L’Ukraine est attaquée depuis le matin du 24 février, et toute la population du pays est en danger, y compris les 350 000 Juifs qui y vivent. Pour de nombreux Juifs du monde entier, le nom de l’Ukraine évoque des images de l’endroit que leurs grands-parents ou leurs ancêtres ont fui à la fin des années 1800 ou au début des années 1900, ou d’une région où des millions de Juifs furent assassinés pendant la Shoah. Tout cela est bien sûr vrai, mais ce qui est également vrai, c’est que l’Ukraine a été un foyer de plus en plus accueillant pour des centaines de milliers de Juifs dont les familles ont vécu dans ses villes pendant des siècles et y sont restées même après la chute de l’Union soviétique en 1991.

Aujourd’hui, l’Ukraine s’enorgueillit d’une infrastructure juive florissante qui comprend des synagogues, des mikvés, une fabrique de matsot, des écoles juives et des yeshivas, ainsi que des organisations de services sociaux. Les premiers émissaires permanents post-Pérestroïka de ‘Habad-Loubavitch en Ukraine sont arrivés en 1990 dans ce qui était encore l’Union soviétique, et ont commencé à diriger les synagogues de Kharkov et Dnipro (nommée Dniepropetrovsk jusqu’en 2014) qui venaient d’être rendues à la communauté juive par les autorités. Leur travail s’est appuyé sur les racines profondes de ‘Habad dans la région, également fruit des décennies d’activisme juif clandestin tout au long de l’ère soviétique.

Aujourd’hui, 35 villes de toutes tailles à travers l’Ukraine sont desservies par 200 familles émissaires ‘Habad. Souvent, les rabbins ‘Habad et leurs épouses constituent la seule infrastructure juive de la ville. Ces émissaires ne se contentent pas de travailler avec les communautés juives de leur propre ville, mais s’étendent à des dizaines de petites villes et de villages autour d’eux, organisant les célébrations des fêtes juives et d’autres programmes tout au long de l’année.

Le mouvement ‘Habad gère des orphelinats juifs à Zhitomir – dont les enfants ont été évacués plus à l’ouest cette semaine –, à Odessa et à Dnipro. Les activités de ‘Habad sont loin de se limiter à l’aide humanitaire. La qualité de la vie en Ukraine s’est améliorée, tout comme la qualité de la vie juive. ‘Habad a une université juive à Odessa et a construit le plus grand centre juif du monde à Dnipro. Des restaurants casher parsèment également le pays, signalant un niveau de confort matériel et spirituel que peu auraient pu prédire il y a seulement quelques décennies.

Alors que le monde continue de prier pour la sécurité de tous ceux qui sont en danger, voici un bref aperçu des bases de la vie juive en Ukraine.

La géographie juive

L’Empire russe n’abritait pas un grand nombre de Juifs avant la première partition de la Pologne en 1772, lorsque des pans entiers de la Pologne furent annexés par ses voisins, dont la Russie. En 1790, l’impératrice Catherine II établit la Zone de Résidence, un territoire de 1 222 000 kilomètres carrés où les Juifs étaient autorisés à vivre. Ce territoire comprenait une grande partie de la Moldavie (Bessarabie), de la Biélorussie (Russie blanche) et de l’Ukraine actuelles. Les Juifs n’étaient pas autorisés à vivre à l’est des régions de Tchernigov, Poltava et Yekaterinoslav sans permis. Même à l’intérieur de la Zone, cependant, il y avait certaines villes, comme Kiev et Nikolayev, où les Juifs ne pouvaient résider qu’avec un permis de résidence.

Ces règles restèrent en vigueur jusqu’à la révolution russe de 1917. Par exemple, si Mendel Beilis fut choisi pour être la victime de l’infâme calomnie de 1911-1913 à Kiev, c’est en partie parce que, en tant que directeur d’une usine, il était l’un des seuls Juifs de la région à être autorisé à y vivre.

Selon le recensement soviétique de 1926, environ 50 % des 2,7 millions de Juifs de l’Union soviétique vivaient en Ukraine, et 87 % de ceux-ci vivaient dans de petites villes ou des villages. Cette situation commença à changer lentement au début de la période soviétique et s’accéléra lors de la famine du début des années 1930 résultant de la collectivisation forcée, lorsque les Juifs commencèrent à se diriger vers les villes pour trouver du travail et de la nourriture.

