Malgré un certain nombre de représentations anciennes de la Ménorah du Temple avec des branches arrondies, notamment sur l’Arc de Titus, ‘Habad met un point d’honneur à représenter la Ménorah avec des branches droites qui s’élèvent en diagonale. Sur quoi cela se base-t-il et pourquoi insister pour qu’elle soit représentée de cette façon ?
Réponse
Pour faire court : le Rabbi de Loubavitch a insisté sur les branches droites non pas malgré ces représentations, mais précisément à cause d’elles.
Mais commençons par le début :
Bien qu’elle décrive la conception de la Ménorah de manière très détaillée, la Torah ne donne aucune indication quant à la forme de ses branches, si elles devaient être courbes ou droites. Tout ce qu’elle dit est : « Et six branches sortant de ses côtés : trois branches de la Ménorah d’un côté et trois branches de la Ménorah de l’autre côté. »1
Le Talmud ou d’autres sources anciennes ne traitent pas de la forme correcte des branches de la Ménorah. Le premier commentateur à en parler est le grand Rabbi Chlomo Its’haki, connu sous l’acronyme « Rachi » (1040-1105), qui commente les mots « sortant de ses côtés » :
De part et d’autre et en diagonale (bealakhsone), s’étirant vers le haut jusqu’au jusqu’à la hauteur de la Ménorah, à savoir de sa tige centrale. Elles sortaient de la tige centrale, l’une au-dessus de l’autre : celle du dessous étant la plus longue, celle au-dessus d’elle était plus courte qu’elle, et la plus haute était plus courte que cette dernière, car la hauteur de leur sommet était la même que celle de la tige centrale, de laquelle sortaient les six branches.2
La plupart des avis sur ce commentaire de Rachi est qu’il tient que les branches de la Ménorah étaient droites et en diagonale et exclut qu’elles fussent courbes et décrivant un arc.
Sources pour la Ménorah arrondie
Deux rabbins du XVIIe siècle, Rav Yossef Shalit ben Eliezer Riqueti dans ‘Hokhmat haMichkane3 et Rav Emmanuel Ricci dans Maassé ‘Hochev4 (plus célèbre pour son ouvrage kabbalistique Michnat ‘Hassidim), décrivent les branches de la menora comme étant arrondies.
Ils écrivent tous deux que, bien que leurs descriptions diffèrent de celle de Rachi, ils ont choisi de le faire en vertu du fait que Maïmonide (ainsi que la simple lecture du Talmud) omet le mot bealakhsone (en diagonale) lorsqu’il décrit les branches, ce qui implique apparemment qu’il pensait qu’elles étaient rondes. Cette nuance est très pertinente, comme nous le verrons.
En outre, pour soutenir l’affirmation selon laquelle les branches de la Ménorah étaient arrondies, certains ont fait référence à l’opinion de l’un des premiers commentateurs bibliques, Rabbi Avraham ibn Ezra (1092-1167), qui écrit au nom des « kadmonim »5 (les « anciens ») que les branches de la Ménorah étaient « arrondies comme une couronne ».6 Cependant, le sens le plus simple et le plus probable de cette description est que, selon Rabbi Avraham ibn Ezra, les branches entouraient la tige centrale en demi-cercle, c’est-à-dire que si l’on regardait la Ménorah d’en haut, les flammes n’était pas alignées, mais en demi-lune. Cela correspond à ce qu’écrit Rabbi Abraham Abélé Gombiner (surtout connu pour son commentaire du Choul’hane Aroukh, le Maguen Avraham) dans son commentaire du Midrash – Midrash qui semble être le « kadmonim » cité par Rabbi Avraham ibn Ezra.7
Cependant, comme le fait remarquer Rabbi Abraham Abélé, cette opinion contredit le point de vue accepté et faisant autorité de la Michna et du Talmud, selon lequel les branches de la menora étaient alignées.8 En tant que telle, cette troisième opinion (la plupart du temps rejetée) n’a pas beaucoup d’incidence sur le débat général de savoir si les branches était droites ou arrondies.
Maïmonide et le manuscrit d’Oxford
Bien que Maïmonide ne décrive pas la forme des branches dans son Michné Torah, il aborde le sujet dans un rare manuscrit de son « Commentaire de la Michna »,9 dans lequel il a dessiné à la main le schéma de la Ménorah. Dans ce dessin, les branches sont représentées comme des lignes droites depuis la tige jusqu’à la hauteur totale de la ménorah.

Pour éviter toute confusion, le fils de Maïmonide, Rabbi Abraham ben Harambam, dans son commentaire de l’Exode,10 écrit que les branches « s’étendent de la tige de la ménorah jusqu’au sommet en ligne droite (beyosher), comme l’a dessiné mon père de mémoire bénie, et non en forme d’arc comme d’autres l’ont dessiné ».
