Adapté de Likoutei Si’hot, vol. 30, p. 170-175.

De l’aube au lever du soleil

Le 18e jour du mois juif d’Eloul, deux grands luminaires entrèrent dans le monde. En 1698, Rabbi Israël Baal Chem Tov naquit à Okoup, une ville fortifiée d’Ukraine.1 Quarante-sept ans plus tard, jour pour jour, en 1745, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi naquit près de Liozna, une ville de l’actuelle Biélorussie.2

L’étoile du Baal Chem Tov commença à illuminer le monde juif principalement après son installation à Medziboz en 1740. Rabbi Chnéour Zalman composa l’œuvre révolutionnaire pour laquelle il est le plus connu, le Tanya, cinquante ans plus tard.

Le moment est important : la tradition juive divise l’histoire en six périodes d’un millier d’années chacune, s’inspirant d’un verset des Psaumes : « Car mille ans sont à Tes yeux comme un jour qui passe ».3 Le sixième millénaire du calendrier hébraïque débuta à l’automne 1239 de l’ère commune.

Une journée a des moments charnières : le coucher du soleil, la tombée de la nuit, minuit, l’aube, le lever du soleil, midi. L’aube est le point focal, lorsque la lumière du soleil commence à vaincre l’obscurité de son absence. Il s’avère que l’arrivée du Baal Chem Tov à Medziboz eut lieu pile à l’aube.4

Le Baal Chem Tov arriva pile à l’aube, Rabbi Chnéour Zalman au lever du soleil.

Rabbi Israël Baal Chem Tov enseigna que chaque personne pouvait servir D.ieu par humilité, amour et joie, en s’inspirant des enseignements ésotériques de la Kabbale. Ses idées se répandirent rapidement, enflammant le cœur des Juifs simples comme ceux des érudits. Il est d’ailleurs une tradition selon laquelle si une personne est inanimée, il faut lui murmurer son nom à l’oreille. Le cœur de son être résonnera à l’appel de son nom et elle se réveillera. L’apparition de Rabbi Israël Baal Chem Tov fut ainsi le murmure de D.ieu nous disant notre nom, Israël, pour réveiller la nation juive toute entière de notre sommeil long de plusieurs siècles.

La Halakha place l’aube 72 minutes avant le lever du soleil. Avec un peu plus de mathématiques, nous découvrons que cinquante ans plus tard correspond au lever du soleil.

Dès lors, la lumière du Baal Chem Tov commença à briller à l’aube, tandis que celle de Rabbi Chnéour Zalman commença au lever du soleil.5 Ce n’est pas fortuit. Il doit y avoir un lien entre la progression de l’aube au lever du soleil et la succession de Rabbi Chnéour Zalman au Baal Chem Tov.

Le prince et le joyau de la couronne

Pour trouver ce lien, examinons deux histoires clés de Rabbi Chnéour Zalman qui nous en disent long sur sa relation avec le Baal Chem Tov et son innovation.

La première histoire6 se déroula du vivant du Maguid de Mézeritch, le principal successeur du Baal Chem Tov. Le Maguid était un maître enseignant, un génie du Talmud et de la Kabbale. Il attira un cercle de tsadikim qu’il plaça à des postes de direction dans toute l’Europe de l’Est, le plus jeune d’entre eux étant Rabbi Chnéour Zalman.

Rabbi Chnéour Zalman raconta lui-même cette histoire. Le Maguid avait fait appel à lui, ainsi qu’à ses collègues Rabbi Leib Cohen et Rabbi Zoussia d’Anipoli, en leur demandant : « S’il vous plaît, dites-moi ce qui s’est passé pendant que je dormais. »

Alors Rabbi Chnéour Zalman le lui raconta. Un visiteur était venu à Mézeritch, qui avait été un des plus éminents disciples du Baal Chem Tov : le saint Rabbi Pin’has de Koretz. Une forte divergence d’opinions opposait le Maguid et Rabbi Pin’has. Le Maguid enseignait ouvertement tout ce qu’il avait reçu du Baal Chem Tov, tandis que Rabbi Pin’has s’opposait à cette pratique, disant que des sujets aussi élevés devaient être traités avec une grande prudence.

Ce jour-là, Rabbi Pin’has avait trouvé deux feuilles de papier ballottées par le vent dans la cour. Sur ces feuilles étaient écrits les enseignements du Maguid. Pour lui, c’était un scandale, et il le fit savoir.

Lorsque Rabbi Chnéour Zalman vit à quel point Rabbi Pin’has prenait l’affaire au sérieux, il lui répondit par une parabole :

Il était une fois un roi puissant qui avait un fils unique. Lorsque le roi souhaita que son fils grandisse en sagesse et en puissance, il l’envoya sur une île éloignée dans un pays lointain. Là, il étudierait la nature de diverses plantes et animaux, et apprendrait à chasser les bêtes sauvages et les oiseaux dans des endroits dangereux.