Un adolescent bénévole donne un kit de ménorah de ‘Hanouka à un Juif ukrainien âgé.
Un adolescent bénévole donne un kit de ménorah de ‘Hanouka à un Juif ukrainien âgé.

Selon le United States Holocaust Memorial Museum, avant l’invasion de l’Union soviétique par Hitler en 1941, « l’Ukraine abritait la plus grande population juive d’Europe... Bien que les chercheurs soient encore en train d’étudier l’ampleur de l’Holocauste en Ukraine, ils estiment qu’au moins un million et demi de Juifs y furent assassinés ». Les nazis, avec l’aide de collaborateurs locaux, ont rassemblé les Juifs d’Ukraine dans des ghettos locaux, mais, pour la plupart, au lieu de les déporter dans des camps, ils les ont abattus dans des forêts et des champs proches de chez eux. De tels champs de la mort parsèment toute l’Ukraine, avec des endroits comme Babi Yar, près de Kiev, où quelque 40 000 Juifs furent assassinés, parmi les plus connus.

De nombreux Juifs survivants sont rentrés chez eux après la guerre, et les traces de l’ancienne Zone de Résidence étaient encore bien visibles dans les années 1980 et au début des années 1990. À l’époque, les petites villes historiquement juives d’Ukraine occidentale possédaient encore des synagogues et un nombre important de Juifs natifs de la région et parlant le yiddish, mais leur densité diminuait à mesure que l’on se déplaçait vers l’est. Lorsque le Centre ‘Habad de Zhitomir fut fondé au début des années 1990 par le Rav Shlomo et Esther Wilhelm, l’une de leurs responsabilités était d’atteindre les dizaines de petites villes juives où vivaient encore de très nombreux Juifs âgés.

Aujourd’hui encore, bien que cette génération ait pratiquement disparu, l’héritage de la Zone demeure. Dans la région de Sumy, traversée par la frontière de la Zone, une ville peut avoir des centaines d’années d’histoire juive et une communauté active, puis à trente minutes de voiture vers l’est, on se retrouve dans une ville avec une histoire juive très éparse et une population juive qui est arrivée principalement pendant l’ère soviétique. Cela n’a pas empêché les émissaires ‘Habad Rav Yechiel Shlomo et Rochi Levitansky, directeurs du centre ‘Habad de Sumy, une petite ville près de la frontière avec la Russie qui a connu de violents combats ces derniers jours, d’établir une présence juive permanente dans la ville en 2004 et de travailler avec ses quelques 3 000 Juifs, dont beaucoup ne savent même pas qu’ils sont juifs.

À Sumy, en Ukraine, une petite ville près de la frontière russe, le rabbin
Ye’hiel Shlomo Levitansky, ci-dessus, est au service d’une communauté juive
d’environ 3000 personnes.
À Sumy, en Ukraine, une petite ville près de la frontière russe, le rabbin Ye’hiel Shlomo Levitansky, ci-dessus, est au service d’une communauté juive d’environ 3000 personnes.

Le berceau du mouvement ‘hassidique

Les régions historiques de Volhynie et de Podolie, à l’ouest de Kiev, ont été le berceau du mouvement ‘hassidique. De violents pogroms touchaient depuis longtemps les Juifs de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine, mais aucun ne fut pire que le violent soulèvement paysan dirigé par Bogdan Chmielnicki en 1648-49 au cours duquel des dizaines de milliers de Juifs furent massacrés, laissant les Juifs de la région dans le désespoir. C’est à la suite de ces attaques que Rabbi Israël Baal Chem Tov, le fondateur du mouvement ‘hassidique qui naquit dans la région en 1698, commença à révéler ses enseignements afin de relever le moral d’une nation brisée.

Les enseignements et le mouvement du Baal Chem Tov se répandirent dans la région, devenant rapidement le courant dominant de la vie juive. Il quitta ce monde en 1760 et est enterré dans la ville de Mezhibozh (Medjybij), à environ 200 miles à l’ouest de Kiev. Le Baal Chem Tov eut pour succésseur Rabbi Dovber de Mézeritch (?-1772), dont les étudiants se sont répandus dans toute l’Europe orientale et centrale pour répandre le message d’un judaïsme joyeux et d’un D.ieu aimant. L’impact spirituel du Maguid peut être observé dans le monde entier, mais sa vie physique peut être rencontrée dans l’Ukraine moderne : il fut enterré dans le village d’Anipoli (Hanopil), également en Ukraine occidentale. Il y a peu de temps, le rabbin ‘Habad de Rovna (Rivne), Rav Chnéor Schneersohn, découvrit que la structure de la synagogue à partir de laquelle lui et sa femme mènent la vie juive à Rovna était en fait la synagogue du Maguid lui-même.

