes et leur petit sanctuaire.
Le Chabbat suivant, le Rabbi évoqua un autre avantage à remplir sa maison de livres de Torah : les bénédictions qu’ils apportent. De nombreuses prières rappellent traditionnellement les saints prédécesseurs du peuple juif, dans l’idée qu’ils se tiennent aux côtés du suppliant au moment de son jugement et qu’ils suscitent les bénédictions de D.ieu en sa faveur ; l’évocation des bonnes actions et des prières du suppliant n’aurait-elle pas le même effet ? Car chacun des livres saints dans lesquels un individu a engagé son esprit et répandu son cœur se tient dans sa maison comme un ferme témoignage de ses propres bonnes actions et de ses mérites, apportant ainsi une aura de bénédiction et de divinité dans la maison et sur la famille de cette personne. « Ce ne sont pas seulement des évocations des actes de nos ancêtres, mais aussi de ses propres mérites, explique le Rabbi. Des signes des bonnes actions ou de l’étude qu’il a entreprises quelques instants plus tôt, ou un jour plus tôt. » Les rappels de ces actes dans le monde d’en bas ont un impact considérable dans le monde d’en haut également.
À travers Bayit Malé Sefarim, le Rabbi encourageait les Juifs à se connecter à leur héritage et à leur patrimoine par le biais des livres saints qui les ont soutenus pendant des millénaires, des livres qui seraient eux-mêmes un témoignage de la relation inhérente du Peuple du Livre avec la Torah, le don de D.ieu au peuple élu. Cette action simple mais profonde transformerait de fait chaque maison juive en un foyer juif : un sanctuaire divin et une source de bénédiction et d’esprit juif.
Des études ont montré...
« Jusqu’à quand puis-je faire remonter mon amour des livres et des bibliothèques ? », demande le troisième président de l’État d’Israël, Zalman Shazar, dans ses mémoires écrites en 1967 : « Jusqu’à l’époque, je crois, où, à l’âge de huit ou neuf ans, j’ai été autorisé, la veille de Pessa’h, à aider Père à aérer ses livres et à les dépoussiérer pour s’assurer qu’ils étaient absolument exempts de levain. »
Écrivant plus d’un demi-siècle plus tard, Shazar se souvenait encore de la façon dont les livres saints de son père étaient disposés, malgré l’absence de catalogue écrit. « Il était entendu que le Tanya, aussi petit et mince soit-il, devait être placé à côté du grand Torah-Or, si bien reliée en tissu noir, et à proximité du Likoutei Torah, qui ressemblait au Torah-Or en termes de taille et de reliure... Puis il y avait le grand Sidour du Vieux Rabbi, deux volumes carrés pleins de taches de vin sur les pages de la Haggadah de Pessa’h, et tachés de larmes à l’endroit de la Amida de Roch Hachana ».
Ce genre de preuves anecdotiques témoignant de l’impact d’une bibliothèque familiale sur le développement d’un enfant existent depuis longtemps, mais des études universitaires récentes, menées des années après l’appel du Rabbi, ont conclu qu’il existe une relation indéniablement forte entre un foyer rempli de livres et la réussite scolaire d’un enfant.
L’une de ces études, menée par le Dr Mariah Evans, sociologue de l’Université de Nevada-Reno, en collaboration avec des équipes de l’Université Nationale Australienne et de l’Université de Californie à Los Angeles, explore les effets des bibliothèques domestiques sur le développement et les progrès des enfants à mesure qu’ils grandissent. Les conclusions de cette étude, qui s’étendit sur 20 ans, montrent que, quels que soient les 42 pays dans lesquels la recherche a été menée, la culture, le statut socio-économique ou le niveau d’études des parents, les enfants qui ont plus de livres à la maison lisent mieux, obtiennent de meilleurs résultats scolaires et réussissent mieux.
Une maison pleine de livres exprime clairement les valeurs, la culture et l’atmosphère de la maison pour tous ses habitants, enfants et adultes. Un foyer qui respecte l’étude plantera les graines de l’éducation chez les enfants qui y sont élevés. De même, un foyer qui révère les livres et les enseignements de la Torah aura un effet fort et positif sur la famille qui y vit.
L’étude de 2017 (qui développa une étude antérieure de 2010) souligne en outre que chaque livre ajouté a un effet supplémentaire proportionnel sur l’éducation de l’enfant. Même lorsqu’un foyer a déjà été classé comme « livresque », le nombre de livres n’est pas limité, et chaque livre acquis mène à des résultats encore meilleurs. De plus, l’acte même d’acheter des livres prouve aux enfants la valeur de l’étude d’une manière similaire à celle de les posséder.
Ce n’est pas un hasard si le Rabbi a souligné cette même idée lors d’un discours prononcé le 5 Tévet 5751 (22 décembre 1991), lorsqu’il expliqua la signification du nom de la campagne, Bayit Malé Sefarim – « Une maison pleine de livres ». Il expliqua que cela signifiait littéralement plein, l’objectif ultime étant que chaque centimètre de la maison soit rempli de livres de Torah. Pour remplir complètement une maison de livres juifs, il faudrait qu’elle contienne presque tous les livres de Torah jamais imprimés, ce qui ne pourrait jamais être atteint. En d’autres termes, l’appétit avec lequel un individu aborde la construction de sa bibliothèque juive et l’aménagement de son environnement riche en Torah se doit d’être comme la poursuite de l’étude de la Torah elle-même : sans fin.