Un jour, la nouvelle parvint au roi que son fils, toujours sur cette île lointaine, avait contracté une grave maladie pour laquelle les médecins ne trouvaient aucun remède. Le roi ordonna que l’on annonce dans tout son royaume que toute personne ayant des connaissances en médecine ou connaissant un remède à cette terrible maladie devait se rendre immédiatement dans son palais.

Mais tous les grands guérisseurs et les sages distingués ne se manifestèrent pas, car aucun ne connaissait de remède à la maladie du prince.

Jusqu’au jour où un certain homme arriva au palais pour informer le roi qu’il avait un remède éprouvé pour le prince. La mise en œuvre de ce remède, cependant, n’était pas si simple. Il dépendait d’une gemme rare et précieuse. Cette gemme devait être trouvée, puis écrasée et broyée aussi finement que le sable le plus fin. Alors seulement, elle pouvait être administrée au prince, mélangée à du vin fin. Mais il garantissait qu’en buvant cette concoction, le prince serait guéri.

Le roi ordonna à tous les experts en pierres précieuses de rechercher ce joyau spécial parmi toutes les pierres précieuses du trésor du palais, conformément à la description fournie par cet homme.

Les experts se réunirent donc et examinèrent toutes les pierres précieuses royales, et à la grande joie de leurs cœurs, ils parvinrent à trouver exactement le précieux bijou. Il y avait juste un problème : le joyau était la pièce maîtresse de la couronne royale du roi.

Comment pouvaient-ils se réjouir ? Si la pièce maîtresse de la couronne royale du roi était enlevée, la couronne perdrait sa beauté. Néanmoins, ils étaient obligés de dire au roi ce qu’ils avaient trouvé, et où.

À leur grande surprise, lorsque le roi apprit qu’ils avaient trouvé la gemme précieuse qui pouvait sauver la vie de son fils unique, il se réjouit grandement. Il ordonna que la gemme soit enlevée, écrasée et broyée, et se précipita vers son fils pour le guérir.

Juste à ce moment-là, de mauvaises nouvelles arrivèrent au palais. La santé du prince s’était détériorée au point que ses lèvres étaient serrées. Aucune nourriture, pas même liquide, ne pouvait pénétrer sa bouche.

En entendant cette nouvelle, les sages qui se tenaient devant le roi supposèrent immédiatement que le roi allait renoncer à broyer la précieuse gemme. La beauté de sa couronne royale serait sauvée. Vous pouvez donc imaginer leur surprise lorsqu’ils entendirent le roi ordonner : « Hâtez-vous de broyer la gemme et de préparer le remède ! Cela vaut la peine de broyer la gemme en entier et de verser tout le breuvage dans l’espoir qu’une seule goutte entre dans la bouche de mon fils unique et qu’il en guérisse ! »

Les nobles, ceux qui occupaient les postes les plus élevés du palais, furent étonnés de l’ordre du roi. Ils lui conseillèrent : « Lorsque, au début, les lèvres du prince étaient ouvertes et qu’il pouvait accepter un peu de nourriture ou de boisson, alors votre sacrifice était raisonnable. Mais maintenant que sa situation est extrêmement précaire, il est très peu probable qu’il ingère quoi que ce soit de cette concoction. Pour une chance aussi mince, vaut-il vraiment la peine de ruiner la beauté de la couronne du roi, celle-là même dont il fut couronné le jour où il s’assit pour la première fois sur son trône ? »

Mais le roi répondit : « Si, à D.ieu ne plaise, mon fils ne vit pas, quelle est la valeur de ma couronne ? Et si mon fils guérit, ce sera alors la plus magnifique gloire de la couronne : que mon fils unique, qui a mis sa vie en danger pour accomplir mon commandement et s’élever en sagesse et en puissance à travers de grandes épreuves jusqu’à ce qu’il devienne mortellement malade, a été guéri par le joyau de cette couronne ! »

Lorsque Rabbi Chnéour Zalman termina sa parabole, Rabbi Pin’has se mit à rire. Il s’exclama : « Ce que tu dis est juste ! Tu as fourni une justification à cette pratique qui consiste à enseigner ouvertement les secrets profonds de la Torah. Quelle chance a le maître qui a de tels élèves ! ».

Tout cela, Rabbi Chnéour Zalman le raconta au Maguid en bref. Le Maguid dit alors à son élève : « Tu m’as sauvé. Car dans mon sommeil, j’ai vu qu’il y avait une grande accusation contre moi dans les cieux ; contre moi et contre les enseignements de mon maître, le Baal Chem Tov. Mais j’ai vu que tu étais debout et que tu argumentais en ma faveur, justifiant mes actions. Tes paroles ont été acceptées et tu as légitimé mes enseignements et ceux de notre maître, le Baal Chem Tov ».