L’élève du Maguid et le « petit-fils » spirituel du Baal Chem Tov était Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, le fondateur du mouvement ‘Habad, qui approfondit les enseignements de ses maîtres en développant un cadre intellectuel complet pour explorer l’unité de D.ieu telle qu’elle se manifeste dans le monde et dans l’homme. Bien que Rabbi Chnéour Zalman (connu également sous le nom d’Admour Hazakène) ait vécu et enseigné dans les villes de Liozhna et Lyadi en Russie blanche, il passa un an à Mogilov-Podolsk en Ukraine, et fut enterré dans la ville ukrainienne de Haditch, dans ce qui est aujourd’hui la région de Poltava, à l’est de Kiev.

Son fils et successeur, Rabbi Dovber Chnéouri (l’Admour Haemtsahi) fonda une série de colonies agricoles juives dans la région de Kherson en Ukraine, ce qui permit aux Juifs de quitter la pauvreté des villes et de gagner leur vie grâce au fruit de leur travail. Rabbi Dovber décéda à Niezhin, au nord-est de Kiev, en 1827, et il y fut enterré.

Sa tombe et celle de son père, ainsi que celles du Baal Chem Tov, du Maguid et de dizaines d’autres maîtres ‘hassidiques (notamment le lieu de repos de Rabbi Na’hman de Breslev dans la ville d’Ouman et de Rabbi Levi Its’hak de Berditchev à Berditchev), attirent chaque année des milliers de pèlerins en Ukraine.

Les enfants de l’orphelinat Mishpa’ha à Odessa.
Les enfants de l’orphelinat Mishpa’ha à Odessa.

Le Rabbi

Le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie, successeur à la septième génération de Rabbi Chnéour Zalman, naquit en 1902 à Nikolaev, en Ukraine (dans l’Empire russe de l’époque), où son grand-père était rabbin. En 1908, le père du Rabbi, Rabbi Levi Its’hak Schneerson, fut nommé rabbin de Yekaterinoslav (appelée aujourd’hui Dnipro) où il dirigea la communauté juive pendant plus de trois décennies.

À l’époque de l’élection de Rabbi Levi Its’hak, Yekaterinoslav comptait de nombreux Juifs religieux, mais aussi un important contingent de Juifs sionistes et laïques, dont certains se sont d’abord opposés à sa nomination, pensant qu’il serait intolérant à leur égard. Ils ont rapidement compris qu’ils s’étaient trompés, et Rabbi Levi Its’hak et sa femme, la mère du Rabbi, la Rabbanit ‘Hanna, sont devenus des leaders appréciés de la communauté, leur maison étant ouverte à tous, quels que soient leurs opinions politiques ou leur niveau d’observance. Notamment, lorsque les Juifs furent contraints par le gouvernement tsariste de fuir les régions proches des lignes de front pendant la Première Guerre mondiale, Rabbi Levi Its’hak et la Rabbanit ‘Hanna ont mené un effort d’aide massif pour les milliers de réfugiés juifs qui affluaient dans la région.

« La maison du Rav de Yekaterinoslav, Rabbi Levi Its’hak Schneerson, était le point de répit pour les Juifs souffrants de Pologne, de Lituanie et des États baltes... » écrira plus tard le journaliste Aharon Friedenthal. « Pendant ces jours de tempête, la résidence du rabbin donnait l’impression d’une ruche. Les Juifs entraient et sortaient continuellement. Certains cherchaient de l’aide et du soutien, du pain et des vêtements pour leur famille, tandis que d’autres venaient chercher des médicaments et de l’aide pour les réfugiés malades et épuisés... Le rabbin et la rabbanit, pendant ces jours horribles, ne savaient rien de leur propre vie. Tout était engagé, consacré à l’effort de sauvetage. »

Après l’arrestation, l’emprisonnement et l’expulsion de l’Union soviétique du sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn de mémoire bénie, en 1927, Rabbi Levi Its’hak devint la principale figure rabbinique en Ukraine et dans toute l’Union soviétique. En avril 1939, après avoir mené avec succès la fabrication de la matsa casher pour la fête de Pessa’h pour sa communauté et pour toute la région, Rabbi Levi Its’hak fut arrêté par les autorités soviétiques et condamné à cinq ans de dur exil au Kazakhstan.

