Cher Rabbin Freeman :

Il y a une citation du célèbre naturaliste Henry Beston qui vit dans mon cœur. Mais D.ieu aussi, et pourtant D.ieu et Henry Beston semblent être en désaccord.

La citation est : « Nous les traitons avec condescendance pour leur incomplétude, pour leur destin tragique d’avoir pris une forme si inférieure à la nôtre. Et là, nous nous trompons, et nous nous trompons beaucoup. Car l’animal ne doit pas être mesuré en fonction de l’homme. Dans un monde plus ancien et plus complet que le nôtre, ils se meuvent finis et complets, dotés d’extensions des sens que nous avons perdues ou jamais atteintes, vivant de voix que nous n’entendrons jamais. Ce ne sont pas des frères, ce ne sont pas des subalternes ; ce sont d’autres nations, prises avec nous dans le filet de la vie et du temps, prisonnières avec nous de la splendeur et du labeur de la terre. »

Notre Torah tolère, voire encourage, que nous prenions la vie des animaux et que nous mangions leur chair. Elle prescrit même des sacrifices d’animaux à D.ieu. Si l’on croit que les paroles d’Henry Beston sont vraies, cela irait-il à l’encontre de notre foi ?

Susan G.

Tzvi Freeman : Il y a beaucoup de vérité dans cette citation, mais seulement lorsqu’elle est lue dans un contexte très différent de celui que l’auteur avait initialement prévu. Et pour ce faire, il faut très bien connaître ce contexte. Il faut comprendre la vision de la Torah sur la vie, et le but de la vie, et la place que chacune des créations de D.ieu occupe dans ce but...

Susan : Comment la citation serait-elle lue dans ce contexte différent dont vous parlez ?

Nous traitons les animaux avec condescendance, c’est indiscutable. Et nous sommes trop souvent cruels envers eux. De l’homme, j’attends le bien et le mal. De D.ieu, je n’attendais, au passé, que du bien. Jusqu’à ce que, il y a très longtemps, j’apprenne l’existence des sacrifices d’animaux. D.ieu les veut. Il se fiche de la peur, de l’abattage et du sang des animaux innocents sur Son autel. Je suis heureux que ce temple soit détruit, et je redoute la pensée qu’un jour, il sera reconstruit. Imaginez, un endroit réservé à la peur, à la douleur, au massacre – et cela dans un temple !

(Je ne peux m’empêcher de me demander, M. le Rabbin, si vous souriez en ce moment, comme un adulte sourit souvent à un enfant lorsque celui-ci prend au sérieux des choses qui ne sont pas sérieuses pour « les grands ». C’est un sourire que je connais bien, et qui ne m’ouvre pas vraiment à l’étude.

(Ou peut-être que vous froncez les sourcils à cause de la façon dont j’ai parlé du Temple... Je suis également habituée à ces froncements de sourcils.)

J’ai donc été éloigné de D.ieu pendant très longtemps. En même temps, je n’ai jamais perdu mon désir ardent pour Lui. Mon désir d’un D.ieu qui aime chacune de Ses créatures, et qui ne voudrait pas qu’on leur inflige de la douleur. Pas même un instant de douleur (ou de peur), si cela peut être évité.

Tzvi Freeman : Revenons un peu en arrière : comment se fait-il que vous étiez si éprise de D.ieu jusqu’à ce que vous découvriez les sacrifices du Temple ? Ne saviez-vous pas que les lions mangent des zèbres, que les guépards mangent des antilopes, que les tigres mangent tout ce qu’ils peuvent tuer ? Et le plus souvent, les victimes sont les jeunes sans défense, les plus vieux et les malades. Alors qui a créé ces créatures et cet ordre de la nature ? Qu’est-ce qui rend le sacrifice du temple plus cruel ?

En vérité, la cruauté de la jungle existe seulement à nos yeux. Pour les animaux, elle n’existe pas. Comme la grenouille dit au roi David (Midrash, Perek Chira) : « J’ai une mitsva plus grande que n’importe laquelle des vôtres. Car il y a un oiseau qui vit près du marais et qui a faim. Et je sacrifie ma vie pour le nourrir. »

Pour les animaux, être mangé est seulement être transformé, passer d’un être à un autre dans un cycle sans fin de métamorphoses. Les feuilles deviennent un cerf, le cerf un couguar – ou un être humain, le couguar ou l’humain retourne à la poussière et nourrit les arbres qui produisent des feuilles. Et en cela réside leur réalisation de soi, leur mitsva de vie.