La parabole est profonde et riche. Chaque détail fait allusion à quelque chose qu’un homme ayant les connaissances et la sagesse de Rabbi Pin’has pourrait comprendre. Le reste d’entre nous a besoin qu’elle soit analysée.

Mais avant de nous y atteler, visitons d’abord une autre histoire.

Les visiteurs dans la cellule

Couloir de la prison de la forteresse Petropavlovski
Couloir de la prison de la forteresse Petropavlovski

Sous la direction du Maguid, Rabbi Chnéour Zalman prit la responsabilité d’apporter les enseignements et l’esprit du Baal Chem Tov à sa Biélorussie natale. Plus que tout autre leader ‘hassidique de son époque, il s’attacha à diffuser ces enseignements aussi ouvertement que possible. Même les autres élèves du Maguid protestaient en disant qu’il allait trop loin.

C’était une époque politiquement turbulente. Les têtes royales roulaient dans les rues de Paris pendant le règne de la Terreur qui suivit la Révolution française. Le régime tsariste se méfiait fortement de toute personne qui pourrait inciter à la rébellion. À l’automne 1798, Rabbi Chnéour Zalman fut arrêté au motif que ses enseignements et ses activités menaçaient l’autorité impériale du tsar. Il fut emprisonné dans la forteresse Petropavlovski, sur une île de la rivière Neva, à Pétersbourg. Lors de ses interrogatoires, il fut contraint de présenter aux ministres du tsar les principes fondamentaux du judaïsme et d’expliquer divers points de la philosophie et de la pratique du ‘hassidisme. Au bout de 53 jours, il fut déclaré innocent et libéré.

Pendant cet emprisonnement, Rabbi Chnéour Zalman reçut deux visiteurs du Monde de Vérité : son maître, le Maguid de Mézeritch, et le maître de son maître, le Baal Chem Tov.

Une longue conversation s’ensuivit. Les visiteurs fournirent à leur élève des réponses aux questions de ses interrogateurs et le soulagèrent en lui annonçant sa libération imminente.

Rabbi Chnéour Zalman avait compris que tout ce qui se passait dans ce monde n’était que le reflet de ce qui se passait dans le monde supérieur. S’il y avait des accusations contre lui ici, même si elles étaient fausses, c’est qu’il y avait des accusations contre lui là-haut, dans le Monde de Vérité. Maintenant qu’il avait des visiteurs de ce monde supérieur, il souhaitait comprendre pourquoi il avait mérité cela, ce qu’il avait fait de mal et ce qui devait être corrigé.

Ses éminents visiteurs lui expliquèrent : « Une accusation a été portée dans la cour céleste, selon laquelle tu révèles publiquement des secrets de la Torah, la couronne du Roi. »

Rabbi Chnéour Zalman leur demanda alors : « Que dois-je faire lorsque je sortirai d’ici ? Dois-je cesser d’enseigner la Torah de cette manière ? Ou dois-je continuer ? »

« Lorsque tu sortiras d’ici, lui dirent-ils, tu devras continuer comme auparavant. Au contraire, tu dois aller encore plus loin. »

« Lorsque tu sortiras d’ici, lui dirent-ils, tu devras continuer comme auparavant. Au contraire, tu dois aller encore plus loin. »

C’est exactement ce que fit Rabbi Chnéour Zalman. Après son retour de Pétersbourg, ses enseignements devinrent encore plus explicites et accessibles à l’esprit humain. Tout était désormais accompagné d’une explication et d’une métaphore claire, de sorte que même les Juifs les plus simples pouvaient saisir le divin.

Dire des secrets

Pourtant, cette histoire soulève une question difficile : comment Rabbi Chnéour Zalman avait-il pu avoir des doutes ? Comment avait-il pu se demander : « Dois-je continuer ou non ? », alors qu’il avait lui-même été le jeune prodige qui avait défendu son maître, expliquant pourquoi il était non seulement nécessaire mais vital pour la survie du peuple juif de diffuser ces enseignements. Avec le temps, sans doute la situation du prince de la parabole s’était-elle encore détériorée. S’il était si vital à l’époque de broyer le joyau de la couronne, combien plus l’était-il maintenant !

Qu’est-ce qui avait changé pour que son argument initial ne soit plus efficace ? Et pourquoi y avait-il une nouvelle accusation, alors que la précédente avait été enterrée depuis longtemps ?

