Les événements dramatiques suivants, pratiquement inconnus de la plupart des Juifs, eurent lieu il y a 81 ans. Cette histoire a été adaptée d’un récit en hébreu publié par Asher Noa’h, fils du Rav Its’hak Noa’h, dans Si’hat Hashavoua #533 :

En 1941, l’armée allemande étendait sa toile sur l’Europe, élargissant sa portée à l’Afrique du Nord et à l’Est. La machine de mort battait son plein partout où les soldats d’Hitler mettaient le pied, et le sort des Juifs semblait scellé.

Un coup d’État militaire éclata à Bagdad au début du printemps de cette année-là, dans le but de renverser l’influence britannique dans la région. Le soulèvement fut dirigé par Rashid Ali al-Gaylani (1892-1965), un nationaliste irakien, qui agit en totale collaboration avec les Allemands et avec leur soutien.1

Cela conduisit à la guerre anglo-irakienne, au cours de laquelle les membres du gouvernement en place fuirent pour sauver leur vie. La nouvelle provoqua une grande panique dans les communautés juives d’Irak, y compris dans les villages isolés du Kurdistan, au nord.

Rashid Ali al-Gaylani lors de l’anniversaire du coup d’État irakien de 1941 à Berlin.
Rashid Ali al-Gaylani lors de l’anniversaire du coup d’État irakien de 1941 à Berlin.

Alors que Rashid Ali établissait son pouvoir, des manifestations contre les Juifs éclatèrent dans les villes irakiennes, se terminant souvent par de violentes émeutes et le pillage des maisons et des commerces juifs. Des Juifs furent emprisonnés et torturés au motif qu’ils aidaient la Grande-Bretagne pendant la guerre.

Le Rav Its’hak Noa’h (1888-1962) était le rabbin de Koy Sanjaq dans la région du Kurdistan. Outre sa connaissance magistrale du Talmud et de la loi juive, il maîtrisait également les ouvrages de la Kabbale. Devant ces événements inquiétants, il décréta une journée de jeûne et de prière dans la grande synagogue de la ville.

Le lendemain, jeunes et vieux affluèrent à la synagogue. Leurs prières étaient déchirantes, leurs gémissements saisissants. Pendant la journée, les terribles nouvelles des émeutes qui se déroulaient contre les Juifs de Bagdad, Kirkouk et Bassora n’ont fait qu’intensifier leur dévotion désespérée.

Le soir, après la fin du jeûne, les membres de la communauté se sont retirés chez eux, profondément inquiets mais espérant un miracle.

Pendant ce temps, les dirigeants de la communauté de Koy Sanjaq et des villages environnants se sont rendus chez le rabbin et l’ont supplié d’intercéder auprès du Ciel pour que le terrible décret soit annulé.

Le Rav Its’hak Noa’h répondit : « Pensez-vous que je ne fais pas tout ce qui est en mon pouvoir ? » Après une pause, il poursuivit : « Continuez à prier toute la nuit, et je ferai aussi tout ce que je peux. »

Les dirigeants retournèrent à la synagogue et continuèrent de prier et de réciter des psaumes. Le Rav Its’hak Noa’h resté chez lui et continua d’implorer les cieux. Vers minuit, il commença à se préparer à s’endormir. Il se plongea dans un mikvé pour se préparer à la pratique kabbalistique des shaalot chalom, par laquelle on demande l’assistance divine à travers un rêve. Rav Its’hak Noa’h souhaitait connaître l’avenir du soulèvement de Rashid Ali et le destin des Juifs dans le pays.

Le Rav Its’hak Noa’h
Le Rav Its’hak Noa’h

Avant l’aube, il se réveillé en sueur et les mots du Psaume 37,10 scintillèrent devant lui : « Encore un peu de temps et le méchant (racha) n’est plus là, tu regarderas à sa place et il n’y sera plus. » Le message général du verset semblait plein d’espoir, mais le rabbin souhaitait apprendre pourquoi ce verset spécifique lui était montré. Il s’enferma dans sa chambre et commença à réfléchir à la signification cachée de ce verset.

Lorsque l’heure des prières du matin arriva, un léger sourire se dessina sur le visage du Rav Its’hak Noa’h. Il fit remarquer à ses proches : « Le mot racha dans le verset est l’initiale de Rashid Ali. Cependant, je n’ai toujours pas la signification complète du verset. » Après les prières du matin, il retourna dans sa chambre et a continua de méditer.

Ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’il en sortit, le visage rayonnant et plein d’espoir. « Je pense avoir compris ce que le verset signifie dans ce contexte ! Le mot pour “un court moment”, mé’at, est un acronyme de mem tet omer, ce qui signifie que le 49e jour du Omer, la veille de Chavouot, le décret sera accompli. »

Et effectivement, le 30 mai, 48e jour du Omer, Rashid Ali et ses alliés s’enfuient en Allemagne, via l’Iran.

Cela ne signifie pas que la vie revint à la normale pour les Juifs d’Irak. Loin de là. En fait, les 1er et 2 juin, les deux jours de Chavouot, furent marqués par des émeutes anti-juives, des meurtres et des mutilations. Au bout du compte, plus de 180 Juifs innocents furent assassinés, 1 000 furent blessés et plus de 900 maisons furent détruites.

Pourtant, la menace existentielle incarnée par l’Allemagne et ses sympathisants arabes avait été éliminée avec la fuite de Rashid Ali, donnant un nouveau sens à la seconde moitié du verset : « ... tu regarderas à sa place et il n’y sera pas ».

Fosse commune des victimes du Farhoud, 1941
Fosse commune des victimes du Farhoud, 1941