La Torah ajoute une autre dimension à l’ordre de la nature, une dimension surnaturelle : l’herbe devient une vache, la vache devient un humain et l’humain accomplit un acte divin et est avalé dans le monde du Divin. Mieux encore, la vache pourrait entrer directement dans le monde du Divin, avalée par le feu de l’autel et consumée par les anges d’en haut qui sont nourris, selon la Kabbale, par les sacrifices du Temple. Ensuite ces êtres angéliques répondent en prodiguant vie et sainteté à toutes les vaches dans ce monde ici-bas.

Néanmoins, Susan, votre indignation est pertinente. Et c’est une partie du paradoxe que constitue l’existence d’un Juif : nous aimons D.ieu et nous sommes indignés par Lui en même temps. Et c’est ce qu’Il attend de nous.

Il faut une histoire pour expliquer cela :

Talmud de Babylone, Baba Metsia 85a : Rabbi Yehouda HaNassi était un tsadik parfait, pourtant il eut de grandes souffrances. Comment cela commença-t-il ? Par l’un de ses actes. Il traversait la place du marché lorsqu’un veau que l’on conduisait à l’abattoir courut vers lui et se cacha sous son manteau. Il a dit au veau : « Va, tu as été créé pour cela. » C’est là que sa souffrance commença.

Et elle se termina par un autre acte. Sa servante balayait le sol et trouva les petits d’une belette nichés sous les planches. Elle commença à les balayer, quand il l’arrêta. « Il est écrit, dit-il, que Sa compassion s’étend à toutes Ses œuvres. » C’est alors que sa souffrance cessa.

Nous sommes censés ne pas comprendre, car ne pas comprendre est ce qui nous permet d’avoir de la compassion.

Le Baal Chem Tov, pendant les années où il était un mystique caché, gagnait sa vie en abattant des poulets et des bœufs pour les communautés juives avant les fêtes. Lorsqu’il quitta cette occupation, un nouvel abatteur prit sa place. Un jour, le domestique non-juif d’un des villageois juifs apporta un poulet au nouvel abatteur. Alors que le nouvel abatteur commençait à aiguiser son couteau, le non-juif l’observa et se mit à rire. « Tu mouilles ton couteau avec de l’eau avant de l’aiguiser ! », s’exclama-t-il. « Et ensuite tu commences à couper ? »

– Et comment faire autrement ?, demanda l’abatteur.

– Yisroelik (le Baal Chem Tov) pleurait jusqu’à ce qu’il ait assez de larmes pour mouiller le couteau. Puis il pleurait en aiguisant le couteau. Ce n’est qu’alors qu’il coupait !

La Torah nous ordonne de ne pas causer de douleur inutile à tout être vivant. Aucune distinction n’est faite, que cet être vivant soit une vache, un lézard ou une mouche. Rabbi Chalom Dovber de Loubavitch réprimanda un jour son fils pour avoir déchiré une feuille d’arbre, en disant : « Qu’est-ce qui te fait penser que le “moi” de la feuille est inférieur à ton propre “moi” ? »

Même lorsqu’il est jugé nécessaire de consommer la vie d’une autre créature, il y a des règles. Une personne à l’esprit vide, enseignaient les sages, n’a pas le droit de manger de la viande. Ils ont également dit de ne jamais manger de viande par faim, il faut d’abord satisfaire sa faim avec du pain. Une personne qui mange de la viande uniquement pour son palais et son estomac se dégrade et dégrade l’animal. Mais s’il s’agit d’une « alimentation consciente » – manger dans le but d’exploiter les énergies de l’animal pour faire le bien, manger pour élever l’animal dans un nouveau domaine d’existence, manger pour donner au moins autant à l’animal que celui-ci nous donne – alors cela devient un moyen de se connecter au Divin et d’élever notre univers.

Quant aux anges et à leur rôle dans l’affaire, « Maintenant que le Temple est détruit, dit le Talmud, la table de chaque homme lui fait expiation ». Votre table est un autel. Les anges sont invités. Mangez avec humilité, avec compassion et en pleine conscience. Remplissez votre rôle dans le cycle divin de la vie.