Pour répondre à cette question, revenons à la dispute de Rabbi Pin’has avec le Maguid. Posons une question simple : pourquoi quelqu’un aurait-il un problème à ce que les paroles de son maître soient diffusées aussi largement que possible ?

Certes, le Talmud impose de fortes restrictions à l’enseignement de la « sagesse cachée ». Même parmi les grands érudits de la Michna, il y avait ceux qui ne se sentaient jamais prêts à aborder ces enseignements. Maïmonide résume les propos du Talmud à ce sujet dans sa formulation de la loi :

Les sages des premières générations ont ordonné que ces questions soient expliquées à un seul individu à la fois. Il doit s’agir d’un homme sage, capable d’atteindre la compréhension par son propre esprit. Dans ce cas, on lui donne les points fondamentaux et on lui fait connaître les grandes lignes de ces concepts. Il doit alors continuer à les contempler jusqu’à ce qu’il atteigne leur compréhension avec son propre intellect, jusqu’à ce qu’il réalise le véritable sens et la profondeur du concept.

Ces notions sont extrêmement profondes, et tout le monde n’a pas l’intellect nécessaire pour les apprécier. Dans sa sagesse, Salomon les a décrites par cette métaphore : « Des agneaux pour tes vêtements »7 [La racine keves – « agneau » – a également le sens de « cacher »] : les sujets qui sont les secrets du monde doivent être cachées sous ton manteau, ce qui signifie qu’ils ne concernent que toi et que tu ne dois pas en parler en public.

À leur sujet, il est écrit : « Ils seront pour toi et non pour les autres avec toi. »8 De même, il est dit : « Le miel et le lait seront sous ta langue »9 Les sages des premières générations ont interprété cela comme une métaphore : les sujets qui sont comme le miel et le lait doivent être gardés sous ta langue.

Et pourtant, nous constatons que le Ari, Rabbi Its’hak Louria, le plus grand de tous les kabbalistes, a dit à ses disciples qu’aujourd’hui, dans ces dernières générations – il vivait au 16e siècle – il est non seulement permis mais également un devoir de révéler ces enseignements.10 Comment une halakha peut-elle changer à un tel point ?

Toute la Torah

La réponse est vraiment très simple : ces enseignements sont de la Torah.

Chaque partie de la Torah, y compris ses secrets les plus profonds, appartient à chaque Juif.

Toute la Torah appartient à chaque Juif, et chaque Juif est tenu d’en apprendre la totalité. La première chose que nous enseignons à un enfant, dès qu’il commence à parler,11 est « La Torah que D.ieu a ordonnée à Moïse est un héritage pour toute la communauté juive ».12 Cela inclut chaque partie de la Torah, y compris ses secrets les plus profonds.

Le problème de la « sagesse cachée » n’est pas l’enseignement, mais la personne qui les étudiera. Après tout, il s’agit de concepts très abstraits, présentés sous forme de métaphores et d’allusions délicates, mais qui traitent de questions au cœur même de la croyance juive. Comme l’écrit Na’hmanide,13 lorsque quelqu’un aborde des concepts aussi nobles sans être correctement guidé en cela – ou sans y être ouvert –, il tire inévitablement ses propres conclusions déformées et fallacieuses. Non seulement il perd tout le bénéfice que les enseignements contiennent, mais ses idées déformées sont susceptibles d’être nuisibles, tant pour lui-même que pour autrui.

De fait, cela s’applique à l’étude de toute partie de la Torah. Le Talmud compare la Torah à une potion. Quelle sorte de potion ? Cela dépend. Si une personne est méritante, elle est un élixir de vie. Mais si elle ne l’est pas, à D.ieu ne plaise, alors c’est le contraire.

Comment la Torah, un arbre de vie, pourrait-elle être un poison ? Le Zohar, Rabbi ‘Haïm Vital et d’autres décrivent longuement comment les personnes qui étudient la Torah pour nourrir leur propre orgueil et pour atteindre l’honneur et la renommée sont comme ceux qui mangent la coquille d’une noix et jettent le fruit. Le fruit est la proximité de D.ieu atteinte lorsqu’on est immergé dans cette Torah qu’Il nous donne. Mais cette personne ne voit la Torah que comme un moyen de montrer ses propres prouesses intellectuelles. La Torah qui était censée lui procurer un sentiment de crainte et le lier à D.ieu devient au contraire une source d’arrogance et d’égocentrisme encore plus grande.

Dans le cas de la « sagesse extérieure » de la Torah, la règle est qu’il doit néanmoins étudier. Il est capable, après tout, d’apprendre avec la bonne attitude, et finalement la Torah elle-même l’amènera à découvrir que le fruit est meilleur que la coquille. À ce moment-là, tout ce qu’il a appris sera racheté.

