Rav Yoel HaKohen Kahn, appelé simplement « Reb Yoel », fut un disciple éminent du Rabbi de Loubavitch, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie, et son scribe oral. Doté de dons intellectuels uniques et d’une rare mémoire, Reb Yoel s’est consacré sans relâche à absorber, retranscrire et diffuser les volumineux enseignements du Rabbi pendant plus de sept décennies. Il était un dépositaire ambulant capable de remonter des décennies en arrière pour se rappeler instantanément de vastes pans des discours du Rabbi, presque mot pour mot. Rav Yoel Kahn est décédé le jeudi 15 juillet 2021 (6 Mena’hem Av 5781) à l’âge de 91 ans.
Il était arrivé à New York à un moment providentiel. Lorsque cet étudiant rabbinique né en Union soviétique quitta le port de Haïfa en Israël, en février 1950, il avait l’intention d’étudier auprès du sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, de mémoire bénie (1880-1950). Lorsque son bateau accosta à Ellis Island 12 jours plus tard, le maître vénéré avait quitté ce monde. Les ‘hassidim reconnurent rapidement le gendre du sixième Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, comme son successeur en tant que Rabbi. En quelques semaines, Reb Yoel se mit à transcrire les discours oraux du Rabbi et à les poster aux communautés juives du monde entier.
Le jour du premier anniversaire de la disparition du sixième Rabbi, le Rabbi accepta finalement d’assumer le rôle de son beau-père et de devenir le septième dirigeant de ‘Habad, en prononçant le soir même son premier discours ‘hassidique. Alors qu’auparavant, les ‘hassidim recevaient une version écrite du discours dans les jours suivant le farbrenguen, avec ce nouveau Rabbi, rien de la sorte n’était prévu. Lorsque Reb Yoel eut une audience privée avec le Rabbi une semaine plus tard, il lui apparut clairement qu’en raison de son emploi du temps déjà chargé avec ceux qui sollicitaient ses conseils et ses avis dans le monde juif et même au-delà, le Rabbi ne fournirait pas de versions écrites de ses discours oraux. Au lieu de cela, le Rabbi attendait du ‘hozer (scribe oral) et de son équipe qu’ils lui remettent des notes qu’il corrigerait ensuite. Cela allait être la vocation de toute une vie pour Reb Yoel. Pendant plus de quatre décennies, il se tint devant le Rabbi et mémorisa avec assiduité des milliers d’heures d’enseignements complexes de la Torah. Reb Yoel dirigeait également les chants pendant les farbrenguens du Rabbi et les répétitions orales (‘hazara) qui suivaient.
Le principal moyen d’enseignement du Rabbi était les farbrenguens, des rassemblements ‘hassidiques qui se tenaient dans sa synagogue au 770 Eastern Parkway à Brooklyn, au cours desquelles le Rabbi passait sans transition de discussions sur le code juridique de Maïmonide aux profondeurs mystiques du Zohar, en passant par des passages complexes du Talmud, la philosophie ‘hassidique et les événements actuels, le tout réfracté par son prisme unique de synthèse de la Torah. Il y eut moins d’une poignée d’occasions où Reb Yoel ne fut pas présent pour mémoriser ces discussions. Au début, lors d’une fête de Chavouot, le Rabbi arriva à l’improviste pour prononcer un discours surprise à l’aube, attendant que Reb Yoel arrive avant de commencer. Pour s’assurer que cela ne se reproduise jamais, l’année suivante, Reb Yoel était prêt et attendait à sa place habituelle lorsque le Rabbi arriva.
Reb Yoel était également un maître en éducation, avec une capacité exceptionnelle à clarifier même les enseignements les plus abscons, ésotériques et abstraits de ‘Habad, et à les rendre accessibles à toute personne prête à faire un petit effort pour concentrer son esprit et se rendre réceptive. Grâce à ses élucidations fluides, des notions qui relevaient habituellement du domaine de la foi transcendante furent traduites de manière transparente en arguments logiques clairs qui aboutissaient, d’étape en étape, à des conclusions irréfutables. Humble et sans prétention, il parlait néanmoins avec une autorité mesurée, ponctuée d’éclats d’esprit et d’humour. Son chapeau incliné vers l’arrière au-dessus de son large front, sa longue barbe touffue en désordre chronique et une cigarette perpétuelle entre ses doigts (plus tard, il troquera la cigarette contre un verre de thé perpétuel), il fut un professeur captivant qui laissa une marque indélébile sur les nombreuses générations d’étudiants qui ont étudié sous sa tutelle du milieu des années 1950 jusqu’aux dernières années de sa vie.
