“Et s’il y avait un D.ieu?”

Lorsque Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, appelé l’Alter Rebbé en yiddish ou l’Admour Hazakène en hébreu (1745-1812), commença à enseigner la nouvelle voie du ‘hassidisme ‘Habad, il attira à lui différentes sortes d’individus. Certains sincères et d’autres moins. Ces derniers étaient attirés par la nouvelle discipline intellectuelle introduite par le Rabbi, mais n’étaient pas aussi intéressés à faire les efforts nécessaires pour intérioriser les leçons dans le but de s’améliorer.

L’un de ces jeunes gens était un homme d’affaires du nom de Chlomo Feigin. Bien qu’il fût brillant et qu’il apprécia le défi intellectuel que représentaient les enseignements de l’Admour Hazakène, son cœur n’y était malheureusement pas.

Il arriva un jour que Chlomo dut faire un voyage d’affaires à Leipzig. Avant son départ, l’Admour Hazakène le convoqua. À la surprise de Chlomo, le Rabbi voulait connaître son itinéraire de voyage. Lorsqu’il apprit qu’il allait passer par la ville de Karlin, il lui demanda de rendre visite à son collègue, le saint Rabbi Chlomo de Karlin, et de lui transmettre ses salutations. Chlomo promit de répondre à la demande du Rabbi.

En arrivant à la maison de Rabbi Chlomo de Karlin, Chlomo Feigin fut conduit à la salle d’attente, directement adjacente au bureau de Rabbi Chlomo. Pendant qu’il attendait, il entendit Rabbi Chlomo faire les cent pas à l’intérieur. Soudain, la porte du bureau s’ouvrit et Rabbi Chlomo sortit et se mit à faire les cent pas dans la salle d’attente. Tout à coup, Rabbi Chlomo s’exclama bruyamment : « Jeune homme, jeune homme, que se passera-t-il si, en effet, il y a un D.ieu dans ce monde ? »

Rabbi Chlomo retourna alors dans son bureau. Chlomo Feigin, hypnotisé par cette étrange scène, continua d’attendre.

Quelques minutes s’écoulèrent. Les pas de Rabbi Chlomo dans son bureau pouvaient de nouveau s’entendre de la salle d’attente. De nouveau, la porte s’ouvrit d’un coup. Rabbi Chlomo sortit. De nouveau, il fit les cent pas et s’exclama : « Jeune homme, jeune homme, que se passera-t-il si, en effet, il y a un D.ieu dans ce monde ?! » Lorsque cette scène se répéta une troisième fois, Chlomo Feigin réalisa que ce devait être la raison pour laquelle l’Admour Hazakène lui avait demandé de rendre visite à Rabbi Chlomo de Karlin. Il devait être témoin de cette scène. Il partit et reprit son voyage vers Leipzig.

Quelque temps plus tard, le bien-être spirituel de Chlomo Feigin se détériora. Il finit par succomber à la promesse de la grandeur et du pouvoir et abandonna sa foi. Très doué, il gravit rapidement les échelons du succès jusqu’à ce qu’il soit nommé à un poste élevé dans le gouvernement du Tsar.

D’autres années passèrent. L’Admour Hazakène s’en fut vers son repos éternel. Le gouvernement décida de construire une autoroute qui traverserait tout le pays. Au grand dam de la communauté ‘hassidique, le tracé de la route proposé passait directement par l’endroit de la sainte sépulture de l’Admour Hazakène. Les ‘hassidim décidèrent d’user de toute leur influence pour en faire changer le tracé. Ils se renseignèrent et il s’avéra que le responsable de la route était le Juif apostat Chlomo Feigin. Les ‘hassidim étaient très inquiets. Un ancien collègue devenu étranger, un homme comme Chlomo Feigin, serait-il sympathique à cette cause ?

On demanda au vieux ‘hassid Reb Moshé Vilenker, qui, des années auparavant, avait passé du temps avec Chlomo à la cour de l’Admour Hazakène, d’intervenir. Un rendez-vous fut fixé. Le vieux Reb Moshé s’assit avec Chlomo et lui expliqua la situation. Sans hésiter, Chlomo promit de modifier le tracé de la route. Mais il avait une demande à faire à Reb Moshé. Pourraient-ils s’asseoir ensemble ce soir-là et bavarder comme au bon vieux temps ? Reb Moshé accepta.

Au cours de leur discussion, Chlomo confessa quelque chose de très personnel : « Tu vois tout mon succès, toute ma richesse, tout mon pouvoir ? Je n’arrive pas à en profiter. J’entends constamment les mots de Rabbi Chlomo de Karlin résonner dans ma tête : « Jeune homme, jeune homme, que se passera-t-il si, en effet, il y a un D.ieu dans ce monde ? »