Deux simples tailleurs travaillaient ensemble à Vilna. Ils ne gagnaient pas beaucoup d’argent dans cette grande ville, où il y avait déjà de nombreux tailleurs établis et connus.

Ils décidèrent de tenter leur chance dans les petites villes de la région. Avec l’aide de D.ieu, ils eurent du succès en offrant leurs services à de simples villageois et paysans.

Dans l’une des bourgades qu’ils traversèrent, ils virent que le gérant juif du village était désemparé. Celui-ci leur expliqua que le noble, qui était le propriétaire terrien local, allait bientôt organiser un mariage et avait demandé au gérant de lui amener les meilleurs tailleurs juifs pour confectionner les vêtements de la noce. Cependant, le noble n’avait pas été satisfait du travail effectué et menaçait maintenant de renvoyer le gérant de son poste, et peut-être aussi d’expulser les locataires juifs de ses propriétés.

En entendant cela, les tailleurs lui dirent : « Pourquoi ne pas nous présenter au noble ? »

Le gérant répondit avec inquiétude : « Mais il semble que vous ne connaissiez pas la haute couture... »

« C’est vrai, répondirent les tailleurs, mais le noble a rejeté la haute couture, alors peut-être qu’il appréciera notre style plus simple. » Le chef du village accepta de tenter le coup.

Le noble leur demanda de confectionner une robe, et après avoir vu ce qu’ils avaient créé, il fut ravi. Il leur demanda de fabriquer les vêtements de mariage de toute sa famille élargie et de tous ses serviteurs.

Une fois le travail terminé, les tailleurs repartirent avec une grosse somme d’argent. Ils étaient également heureux d’avoir sauvé le gagne-pain du chef du village et des Juifs des environs.

Lorsqu’ils furent sur le point de quitter la ville, la femme du noble s’adressa à son mari. « Regarde, dit-elle.  Nous voyons comment ces Juifs se soucient tant de leurs coreligionnaires. Nous devrions peut-être leur parler de notre prisonnier juif qui n’a pas pu payer le loyer de son auberge et qui croupit toujours en prison. Peut-être que ces tailleurs se soucieraient assez de lui pour payer sa dette et le faire libérer. »

Elle fit part de la situation aux tailleurs juifs. Lorsqu’ils demandèrent combien l’homme devait, il leur fut répondu qu’il devait 300 roubles. L’un des tailleurs dit que c’était un prix trop élevé à payer. L’autre, cependant, dit : « Comment puis-je me désintéresser de la situation critique d’un autre Juif ? »

Il dit à son partenaire : « Rompons notre association, et voyons combien chacun de nous possède vraiment. » Il s’avéra qu’il restait à chacun exactement la somme due par le pauvre prisonnier : 300 roubles. Le généreux tailleur donna immédiatement l’argent à la femme du noble, et dit : « Libérez le prisonnier ».

Les deux tailleurs retournèrent à Vilna. Celui qui avait gardé son argent put établir son commerce dans la grande ville. L’autre se retrouva les mains vides, sans partenaire et sans argent pour relancer son affaire. Il tomba dans une profonde dépression, et la seule chose qu’il put faire fut de demander l’aumône pour survivre. Il devint ainsi un mendiant, et il sembla à la population locale qu’il avait aussi perdu la tête.


Un jour qu’il se sentait particulièrement désespéré, il aborda un riche passant à qui il demanda quelques pièces de monnaie. Le riche lui demanda ce qu’il recevrait en retour, et le mendiant répondit : « Je prierai pour toi. »

L’homme riche sourit et dit : « Que fera ta prière pour moi ? Mais voici quelques pièces de toute façon. » Le riche tint ses réunions d’affaires ce jour-là et eut beaucoup de succès. Il pensa que cela avait peut-être un rapport avec la bénédiction du mendiant.

C’est ainsi que la prochaine fois qu’il avait une réunion d’affaires, il se fit un devoir de passer à nouveau devant le mendiant. Après lui avoir donné quelques pièces, il lui demanda une bénédiction. De nouveau, il eut un succès fabuleux dans ses affaires.

Cela dura plusieurs mois, jusqu’au jour où, alors qu’il était en compagnie de membres de sa famille, ceux-ci lui demandèrent quel était le secret de son immense réussite récente. Il leur parla des bénédictions qu’il s’assurait de recevoir, et comment elles étaient toujours accomplies.

Il ne fallut que peu de temps pour qu’un grand nombre de personnes viennent solliciter les bénédictions de l’ancien tailleur, qui se réalisaient toujours.


Un groupe de disciples du Baal Chem Tov, de passage en ville, entendit l’histoire singulière du mendiant dont les bénédictions s’accomplissaient toujours. Ils en parlèrent à leur maître qui leur dit qu’il devait s’agir d’un homme très spécial, à l’âme particulièrement élevée. « Amenez-le-moi, dit-il. J’aimerais parler avec lui. »

Le Baal Chem Tov l’interrogea, lui demandant ce qu’il avait accompli de spécial. Le mendiant répondit qu’il ne se connaissait vraiment pas d’héroïsme exceptionnel dont il pourrait se prévaloir. « Je ne suis qu’un homme simple, dit-il, pas quelqu’un d’unique ou d’important. »

Le Baal Chem Tov demanda à l’homme de raconter toute l’histoire de sa vie. Lorsqu’il parvint à l’épisode où il donna 300 roubles pour sauver un homme de la prison, le Baal Chem Tov s’exclama : « Ah, ça y est ! Cette éminente action désintéressée de ta part est la cause de la réalisation de tes bénédictions. »

Entendre cela de la bouche du Baal Chem Tov, et prendre conscience du caractère unique de son acte, fit une grande impression sur l’homme et il fut capable de s’extraire de sa dépression.

Le Baal Chem Tov consacra du temps au tailleur sincère et lui enseigna la Torah. Il finit par devenir un érudit accompli et un grand tsadik.


Avons-nous eu l’occasion d’apporter un changement positif profond dans la vie d’une autre personne ? Quand l’avons-nous fait ? Pouvons-nous nous aider nous-mêmes et aider les autres à apprécier le bien que nous avons causé, comme le fit le Baal Chem Tov ?

(Adapté de The Storyteller, vol. 5, p. 145)