En tant que ‘hozer-en-chef, Reb Yoel guida également des générations de jeunes érudits dans les arts de la mémorisation, de la répétition et de la transcription. Il est important de noter que de nombreux discours du Rabbi étaient prononcés le Chabbat et les jours de fête, lorsque les systèmes d’enregistrement électriques ne peuvent être utilisés. Sous l’œil attentif de Reb Yoel, ces équipes d’érudits mettaient par écrit les enseignements de Rabbi dans de multiples langues et formats. Bien que le Rabbi n’ait pas l’habitude d’écrire lui-même, il consacrait d’innombrables heures au processus d’édition. Parfois, le Rabbi révisait tellement les textes qu’il aurait été plus facile pour lui d’écrire tout seul, mais par ce processus, il enseignait à Reb Yoel et à l’équipe de ‘hozrim comment organiser la parole orale en une prose claire, concise et convaincante.
L’un des traits les plus caractéristiques de l’approche interprétative du Rabbi est la combinaison d’une grande portée et d’une attention méticuleuse aux détails, et Reb Yoel affina un style d’écriture dont la précision rigoureuse et incisive rassemblait habilement l’ensemble des références, des questions, des interventions, des élaborations et des clarifications dans des essais bien argumentés et accessibles. Il passait d’innombrables heures, jour et nuit, à rédiger et à retravailler, à éditer et à rééditer, jusqu’à ce qu’il juge l’article prêt à être soumis à l’examen du Rabbi. Au fil des décennies, le travail minutieux de Reb Yoel donna naissance au Likoutei Si’hot, l’ensemble des 39 volumes des allocutions révisées du Rabbi, aux six volumes des Maamarim Meloukatim contenant les discours ‘hassidiques révisés du Rabbi et au Torat Mena’hem, dont la publication n’est pas encore achevée et qui compte actuellement 118 volumes, qui présente les transcriptions en hébreu des farbrenguens du Rabbi dans leur forme complète et non révisée.
L’éditeur principal de l’encyclopédie ‘hassidique
Possédant une capacité extraordinaire pour l’organisation de domaines de connaissances vastes et complexes, Reb Yoel fut chargé par le Rabbi de diriger la compilation du Sefer HaArakhim, une encyclopédie savante des concepts ‘hassidiques, dont le neuvième volume est sorti en 2019, et sur lequel Reb Yoel a continué à travailler jusqu’à ses derniers jours. Ce projet était si immense que ces neuf volumes ne couvrent qu’une fraction des articles qui commencent par la première lettre de l’alphabet hébreu, aleph. Le corpus publié des textes ‘hassidiques ‘Habad comprend plusieurs milliers de volumes de matériel extrêmement complexe et varié, incluant des domaines aussi divers que la philosophie, l’herméneutique, l’éthique, la cosmologie, la psychologie et la kabbale. Les idées ne sont pas présentées de manière systématique ou thématique, mais de manière associative, chaque nouveau Rabbi s’appuyant sur les enseignements de ses prédécesseurs et y ajoutant de nouvelles couches d’explications. Une même idée est souvent abordée dans des centaines d’itérations textuelles différentes, et chacune apporte une perspective riche et nuancée qui n’est pas reproduite ailleurs.
La tâche d’analyser cette épaisse toile d’enseignements entrelacés et de les organiser en une série d’articles classés par ordre alphabétique aurait été impossible, même pour Reb Yoel, si le Rabbi lui-même n’avait pas préparé le terrain en compilant méticuleusement les index du corpus ‘Habad dans les années 1940 et 1950. De plus, le Rabbi a également fourni le cadre conceptuel particulier à travers lequel tous ces divers détails pouvaient être considérés comme des réfractions d’un tout unique. Sur cette base, et avec les encouragements constants du Rabbi, Reb Yoel s’est lancé dans cette entreprise intellectuelle épique. Le premier volume du Sefer HaArakhim fut publié en 1970, avec en annexe un traité spécial rédigé par le Rabbi lui-même. Son titre se traduit par « De l’Essence de la ‘Hassidout » et il expose la vision du Rabbi du ‘hassidisme comme la révélation de l’essence qui transcende toutes les particularités et qui réside au cœur de chaque élément de l’existence.
