Au printemps 1992, cela faisait exactement un an que notre famille était sur la voie de la pratique de la Torah, même si nous ne faisions pas encore Chabbat et ne mangions pas encore casher.

Notre fille, Jen, entamait le deuxième semestre de sa deuxième année à l’université de Binghamton. Elle avait acheté une Jeep d’occasion avec l’argent qu’elle avait gagné dans son job d’été, avec ces pneus surdimensionnés qu’elle adorait. Jen avait prévu de rentrer seule à l’université après les vacances de décembre, mais en père protecteur typique que j’étais, j’ai pensé qu’il valait mieux que je l’accompagne, que je l’aide à aménager sa chambre et que je prenne un car pour rentrer.

Elle voulait faire le trajet un samedi afin de pouvoir aménager sa chambre le dimanche et être prête à commencer les cours le lundi. Le dilemme était de savoir s’il fallait aller à la synagogue puis prendre la route, ou se mettre en route dès le matin. J’ai choisi la seconde solution. Si nous attendions la fin de l’office pour partir, je me suis dit que je ne serais pas de retour à la maison avant très tard dans la nuit.

Nous nous sommes mis en route et avons fait un arrêt à mi-chemin de notre destination. Une demi-heure plus tard, des bruits suspects ont commencé à se faire entendre. Le moteur s’est mis à tousser, puis à dégager de la fumée. Il n’y avait aucune station-service en vue, alors j’ai quitté la route principale et suivi un panneau indiquant la direction d’une localité du nom de Fishs Eddy. Le moteur était mort, il faisait froid et nous étions perdus dans la campagne du nord de l’État de New York.

Nous ne connaissions personne dans cette région. De toute évidence, le coin était désert. Nous étions seuls, sans plan B. (N’oubliez pas que c’était avant les téléphones portables, Waze ou Internet.)

Nous n’avions d’autre choix que d’attendre qu’une voiture passe sur cette route étroite et isolée. Mais étant une jeune femme de foi, ma fille s’est tournée vers moi et m’a dit : « Je me sens en sécurité parce que je suis avec toi, et grâce à notre bienfaisance et à notre gentillesse, je sais que les choses vont s’arranger. »

Après nous être blottis dans la Jeep glaciale, avec pour seule couverture le toit en toile et sans moteur pour générer de la chaleur (sans parler de la réalité décevante pour Jen que, selon toute probabilité, sa Jeep était destinée à la casse), nous avons finalement vu une voiture approcher au loin. Jen a dit : « Quoi que tu fasses, ne me laisse pas seule. » C’est dire à quel point nous avions peur. Je pouvais voir ma chère fille lutter pour garder son calme.

Heureusement, les occupants de la voiture à qui j’avais fait signe se sont avérés être un couple de personnes âgées (avec un petit chien) qui étaient prêts à nous aider. Nous leur avons demandé s’il y avait une station-service à proximité où nous pourrions faire remorquer la voiture et peut-être même la faire réparer.

Ils nous ont conduits chez un mécanicien qui a accepté de remorquer la voiture et de jeter un œil au moteur. L’heure tournait, et Jen voulait désespérément arriver à Binghamton pour s’installer et être prête pour les cours de lundi. Mais nous n’avions pas le choix ; il semblait que D.ieu avait d’autres plans. Le mécanicien nous a ramenés à la voiture pour récupérer nos affaires et a commencé à la remorquer jusqu’à son atelier. À ce moment-là, il était déjà tard dans la journée. Mon projet d’arriver tôt était à l’eau.

Le mécanicien nous a gentiment emmenés dans un restaurant local où nous avons pu nous réchauffer autour d’une tasse de thé et reprendre nos esprits. Le restaurant était confortable, plein de gens du coin qui se réchauffaient et appréciaient un repas copieux. Il y avait un téléphone public sur le mur et Jen a commencé à appeler des amis pour voir s’ils pouvaient venir nous chercher et nous amener à bon port.

Alors que Jen était occupée à élaborer des plans d’urgence, un étranger est apparu à notre table. De toute évidence, il avait entendu la conversation incertaine de Jen et avait compris la situation. Il nous a interrompus et s’est présenté comme étant « le seul Juif de la ville et un chauffeur de taxi ».

Comment savait-il que nous étions juifs ? Comment se fait-il que nous soyons retrouvés à ce restaurant au même moment ?

Miraculeusement, il a accepté de nous emmener à Binghamton et ne nous a fait payer qu’une somme minime. Lorsque nous sommes arrivés à l’université, il était tard, et Jen et moi avons travaillé ensemble pour remettre sa chambre en état et la préparer pour le second semestre.

Malgré tous mes grands projets de ne pas aller à la synagogue et de ne pas respecter le Chabbat afin de gagner le plus de temps possible, il m’était devenu évident qu’à aucun moment je n’avais eu le contrôle de la situation. D.ieu me l’avait bien fait comprendre, comme Il le fait toujours. Mais dans Sa bonté, Il nous a envoyé des messagers et des aides pour nous permettre de poursuivre notre chemin confortablement.

Ce jour-là fut pour moi une leçon en matière d’observance de la Torah – un jour que je ne peux pas oublier, car c’est la toute dernière fois que j’ai conduit le Chabbat.