La même préoccupation s’applique à la sagesse intérieure de la Torah – mais bien plus encore, puisqu’il se targue maintenant de connaître les secrets du cosmos alors qu’en vérité il ne fait que débiter des absurdités, voire des hérésies. La différence est que dans ce domaine, il n’y a aucune raison de croire qu’il finira par changer d’attitude. Dans la plupart des cas, en saisir le véritable sens est tout simplement au-delà de ses capacités.

Pourtant, à terme, connaître ces secrets les plus intimes de la Torah sera la principale occupation de chacun d’entre nous. Maïmonide l’écrit explicitement,14 en décrivant les temps de Machia’h :

À cette époque, il n’y aura ni famine ni guerre, ni jalousie ni rivalité, car le bien sera déversé en abondance et tous les délices seront aussi disponibles que la poussière. L’occupation du monde entier sera uniquement de connaître D.ieu. Par conséquent, les Juifs seront de grands sages et connaîtront les choses cachées, saisissant la connaissance de leur Créateur selon la pleine mesure du potentiel humain, comme il est dit : « Le monde sera rempli de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent le lit de l’océan. »15

Il est clair qu’à ce moment-là, la connaissance de D.ieu et de toutes les choses cachées aura la préséance sur l’étude des lois de la Torah. Si le monde entier est rempli de cette connaissance comme les eaux couvrent le lit de l’océan, il n’y aura évidemment plus de restrictions sur qui et combien peuvent étudier, etc.

Gardez à l’esprit que c’est le même Maïmonide qui nous a présenté plus tôt toutes les restrictions sur l’étude de cette sagesse, et qui écrit aussi catégoriquement que toutes les règles de la Torah s’appliquent pour toujours. Il est donc évident qu’il tient également que ces restrictions sont un phénomène de notre époque, où la plupart des gens n’ont pas l’esprit pour comprendre ces choses. À l’époque de Machia’h, lorsque nous serons libérés des perturbations liées à « la famine et la guerre, la jalousie et la rivalité », et lorsque « le bien sera déversé en abondance », alors chacun sera capable de consacrer son esprit à la compréhension de ces sujets dans toute leur profondeur – et cela deviendra alors l’occupation du monde entier.

Mais qu’en est-il de nous ? Qu’est-ce qui rend non seulement permis mais obligatoire la diffusion de ces enseignements à notre époque ?

Les besoins de l’époque

Il y a deux façons de répondre à cette question :

La première est qu’il s’agit d’une mesure d’urgence en réponse à la situation actuelle.

Maïmonide lui-même utilise ce raisonnement pour justifier son Guide des Perplexes, qui contient ce qu’il appelle lui-même des « questions cachées ». Dans sa préface, il écrit qu’il est pressé de composer cet ouvrage en raison du nombre de Juifs qui sont devenus confus et ont perdu leur chemin.

Maïmonide a un précédent. À l’origine, les vingt-quatre livres de la Bible hébraïque étaient destinés à être étudiés exclusivement à partir d’un rouleau écrit, et leurs commentaires et explications devaient être transmis exclusivement sous forme de tradition orale. Il y avait, et il y a toujours, de nombreuses raisons pour lesquelles il devait en être ainsi. L’absence de texte écrit oblige l’étudiant à revoir la matière jusqu’à ce qu’il la maîtrise parfaitement, et à parvenir à une compréhension beaucoup plus profonde qu’il ne pourrait le faire par l’étude des livres16 ; elle conserve la nature illimitée de la tradition orale qui s’élargit sans cesse par la discussion et les nouvelles applications,17 et bien d’autres choses encore.

Mais lorsque les rabbins constatèrent que les Juifs étaient dispersés dans de nombreux pays, qu’ils étaient incapables d’étudier avec la même concentration et la même clarté, et que ces enseignements oraux risquaient d’être oubliés, ils invoquèrent les paroles du psalmiste18 : « C’est le moment d’accomplir quelque chose pour D.ieu, ils ont transgressé Ta Torah. »19 Cela ne signifie certainement pas qu’ils ont annulé une quelconque interdiction. Pour paraphraser l’explication de Rachi : lorsque les temps justifient des mesures spéciales pour l’amour du Ciel, les rabbins adaptent la façon dont nous apprenons la Torah. Ce qui était bon pour l’étudiant à un moment donné n’est pas ce qui est bon pour l’étudiant à un autre moment, et en tenir compte préserve l’intégrité de la Torah.

On peut dire la même chose des restrictions concernant l’enseignement des matières ésotériques de la Torah : c’est aussi un « moment où il faut faire quelque chose pour l’amour du Ciel ». Les rabbins ont écrit sur l’énorme chute des générations récentes. Nous sommes telle une personne plongée dans un sommeil ou un coma profond, inconscients de la sainteté de D.ieu et de Sa Torah, et sans contact avec elle. Notre environnement – le monde dans son ensemble – a également sombré dans une obscurité spirituelle beaucoup plus intense qu’auparavant.

