Rabbi Abraham ben Méir Ibn Ezra (généralement appelé simplement « Ibn Ezra »), un véritable géant de l’esprit, n’était peut-être pas un aussi grand poète que Rabbi Yehouda Halevi, mais en tant qu’homme d’érudition de la Torah, d’art et de connaissances profanes, il surpassait tous ses contemporains, et son influence sur l’étude et l’écriture en Italie, dans le sud de la France et en Angleterre fut plus grande que celle de toute autre personnalité juive.

Sa vie pleine d’aventures, presque légendaire, commença à Tudela, en Espagne, où il naquit vers l’an 4852 (1092). Il possédait tant d’excellents dons et une telle richesse de connaissances universelles qu’il est difficile d’imaginer sa maîtrise du savoir, de la poésie, de la philosophie, de la grammaire juive, de l’astronomie ou des mathématiques. Il passa la première moitié de sa vie dans les différentes villes de la partie arabe de l’Espagne, toujours en proie à des difficultés financières et à de grands besoins. Dans l’un de ses poèmes, il se moque de sa mauvaise fortune et se plaint que « s’il vendait des bougies, le soleil ne se coucherait jamais ; s’il vendait des linceuls, personne ne mourrait jamais ». La vie lui était quelque peu facilitée par la générosité de ses admirateurs, qui appréciaient l’élégance et le style de ses poèmes et autres écrits.

Rabbi Abraham Ibn Ezra passa la seconde moitié de sa vie à voyager de pays en pays, étudiant les peuples et les pays, les langues et les cultures. À peu près à la même époque que son grand contemporain, Rabbi Yehouda Halevi, il partit pour l’Orient avec son fils Isaac. Il visita l’Afrique, l’Égypte et la Terre sainte, où il apprit la Kabbale, la partie la plus profonde et la plus mystérieuse de l’étude de la Torah, auprès des sages de Safed et de Tibériade. Puis il se rendit à Babylone et en Perse, où le calife de Bagdad avait permis aux Juifs d’avoir leur propre prince. Enfin, il retourna en Italie où il vécut à Rome, Salerne, Lucques et Mantoue. C’est là qu’il écrivit la plupart de ses grands commentaires de la Bible, ainsi que ses livres sur la grammaire et la philosophie juives. Il écrivit des poèmes en l’honneur de ses amis et passa une grande partie de son temps à enseigner à un grand nombre de disciples qui se réunissaient autour de lui.

Ibn Ezra ne resta pas en Italie. Il s’installa en Provence, dans le sud de la France, où il fut reçu avec beaucoup d’honneur et de respect. Car c’est là que se rencontraient les deux grandes lignées de la tradition juive, les Séfarades d’Espagne et les Ashkénazes du nord de la France et d’Allemagne. Après trois années d’études tranquilles à Béziers, Rabbi Abraham Ibn Ezra reprit son bâton de vagabond et traversa la Manche pour se rendre à Londres où, à l’époque, une riche communauté de Juifs enthousiastes était impatiente de compter parmi eux ce grand représentant de l’enseignement et de l’art juifs. Pourtant, avant sa mort, Rabbi Abraham voulut retourner dans son ancienne maison. À l’âge d’environ 75 ans, il mourut à Calahorra, entre Navarre et Castille.

II.

À l’étude et à l’écriture, Rabbi Abraham Ibn Ezra fut aussi infatigable qu’il l’avait été lors de ses voyages. Son style et sa forme en poésie étaient considérés comme encore plus parfaits que ceux de Rabbi Yehouda Halevi. Alors que les poèmes et les prières de Rabbi Yehouda Halévi sont pleins de sentiments et de nostalgie pour la restauration du peuple juif et du Temple, Rabbi Abraham Ibn Ezra écrivait des poèmes qui mettaient en vers certaines des pensées et des mystères les plus profonds de l’étude juive. À moins d’avoir une très bonne connaissance de toute la littérature des grands Sages qui l’ont précédé, il est parfois presque impossible de comprendre le véritable sens des écrits d’Ibn Ezra. Il en va de même pour son œuvre majeure, le commentaire de la Bible, généralement connu sous le nom d’« Ibn Ezra ». C’est un mélange d’explications les plus claires et d’allusions à de profonds mystères.

Rabbi Abraham Ibn Ezra écrivit également plusieurs livres sur la grammaire hébraïque, une profonde dissertation sur la philosophie appelée « Yessod Mora », et plusieurs livres sur l’astronomie et les mathématiques. Ses « ‘hidoth », énigmes sous forme poétique, et ses petits poèmes écrits en d’innombrables occasions, firent de lui la référence pour tous les poètes d’Espagne. On raconte que Rabbi Yehouda Halevi écrivit un jour un poème dont chaque ligne commençait par une lettre de l’Aleph Beth. Lorsqu’il arriva à la lettre « rech », il ne put trouver une pensée appropriée. Finalement, il s’endormit. Lorsqu’il se réveilla, il vit qu’un étranger avait ajouté un vers parfait à son poème, commençant par un « rech ». Plein de joie et d’admiration, il s’est, dit-on, exclamé : « Ceci est l’œuvre d’un ange ou de Rabbi Abraham Ibn Ezra. »

III.

Rabbi Abraham Ibn Ezra nous est cher, non pas tant à cause de l’élégance de son écriture, de sa poésie, de sa philosophie ou de sa science, mais comme l’homme qui, malgré toute sa familiarité avec les connaissances profanes, était plein de piété et de l’esprit de D.ieu. La chaleur et le sentiment profond, dont on dit qu’ils manquent dans sa poésie profane, imprègnent tous ses poèmes, prières et écrits religieux. C’est ici que Rabbi Abraham Ibn Ezra montre sa vraie nature, sa foi sans limites et sa confiance absolue en D.ieu. À travers toute son œuvre résonne son désespoir face à la séparation du peuple juif de D.ieu, de la Torah et de la Terre Sainte, et avec la ferveur de son âme, il prie pour la réunion de ces trois éléments à l’époque de Machia’h.