La mitsva de posséder des livres
Dès le début, le Rabbi souligné que « Une maison pleine de livres » n’était pas seulement un effort personnel, mais aussi un effort communautaire. Il parla donc de la nécessité d’ouvrir des bibliothèques juives à travers le monde, chacune proposant des collections de livres sur des sujets juifs, et offrant des cours et des conférences sur une gamme de sujets de Torah.
Le Rabbi expliqua ensuite l’impact et l’importance de la construction d’une bibliothèque juive. Par exemple, en 1981, le Rabbi expliqua son lien avec le commandement unique écrit à la toute fin de la Torah : l’obligation faite à chacun d’écrire pour lui-même un rouleau de la Torah. Le Rabbi a par la suite corrigé ces discours, qui ont été distribués pour Chavouot, la fête du don de la Torah, et qui figurent dans Likoutei Si’hot vol. 23.
Citant les opinions du sage du XIIIe siècle Rabbénou Acher (le Roch) et du décisionnaire halakhique du XVIe siècle Rabbi Moché Isserlès (le Rama), le Rabbi explique qu’il n’est pas nécessaire d’écrire soi-même un rouleau de la Torah pour accomplir le commandement, mais qu’on peut l’accomplir en possédant des livres de Torah. Puisque, comme l’expliquent les Sages, le commandement n’a pas pour but d’encourager l’écriture d’un rouleau de la Torah, mais de faciliter l’accès à celle-ci et son étude, on peut s’acquitter de cette obligation en possédant des livres de la Torah : plus il y a de livres, mieux on s’acquitte de cette mitsva.
Le Rabbi fit également remarquer que le commandement ne fait pas de différence entre les riches et les pauvres, les sages et les simples. Ainsi, en ayant une maison remplie de livres, chaque Juif est en mesure d’accomplir le commandement et de se connecter à D.ieu à travers Sa Torah.
La victoire des livres
Ce sont les événements de 1985-87 et la décision du tribunal selon laquelle la bibliothèque inestimable de l’Agoudat ‘Hassidei ‘Habad appartenait au mouvement ‘Habad qui ont transformé le cinq Tévet en fête des livres et donc en synonyme de Bayit Malé Sefarim. Pour célébrer ce que le Rabbi appela une victoire des livres, il exhorta une fois de plus chacun à ajouter des livres de Torah à sa bibliothèque et à participer à la célébration annuelle d’une manière particulièrement significative.
Au cours des années suivantes, le Rabbi exhorta chacun à acheter des livres le 5 Tévet, soulignant ainsi l’importance d’acheter, de posséder et d’utiliser des livres de Torah. La victoire des livres n’était pas un triomphe juridique dans un conflit de propriété, mais plutôt la victoire des livres de la Torah et de l’étude de la Torah, et devait être célébrée de cette façon. Chaque année depuis lors, la maison d’édition Kehot tient une immense solde annuelle pour soutenir la campagne du Rabbi visant à remplir chaque foyer juif avec autant de livres que possible.
« Le peuple du livre »
Au fil des générations, de nombreuses cultures ont considéré les livres comme des sources de vie et des fenêtres sur des dimensions plus profondes, des objets à collectionner et à chérir. Les riches et les puissants ont amassé de grandes bibliothèques pour eux-mêmes, les ouvrant à l’élite qui pouvait et voulait les utiliser.
Ce sont les Juifs qui, fidèles à leur surnom séculaire de « Peuple du Livre », ont démocratisé le texte imprimé. Les livres juifs étaient pour tout le monde, riches et pauvres, un canal essentiel de leur héritage. À l’époque moderne, le Rabbi expliqua la perspective du judaïsme, en déclarant qu’une bibliothèque, ainsi que l’étude et l’éducation qui en découlent, ne sont pas réservées aux universitaires ou aux philosophes, mais constituent un moyen pour chaque Juif de profiter de la richesse des enseignements de la Torah.
La Torah est l’héritage de chaque Juif et doit prendre la place qui lui revient dans le foyer et la vie de la personne juive. En garnissant ses étagères de livres de Torah, en augmentant continuellement sa collection, d’année en année, de livre en livre, l’individu transforme sa maison en un foyer juif : « Une maison pleine de livres ».
Sources
Si’hot Kodech 5734 Vol. 1-2 (19 Kislev, Vayechev, Zot ‘Hanouka, 10 Chevat, Bamidbar, Nasso)
Likoutei Si’hot Vol. 23 (17-26)
Torat Mena’hem Hitvaadouyot 5748 (Vol. 2, p. 173)
Torat Mena’hem Hitvaadouyot 5751 (Vol. 1, pp. 96, 103)
« Family scholarly culture and educational success: Books and schooling in 27 Nations », Research in Social Stratification and Mobility, juin 2010.
« Scholarly Culture and Academic Performance in 42 Nations », Social Forces, juin 2014.
« Redefining the Home » - A Chassidisher Derher – Tevet 5777.
Une maison de livres – Chabad.org
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