La lumière intérieure de la Torah a le pouvoir d’éveiller les forces intérieures et cachées de l’âme humaine.

Dans de telles conditions, le seul remède est de libérer le pouvoir de la lumière intérieure de la Torah – la pièce maîtresse des joyaux de la couronne. Seule cette lumière possède le pouvoir d’éveiller les forces intérieures et cachées de l’âme humaine. Elle nous permet de surmonter l’obscurité croissante de notre environnement et de surmonter nos défis personnels de l’intérieur. Elle réveille notre amour inné pour D.ieu et notre crainte de Lui, de sorte que nous pouvons servir D.ieu de tout notre cœur.

C’est à ce moment-là qu’est arrivé le Baal Chem Tov, une âme particulièrement douée qui été connectée au cœur même de la Torah intérieure, qui avait saisi la véritable signification de la sagesse ésotérique et vu comment elle s’appliquait à la vie quotidienne. Il a dispensé ces connaissances d’une manière qui préservait leur intégrité tout en les rendant claires et accessibles. Tant que le messager restait fidèle au chemin nouvellement battu par le Baal Chem Tov, à ses explications et métaphores, le risque de déformer le message était éliminé. Et il était vital de diffuser ce message autant que possible, afin de réveiller l’âme juive et d’éviter un désastre spirituel.

Les besoins de l’avenir

Il y a ensuite une deuxième raison : Machia’h ne vient pas sans préparation.

En effet, il existe une coutume juive très répandue, citée dans le Choul’hane Aroukh, selon laquelle, en plus de préparer tous nos aliments la veille du Chabbat, il convient de goûter un peu de chaque plat.20 De cette façon, nous accomplissons les paroles de la prière du Moussaf de Chabbat : « Ceux qui y goûteront mériteront la vie. » En goûtant au Chabbat avant le Chabbat, nous avons le mérite de profiter du Chabbat. En goûtant aux temps de Machia’h avant les temps de Machia’h, nous avons le mérite de profiter de la vie de cette époque.

Sans préparation, la transition vers l’ère messianique exigerait un changement radical de l’ordre naturel.

Maïmonide évoque cela en des termes très concrets lorsqu’il évoque l’arrivée du prophète Élie « pour redresser le peuple juif et préparer son cœur » aux temps messianiques. Cela correspond tout à fait à sa conception de la venue de Machia’h : il est d’avis que celle-ci peut se faire sans changement radical de l’ordre naturel. Mais pour que nous soyons soudainement jetés dans un monde de sagesse et de révélation divine sans préparation, il faudrait certainement un changement soudain et radical de la nature. La venue d’Élie est alors cruciale, afin de créer une étape de transition.

Ceci s’applique certainement à l’élément le plus central de l’ère messianique – l’immersion totale de la capacité humaine dans la connaissance divine. Encore une fois, tel que décrit par Maïmonide21 :

Les sages et les prophètes n’ont pas aspiré à l’ère messianique pour dominer le monde entier, pour régner sur les gentils, pour être exaltés par les nations, ou pour manger, boire et faire la fête. Ils souhaitaient plutôt être libres de s’immerger dans la Torah et la sagesse sans aucune pression ni perturbation...

Ce qui signifie, comme il l’explique ensuite, qu’ils pourront se plonger dans « l’appréhension des notions cachées de la connaissance de leur Créateur ». Pour cela, il faut certainement qu’il y ait une sorte d’étape de transition. Et cela passe par l’enseignement ouvert des aspects de la sagesse la plus intime de la Torah qui ont été révélés spécifiquement aux dernières générations.

Deux raisons pour deux modalités

Dès lors, tout comme il y a deux raisons pour cette ouverture de la Torah intérieure dans les dernières générations, il y a deux modalités par lesquelles elle doit être enseignée. Comparons ces deux modalités à deux modalités d’étude de la Torah : la Michna et la Guemara.22

Il ne s’agit pas simplement de deux textes différents, mais de deux façons différentes d’engager l’esprit. La Michna est composée de petits paquets serrés d’informations denses. Il s’agit surtout de connaissances et de compréhension de base. La Guemara déploie ces informations en long et en large, obligeant l’esprit humain à voir ces connaissances sous tous les angles et toutes les possibilités. Si vous vous contentez de mémoriser ce que dit la Guemara, même si vous en comprenez le sens, on ne peut pas vraiment dire que vous avez appris la Guemara. Vous devez faire appel à des capacités intellectuelles supérieures d’abstraction et de pensée critique – de tout votre esprit.