Sa stature était telle qu’en 1943, lorsque les communistes cherchèrent à pourvoir le poste vacant de grand rabbin de Moscou pour apaiser leurs alliés occidentaux – le précédent grand rabbin, Rav Shmarya Leib Medalia, avait été arrêté et fusillé par Staline en 1938 –, ils ont brièvement envisagé de nommer Rabbi Levi Its’hak avant de rejeter l’idée parce qu’ils ne pouvaient pas la donner à un Schneerson. Rabbi Levi Its’hak décéda en exil au Kazakhstan en 1944.

Aujourd’hui, la ville de Dnipro où officiait Rabbi Levi Its’hak abrite le « Menorah Center » de 50 000 mètres carrés, le plus grand centre juif du monde. Le centre ‘Habad de Dnipro fut fondé en 1990 par le Rav Chmouel et ‘Hani Kaminetzki, qui servent depuis lors les 50 000 Juifs de la ville. Le Menorah Center, qui jouxte la synagogue Golden Rose, abrite des restaurants casher, un supermarché casher, un magasin de judaïca, un fleuriste et d’autres magasins.

Un escalier en granit noir fait entrer les visiteurs dans un musée de la Shoah de deux étages. Le complexe comprend deux hôtels, une salle de concert, deux salles de congrès et des bureaux, dont l’un abrite le consulat israélien de la ville. Bien que le Menorah Center soit massif et rutilant, il n’est que l’une des dizaines d’adresses d’infrastructures juives à Dnipro, qui comprend également la maison de retraite Beit Baruch et un campus éducatif.

Quelque 700 enfants fréquentent l’école juive « Ohr Avner – Levi Its’hak Schneerson » de ‘Habad, ainsi que sa yeshiva et son école pour filles affiliées. L’ancienne synagogue de Rabbi Levi Its’hak Schneerson, située dans la rue Mironova, sert désormais d’orphelinat pour les garçons juifs.

Le rabbin Moshé Moskovitz lors de la célébration de ‘Hanouka à Kharkov.
Le rabbin Moshé Moskovitz lors de la célébration de ‘Hanouka à Kharkov.

Le présent et l’avenir

L’Ukraine a un sombre passé antisémite, qui ne s’est pas terminé avec les pogroms, mais s’est prolongé jusqu’à la Shoah, lorsque des millions de Juifs furent tués par les nazis avec l’aide de collaborateurs locaux. Si l’Ukraine partage, dans une certaine mesure, ce sinistre héritage avec tous les pays d’Europe de l’Est (et la plupart des pays d’Europe occidentale, d’ailleurs), il n’en reste pas moins vrai que la terre ukrainienne est saturée du sang de Juifs innocents.

Même s’il est vital de se souvenir du passé et d’en tirer des leçons, il est également important de regarder vers l’avenir. L’Ukraine a beaucoup évolué au fil des ans. Au cours des 30 dernières années, elle est devenue de plus en plus moderne et tolérante. Nikolaev et Dnipro ont toutes deux nommé des rues en l’honneur du Rabbi. Le président de l’Ukraine, le comédien Volodymyr Zelensky, est juif, et l’une de ses premières actions après avoir remporté l’élection en 2019 fut de rencontrer une délégation des six principaux rabbins du pays.

Aujourd’hui, l’Ukraine est une maison accueillante pour les Juifs qui ont choisi non seulement d’y rester, mais d’y fixer plus profondément leurs racines et d’y construire une vie juive active. Alors que les bombes continuent de pleuvoir et que les mortiers frappent au hasard dans tout le pays, obligeant les hommes, les femmes et les enfants à se cacher dans les sous-sols, les stations de métro et les synagogues (la Choral Synagogue du centre ‘Habad de Kharkov sert d’abri à au moins 50 Juifs locaux), prions pour que la paix et la tranquillité reviennent dans cette région qui a connu trop de chagrin.

Prenez un moment pour réciter quelques psaumes, faites une mitsva et faites un don à la charité pour soutenir les Juifs d’Ukraine et pour le bien de toute personne en danger.

Le Fonds de secours aux Juifs d’Ukraine a été créé pour aider les communautés juives d’Ukraine touchées par la guerre.