Si l’expression « ère messianique » semble désigner une période unifiée, celle-ci se répartira en fait sur deux périodes distinctes.1 La première est celle dont il est dit dans le Talmud « le monde suivra son cours », et elle jouera le rôle d’introduction à la seconde période, plus tardive. Dans cette dernière, le monde connaîtra des changements radicaux, les lois de la nature actuelles n’auront plus cours, et les prophéties telles que « le loup résidera avec l’agneau » s’accompliront dans leur sens littéral. C’est à ce moment qu’il y aura la résurrection des morts, qui est l’une des croyances fondamentales du judaïsme.2 D.ieu Lui-même se révélera alors dans toute Sa gloire, sans aucun voilement.
Il y a un débat parmi les Sages sur le moment du déclenchement de la seconde période, et sur le temps qui s’écoulera entre la venue de Machia’h et celle-ci. Nous n’avons également que très peu d’informations sur l’image du monde en ce temps-là, qui transcendera complètement nos repères actuels. On peut certainement lui appliquer le principe énoncé par Maïmonide3 lorsqu’il évoque « la Guerre de Gog et Magog », la venue du prophète Élie, etc : « [Tous ces événements], nul ne sait comment ils se dérouleront jusqu’à ce qu’ils aient lieu. »
Toutefois, nous savons que lors de cette période s’accomplira pleinement la prophétie d’Isaïe : « La gloire de D.ieu se révélera, et toutes [les créatures de] chair, ensemble, verront que c’est la bouche de D.ieu qui a parlé »4 Les mots clé de ce verset sont « se révélera » et « verront ». Aujourd’hui, nous « appréhendons » D.ieu à travers la foi, la compréhension (autant que notre esprit humain nous le permet), les sentiments, etc, mais il nous est impossible de voir directement le divin. Dans les temps messianiques, la lumière divine se révélera dans le monde au point où la chair physique elle-même la percevra.
Vision et audition
La ‘Hassidout5 explique cela sur la base de la différence entre la vision et l’audition. Voir des choses ou en entendre parler sont deux manières que l’être humain peut recevoir des informations à leur sujet, qui sont fondamentalement différentes :
La vision pénètre au plus profond de l’âme. Ce que nous voyons s’impose à notre esprit de façon incontestable. « Je l’ai vu de mes yeux », dit-on pour exprimer la véracité absolue d’une chose. D’un autre côté, une information qui est seulement entendue n’acquiert pas ce même degré de vérité. Elle a également moins de pouvoir de toucher une personne émotionnellement qu’une chose dont elle est le témoin oculaire.
C’est pourquoi la vision ne peut concerner que des choses matérielles, alors que l’audition permet de capter des choses d’ordre spirituel : du fait que la vision pénètre si profondément dans l’âme, une personne ne pourrait pas demeurer dans son état actuel si elle captait de ses yeux la réalité spirituelle. C’est la raison pour laquelle il nous a été rendu impossible de la voir directement et que nous pouvons seulement en entendre parler et nous la représenter dans notre esprit, sans la validation absolue de la vision matérielle.
Il y a de ce fait une différence essentielle entre notre connaissance de la dimension matérielle du monde et notre connaissance de la réalité divine : du fait que nous voyons le monde physique, la réalité de celui-ci a pour nous un caractère évident. Nous n’avons pas besoin de preuves de son existence. En revanche, nous n’avons pas une perception aussi naturellement évidente de la réalité spirituelle et divine. Nous devons recourir à la foi, à la méditation, à la pensée, aux preuves rationnelles pour en appréhender l’existence. C’est pourquoi, même lorsque l’ensemble des preuves nous convainquent de l’existence de la réalité spirituelle, celle-ci ne nous pénètre pas au même degré, et ne s’impose pas à nous avec la même vérité, que ne le fait la réalité matérielle que nous voyons de nos yeux.
Le grand bouleversement
Dans les temps futurs cet ordre des choses sera bouleversé : la réalité divine sera perçue de façon claire et évidente, tout comme nous percevons aujourd’hui la réalité matérielle. Et la réalité matérielle deviendra quelque chose qu’il sera nécessaire de prouver et de se convaincre de son existence…
À l’ère messianique, la seule chose dont l’existence sera clairement manifeste (« toute chair verra ») sera la force divine à l’œuvre dans la création (« la gloire de D.ieu »), que nous percevrons comme étant la véritable réalité de toute chose, alors que la réalité physique perdra son caractère évident au point qu’il nous faudra des preuves rationnelles pour nous assurer qu’il ne s’agit pas d’une illusion.
De fait, cet état a connu un précédent : une telle révolution s’est déjà opérée lors du Don de la Torah. C’est le sens profond du phénomène qui se produisit alors lorsque « l’on vit ce qui s’entend et l’on entendit ce qui se voit »6 : ce qui, du point de vue de l’existence du monde est d’ordinaire « entendu » fut alors perçu avec l’évidence d’une chose vue, et le monde matériel qui s’offre à la vue perdit son caractère évident et fut relégué au rang de la chose entendue.
Au Sinaï, cependant, cette révélation extraordinaire fut seulement momentanée. Le monde n’était pas encore prêt à la recevoir de façon permanente. Lors des temps messianiques, en revanche, ce sera l’état normal du monde. Au cours des millénaires qui se sont écoulé depuis le Don de la Torah, la création a été affinée à travers l’étude de la Torah et l’accomplissement des mitsvot pendant de nombreuses générations de sorte qu’elle est désormais à même de soutenir cette lumière divine. Lorsque le moment viendra, le voile sera écarté, et nous verrons tous de nos yeux de chair la lumière divine qui a toujours été présente au sein de la création.
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