Le manuscrit de Maïmonide a été vendu à l’université d’Oxford en 1693. Bien que le rabbin Ricci, décédé en 1743, ait apparemment visité Londres au cours de ses voyages, il est très peu probable qu’il se soit rendu à Oxford, et même s’il l’avait fait, il est peu probable qu’il ait été autorisé à entrer dans la bibliothèque Bodléienne, car les Juifs ouvertement pratiquants ne furent admis à Oxford qu’en 1856. De plus, même s’il avait pu entrer, il n’aurait probablement pas trouvé le manuscrit, car les manuscrits hébraïques n’ont commencé à être catalogués qu’en 1868, et le catalogue complet ne fut publié que 18 ans plus tard, en 1886.11
Si les rabbins Ricci et Riqueti avaient vu ce manuscrit avec les illustrations dessinées à la main par Maïmonide, ils n’en auraient pas déduit que l’omission par Maïmonide du mot « en diagonale » dans la description de la forme des branches signifiait qu’elles étaient arrondies. Ils auraient conclu que, comme le Talmud, Maïmonide n’avait pas fait une omission délibérée du terme « en diagonale » ; il n’avait tout simplement pas décrit la trajectoire des branches.12
À la lumière de ceci, le Rabbi fait remarquer qu’il n’y a vraiment aucune source antérieure à Rav Ricci et Rav Riqueti qui décrit les branches de la ménorah comme étant arrondies.
L’arc de Titus
Revenons à votre question concernant l’arc de Titus et d’autres découvertes archéologiques qui décrivent une ménorah arrondie.

L’arc de Titus fut construit en l’an 81 par l’empereur Domitien, peu après la mort de son frère aîné Titus pour commémorer les victoires de celui-ci, notamment le siège et le pillage de Jérusalem quelques années auparavant. Les bas-reliefs ornant l’intérieur de l’arc comprennent deux panneaux commémorant le triomphe conjoint de Titus et de son père Vespasien. Sur l’un des reliefs figure la scène représentant la procession triomphale avec le butin du Temple de Jérusalem, y compris la ménorah sacrée.
L’arche est devenue un symbole de l’exil juif, et le pape Paul IV en a fait le lieu d’un serment annuel de soumission des Juifs.
La ménorah de l’arche est représentée avec des branches circulaires. Et c’est sur la base de cette image que la Ménorah a été représentée de façon arrondie dans d’innombrables images au cours des 2000 dernières années, y compris le symbole de ménorah de l’Israël moderne.
Si nous affirmons que les branches de la Ménorah étaient effectivement droites, pourquoi l’arc de Titus, construit quelques années seulement après la destruction et représentant le pillage de Jérusalem, représente-t-il les branches de façon arrondie ?
Le Rabbi propose un certain nombre d’explications possibles. Tout d’abord, il faut noter que le dessin de l’arche n’est pas une réplique exacte de la ménorah et qu’il s’agit d’une interprétation artistique. D’une part, la Ménorah du Temple avait des pieds qui partaient de sa base, alors que la ménorah de l’Arc de Titus n’a pas de pieds. De plus, la tige de la ménorah de l’arc de Titus a la forme d’un dragon de mer, l’une des fausses divinités adorées par les Romains et qui ne figurait certainement pas sur la Ménorah du Temple. C’est pourquoi cette gravure ne peut pas être considérée comme une source fiable et précise concernant la structure de la Ménorah, en particulier s’agissant des détails en contradiction avec les points de vue des principales autorités de la Torah.
Deuxièmement, en plus de la Ménorah officielle du Temple, il y avait dix candélabres construits par le roi Salomon. Et bien que cela soit improbable, il est possible que ces autres ménorahs aient été arrondies. Si c’était le cas, les deux seraient alors précis : Rachi et Maïmonide faisant référence à la Ménorah originale fabriquée par Moïse, et l’arc de Titus représentant l’une de ces autres ménorahs qui furent prises par les Romains lors de la destruction du Temple.
Le point de vue du Rabbi
Nous pouvons maintenant comprendre la position du Rabbi sur la représentation de la Ménorah.
Les sages du Talmud affirment que la Ménorah était un « témoignage pour tous les habitants du monde que la Présence Divine demeure au sein d’Israël ».13 Cela était dû à un certain nombre de choses, notamment au fait que la lampe occidentale miraculeuse de la Ménorah ne s’éteignait jamais. Ainsi, la Ménorah est un symbole du lien entre D.ieu et Son peuple, Israël.
C’est pour cette raison que le Rabbi a tellement insisté pour que la Ménorah ne soit pas représentée de manière à ressembler à celle de l’arc de Titus. En effet, même s’il s’agissait d’une représentation de l’une des ménorahs de Salomon, ce n’est toujours pas la Ménorah idéale. Par conséquent, toute représentation faite aujourd’hui d’une ménorah arrondie est essentiellement basée sur l’image de l’arc de Titus. Ainsi, au lieu de représenter notre proximité avec D.ieu, la ménorah arrondie symbolise tout le contraire : l’exil des Juifs et la destruction du Saint Temple par les conquérants romains !
Une grande partie de cet article est basée sur Likoutei Si’hot, vol. 21, p. 168.
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