J’ai un débat avec un ami. Il a un bon emploi dans une grande entreprise, mais il ne leur a pas dit qu’il est juif. Il pense que son patron est antisémite et qu’en cachant sa judéité, il peut s’en sortir. Par exemple, le vendredi après-midi, les employés sortent tous pour boire un verre et lui, il part tôt. Il dit que c’est parce qu’il ne boit pas d’alcool, alors ils le laissent tranquille. S’il avait dit que c’était pour le Chabbat, ils ne l’auraient pas accepté. Je pense que c’est mal de cacher qui on est juste pour garder son travail. N’êtes-vous pas d’accord ?

Réponse :

En tant que rabbin, je n’ai jamais eu à cacher ma judéité pour garder mon emploi. Cela ne fonctionnerait probablement pas très bien.

Mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que fait votre ami non plus. Peut-être cache-t-il sa judéité non pas pour garder son emploi, mais pour garder sa judéité. Il y a peut-être même un illustre précédent à cela.

Esther est l’héroïne de l’histoire de Pourim. C’était une bonne fille juive qui fut prise de force comme reine par le tyran perse Assuérus. Son cousin Mordekhaï, grand rabbin de son époque, lui ordonna de ne dire à personne dans le palais qu’elle était juive.

Pourquoi lui dit-il cela ?

Certains suggèrent que Mordekhaï voulait qu’Esther cache sa judéité pour protéger sa position de reine. Mais cela ne correspond pas à l’histoire. Esther a tout fait pour éviter d’épouser ce piteux dictateur païen. Si le fait de révéler qu’elle était juive l’empêchait d’être reine, ça aurait été une bonne nouvelle, pas une mauvaise.

Mais Mordekhaï savait qu’elle ne serait jamais autorisée à pratiquer ouvertement le judaïsme au palais. Tant que personne ne savait qu’elle était juive, elle pouvait subrepticement pratiquer sa religion et personne ne le remarquerait.

Esther ne pouvait pas demander qu’on ne lui serve que de la nourriture casher. Elle prétendit donc qu’elle suivait un nouveau régime radical et ne mangeait que des graines et des haricots. Elle pouvait s’en sortir. Comme elle ne pouvait pas être vue en train d’observer le Chabbat, elle demanda que sept servantes différentes la servent chaque jour de la semaine. Ainsi, elle pouvait observer le jour du repos sans que personne ne remarque que ses habitudes étaient différentes d’un jour à l’autre. Ses servantes de la semaine n’étaient jamais là pour voir qu’elle ne travaillait pas le jour du Chabbat, et sa servante du Chabbat, qui ne la voyait que ce jour-là, pensait qu’elle n’était qu’une princesse gâtée qui ne levait jamais le petit doigt.

Esther réussit à observer le judaïsme au nez et à la barbe de ceux qui ne l’auraient pas toléré. Elle constitue un précédent pour tous ces Juifs qui, à travers les âges, furent contraints de cacher leur identité afin de la préserver. Votre ami se trouve peut-être dans la même situation. Il serait facile de lui dire qu’il devrait soit dire la vérité, soit trouver un autre emploi. Mais peut-être que, comme Esther, il n’a pas ce choix.

En même temps, Esther nous apprend que cette mascarade ne peut pas durer éternellement. Lorsque le roi Assuérus signa un décret visant à anéantir le peuple juif, ce fut le signal pour Esther. Mordekhaï lui dit : « C’est peut-être juste pour cela que tu es devenue reine, pour sauver ton peuple ! » Elle ne pouvait plus se cacher. Elle enleva son masque et révéla sa véritable identité – un acte de bravoure unique qui sauva la nation juive.

Il arrive un moment où un Juif doit dire ouvertement et fièrement qui il est. Ce moment viendra aussi pour votre ami. Il peut être capable de voler sous le radar pendant un certain temps. Et tant qu’il reste fidèle à ce qu’il est, il est préférable qu’il garde son identité pour lui.

Mais il y aura un moment où quelqu’un fera une remarque désobligeante sur les Juifs, où un candidat à un emploi sera rejeté simplement parce qu’il est juif, ou encore où ses collègues de travail mépriseront Israël pour ses soi-disant crimes. À ce moment-là, garder le silence reviendrait à ne pas être fidèle à ce qu’il est. C’est alors qu’il fera ce qu’Esther a fait. Il dira : « Je suis juif, et je défendrai mon peuple. » C’est peut-être pour ce moment-là qu’il s’est retrouvé à ce poste.

Sources :

Ibn Ezra, Esther 2,9.

Pirkei deRabbi Eliezer ch. 49.

Meguila 13a.

R. Yonatan Eibeschutz, Yaarot Devash 2:2.