En tant que mentor de la Yéchiva centrale de Loubavitch, il continua à enseigner et à guider les jeunes étudiants rabbiniques, non seulement sur le plan académique, mais aussi, et c’est encore plus important, dans la pratique passionnée du chemin de vie ‘hassidique. En raison de son engagement de toute une vie avec les enseignements du Rabbi, sa perspicacité et son érudition étaient recherchées par des rabbins et des dirigeants de l’ensemble du monde juif, et lorsque, dans ses dernières années, il voyagea en Terre Sainte, il fut chaleureusement accueilli par des Rabbis ‘hassidiques révérés et d’éminents recteurs de yeshivas.
Une vie entière de dévouement et de service
Yoel Kahn naquit à Moscou, en Union soviétique, le 16 Chevat 5790 (1930), de Refoel Na’hman (« Folleh ») et Rivkah Kahn, membres du réseau clandestin des ‘hassidim ‘Habad qui luttèrent courageusement pour soutenir la vie et la pratique juives derrière le Rideau de fer. Pendant les trois premières années de sa vie, il ne vit jamais son père, qui avait été emprisonné par les soviétiques pour « activités contre-révolutionnaires » et pour avoir maintenu un lien avec le Rabbi précédent.
Reb Folleh Kahn, qui était un écrivain prolifique, se souviendra plus tard de son expérience de la prison soviétique dans un ouvrage écrit en hébreu intitulé « Derrière le Rideau de fer ». Parmi ses autres œuvres, des livres populaires auxquels on se réfère encore aujourd’hui, citons Loubavitch Ve’hayaleha, qui raconte l’histoire des élèves de la yechiva Tom’hei Temimim originelle du village de Loubavitch, et Chmouot VeSipourim, qui relate des histoires ‘hassidiques remontant à plusieurs générations et les propres souvenirs de l’auteur de son séjour à Loubavitch avant la Première Guerre mondiale.
En 1935, la famille parvint à quitter la Russie pour la Pologne, traversant à un moment donné l’Autriche. C’est là, au sanatorium de Purkersdorf, que le jeune Yoel rencontra pour la première fois le gendre du Sixième Rabbi, ainsi que son beau-père, le Rabbi précédent. Plus tard, alors qu’ils attendaient sur le quai de la gare de Vienne, ils furent surpris de voir le futur Rabbi arriver pour les accompagner. Il distribua notamment du chocolat à Reb Yoel et à ses frères et sœurs. De l’Europe, la famille se dirigea vers la Palestine mandataire, où Yoel fut inscrit à la toute jeune yechiva ‘Habad de Tel Aviv qui était alors dirigée par le Rav ‘Haïm Chaoul Brook.
Brillant prodige doté d’une aptitude à l’étude approfondie, il excella dans ses études. Parmi ses partenaires d’étude figurait le Rav Shlomo Berman, qui devint plus tard directeur de la yechiva Ponovezh à Bnei Brak.
Après être arrivé à New York et avoir appris le décès du Rabbi précédent, Reb Yoel se lia immédiatement à son successeur, le Rabbi, et commença à s’abreuver de ses paroles. Les lettres que Reb Yoel écrivit à ses parents à cette époque témoignent de l’émerveillement, du respect et de l’admiration que lui et ses pairs ressentaient à l’égard du nouveau Rabbi et des grands espoirs que sa direction laissait entrevoir pour ‘Habad, pour le peuple juif et pour le monde entier.
En 1954, Reb Yoel épousa Leah Butman et le couple s’installa dans le quartier de Crown Heights, où il occupa le poste de mashpia (mentor ‘hassidique), servant à la fois d’enseignant et de guide personnel aux jeunes étudiants, leur faisant découvrir la beauté et la profondeur de la pensée ‘hassidique. Avec le temps, il devint le mashpia principal de la yechiva ‘Habad centrale. Pour les étudiants de la yechiva et les chercheurs extérieurs au monde ‘Habad, il était souvent le premier port d’escale, un guide sage et érudit dans le monde spirituel complexe du ‘hassidisme ‘Habad.
Après la disparition du Rabbi en 1994, il servit de bastion de la sagesse authentique du ‘hassidisme et de référence unanime, enraciné dans les enseignements du Rabbi, duquel il ne s’est jamais séparé.
Reb Yoel Kahn laisse derrière lui sa femme, Leah Kahn, et est profondément regretté par des centaines de milliers de ses élèves et par tous ceux dont la vie a été enrichie par les enseignements qu’il a transmis.
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