Il en va de même pour la Torah intérieure. Elle aussi peut être livrée dans de petits paquets puissants, ou avec des explications approfondies qui engagent et nourrissent l’esprit.

C’est le terme utilisé par le Zohar. Dans le Zohar, le prophète Élie dit à Rabbi Shimon bar Yo’haï que lorsque le peuple juif sera nourri de son livre, il sortira de son exil avec compassion.23 Comme pour la nourriture, il en va de même pour la Torah : pour nourrir la personne, elle doit être bien préparée, mâchée et digérée. Comme l’a écrit Rabbi Chnéour Zalman dans son ouvrage majeur, le Tanya, lorsque vous étudiez la Torah avec une telle concentration mentale que votre esprit la saisit, se lie à elle et ne fait plus qu’un avec elle, alors la Torah devient une nourriture pour l’âme.

Rabbi Chnéour Zalman a introduit une manière de digérer, de métaboliser et de se lier pleinement à la sagesse intérieure en utilisant l’intelligence et l’intuition humaines.

Et tout comme le Baal Chem Tov a introduit un style de gouttelettes à visée précise qui éliminait les risques liés à la diffusion de cette sagesse, Rabbi Chnéour Zalman a introduit sa méthode ‘Habad qui est une manière d’enseigner la pleine compréhension et la profondeur des enseignements les plus ésotériques afin que nous puissions les digérer, les métaboliser et nous y attacher en utilisant l’intellect et l’intuition humains.

Quant aux textes originaux et bruts du Zohar et des kabbalistes, y compris du Arizal, ceux-ci demeurent dans leur statut originel. Le Baal Chem Tov lui-même mettait en garde contre le fait de les étudier directement.24 Sans l’aide des enseignements des maîtres ‘hassidiques, il est trop facile d’en saisir une compréhension superficielle, avec tous les risques que nous avons évoqués plus haut.

... qui ont une différence

Or, si le but de l’ouverture des vannes de la Torah intérieure à notre époque est la réanimation spirituelle du peuple juif, pour contrer la progression de l’obscurité et la chute des générations, alors tout ce qui est nécessaire est de révéler les points fondamentaux, paraphrasés autant que possible. Car ces minuscules points de lumière révèlent aussi le luminaire intérieur de la Torah, et ce luminaire a le pouvoir de ranimer les âmes. Et si cela est suffisant, il ne faut pas en révéler plus.

Mais que se passe-t-il si la Torah intérieure est ouverte afin de « redresser le peuple juif et de préparer ses cœurs » à la révélation des enseignements des temps messianiques, un temps où nous aurons une compréhension complète de la connaissance de D.ieu ?

C’est le sens des mots de Maïmonide, « selon la pleine mesure du potentiel humain ». Son intention n’est pas d’exprimer que l’appréhension que nous atteindrons alors sera limité, mais de dire que celle-ci enveloppera l’être humain tout entier l’intégralité de ses potentialités et de ses facultés. De même, le sens de ses mots « comme les eaux recouvrent le lit de l’océan » est que, tout comme l’océan est l’eau qui recouvre son lit, la réalité même de notre monde sera notre compréhension de D.ieu.

Dans ce cas, il est certain que la préparation doit se faire selon la même modalité : en engageant et en englobant la totalité de la capacité humaine. C’est ce qui est accompli avec la méthode de Rabbi Chnéour Zalman, qu’il a appelée ‘Habad.

Retour aux histoires

Revenons maintenant à notre question sur les deux histoires : si Rabbi Chnéour Zalman avait déjà réfuté efficacement la première accusation, pourquoi devait-il répondre à une autre accusation des années plus tard ? Et comment pouvait-il se demander s’il avait pris le bon chemin ?

La réponse est que Rabbi Chnéour Zalman n’était pas seulement allé plus loin que le Baal Chem Tov, le Maguid et leurs disciples, il avait sauté sur une toute nouvelle voie ferrée, locomotive comprise. C’était le lever du soleil, pas seulement l’aube. Il n’était pas seulement temps de réveiller les Juifs de leur sommeil, il était temps de commencer à accueillir le nouveau jour.

Les enseignements antérieurs n’avaient été que de fines gouttelettes, dirigées avec précision. Mais il fallait désormais un déluge, une immersion totale.

On peut voir cela ouvertement dans leurs enseignements respectifs. Le contenu est sensiblement le même, mais le mode d’enseignement est entièrement différent. Les enseignements antérieurs étaient de fins points de lumière, très concentrés et intenses. Rabbi Chnéour Zalman commença ‘Habad, acronyme de ‘Hokhma, Bina, Daat (Conception, Compréhension et Conscience), les trois facultés de l’esprit. Tout devait être expliqué en détail, sous tous les angles et de tous les côtés. Tout devait pénétrer aussi complètement que possible le domaine de l’esprit humain – pas seulement l’intuition de l’âme, mais une rigueur intellectuelle qui engage et pénètre le cerveau humain.

Cette nouvelle orientation entraîna une nouvelle opposition du ciel. La parabole de l’écrasement du joyau de la couronne pour le prince mourant n’était plus une réplique efficace.

Pourquoi ? Parce que cette parabole consiste à faire entrer « juste une goutte » de la potion dans la bouche du prince pour lui sauver la vie. Les enseignements du Baal Chem Tov étaient justement cela – le joyau de la Torah, le joyau le plus précieux de D.ieu. Comme nous l’avons dit, même une goutte de ce joyau suffit à ranimer le prince.

Et cela a fonctionné : La ‘hassidouth du Baal Chem Tov, du Maguid, de leurs disciples et des disciples de leurs disciples pendant des générations a fait revivre le prince. C’est grâce à ces enseignements qu’il y a des milliers et des dizaines de milliers de Juifs sincères et craignant D.ieu.

Donc c’était bien. Mais alors Rabbi Chnéour Zalman se mit à révéler plus que de simples gouttelettes de ‘hassidouth. Il ouvrit des rivières. Alors les protestations dans le ciel se renouvelèrent. Après tout, révéler la ‘hassidouth de manière aussi expansive, au degré de compréhension humaine qu’offre ‘Habad, va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour sauver la vie du prince.

Il est maintenant logique que Rabbi Chnéour Zalman eût à nouveau quelques doutes. Peut-être n’aurait-il pas dû aller aussi loin. Peut-être était-ce un signe du ciel qu’il devait s’arrêter.

Mais ses maîtres lui dirent le contraire. Grâce à l’abnégation dont il avait fait preuve en prison, il gagna son procès. Il pouvait désormais librement révéler la ‘hassidouth de manière encore plus étendue. Parce que ce serait la préparation pour « redresser le peuple juif et préparer ses cœurs » pour la révélation des raisonnements cachés et des profondeurs de la Torah qui seraient révélés avec la venue de Machia’h, « comme les eaux couvrent le lit de l’océan ».

Par conséquent :

Comme toujours, l’essentiel est de savoir comment cela se traduit dans la pratique. Le Baal Chem Tov et le Maguid ont dit à leur disciple Rabbi Chnéour Zalman qu’il ne devait pas arrêter d’enseigner la ‘hassidouth dans son nouveau style ouvert. Au contraire, il devait aller encore plus loin. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ?

Nous devons nous immerger maintenant dans cette sagesse intérieure d’une manière similaire à celle des temps à venir.

D’une part, cela montre à quel point il est vital pour nous de nous préparer pour un temps à venir où l’occupation entière du monde ne sera rien d’autre que la connaissance de D.ieu. Et le moyen d’y parvenir est d’étudier la Torah intérieure d’une manière similaire à ces temps : avec compréhension et entendement.

Si tel est le cas, nous pourrions même parler de quelqu’un qui ne ressent aucun besoin vital d’étudier cette Torah intérieure, et certainement pas de s’en nourrir. Il prétend pouvoir vivre sans elle et être un bon Juif. Il a la halakha, il a le Talmud, il a le moussar. Il lit la ‘hassidouth du Baal Chem Tov, du Maguid et de leurs disciples. Pour lui, c’est suffisant pour surmonter les multiples ténèbres des temps qui précèdent immédiatement Machia’h.

Même s’il a raison, comment répondra-t-il à la loi claire et pratique des Lois de l’étude de la Torah selon laquelle chaque âme juive doit apprendre la Torah tout entière, « aussi bien les halakhot de base et les allusions, les exégèses et les secrets ».25 Dans une autre génération, à une autre époque, il avait une excuse, une bonne excuse. Il n’aurait pas été en mesure de l’étudier alors. Mais maintenant qu’elle a été rendue accessible, l’étudier est devenu une obligation pour chaque Juif.

Dans une lettre adressée à son beau-frère, le Baal Chem Tov a raconté qu’il était monté dans le palais de Machia’h dans les cieux et qu’il lui avait demandé : « Maître, quand arriveras-tu ? » La réponse avait été : « Quand tes sources se répandront à l’extérieur. »

Ce qui signifie que nous devons faire connaître et propager les sources de la ‘hassidouth dans tous les endroits, y compris jusqu’à l’extérieur. Et alors nous aurons bientôt le privilège de la venue de Machia’h et de l’accomplissement de la prophétie : « Car la terre sera remplie de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent le lit de l’océan. » Puisse cela être très bientôt de nos jours, mamash.