Lorsque le troisième Rabbi et chef du ‘hassidisme ‘Habad, Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch quitta ce monde en 1867, il laissa dans le deuil sept fils savants et pieux. Chacun avait des disciples qui souhaitaient voir leur mentor prendre la place de son père.

Le rav Gronem Estherman, l’un des grands machpiim1 dans les annales de Loubavitch, était un jeune homme à l’époque et ne savait pas vers lequel des fils du Rabbi se tourner pour obtenir des directives et des conseils. Quand il évoqua son dilemme avec le célèbre disciple Rav Chmouel Ber de Barisov, celui-ci lui dit : « Écoute, Gronem. Ce sont tous des fils du Rabbi. “Ils sont tous aimés, ils sont tous puissants, ils sont tous saints.”2 Mais laisse-moi te parler d’un certain incident, puis tu feras ce que tu jugeras bon. 

« Lors d’une de mes visites à Loubavitch, il y avait quelque chose dans le discours de notre regretté Rabbi que je trouvais difficile à comprendre – cela semblait contredire un certain passage du Ets ‘Haïm, le célèbre livre de Kabbale.3 Aucun des disciples les plus âgés ne fut en mesure de me donner une réponse qui me satisfasse, de sorte que cette nuit-là je fis la tournée des fils du Rabbi. Je rendit visite à Rabbi Yehouda Leib, à Rabbi ‘Haïm Chnéour Zalman et aux autres. Chacun donna une explication, mais, encore une fois, aucune de leurs idées ne me contenta.

« Il était maintenant assez tard dans la nuit. Je me dirigeais vers mon logement quand j’ai remarqué une lumière qui émanait de la fenêtre de Rabbi Chmouel. Je n’avais pas envisagé de l’interroger, car il est le plus jeune des fils et, comme tu le sais, son comportement est celui d’un individu plutôt ordinaire et indistinct. Cependant, j’étais curieux de savoir ce qu’il faisait à une heure aussi tardive. Alors je me suis hissé jusqu’au rebord de sa fenêtre et j’ai regardé à l’intérieur. Et qu’est-ce que j’ai vu ? J’ai vu Rabbi Chmouel immergé dans l’étude du même passage du Ets ‘Haïm qui me donnait tant de difficulté ! J’ai donc pensé que je ferais mieux d’entrer et d’en discuter avec lui.

« J’ai fait le tour et j’ai frappé à sa porte. “Juste une minute !”, cria-t-il. Après une assez longue minute, la porte s’ouvrit. J’ai jeté un regard dans la pièce : des journaux étaient disposés sur la table, des journaux allemands, des journaux russes. Aucune trace du Ets ‘Haïm.

« “Reb Chmouel Ber ! Plutôt tard, n’est-il pas ?, dit-il. Que puis-je faire pour vous ?” Je lui ai parlé de mon problème avec le discours que le Rabbi avait prononcé ce jour-là et le passage du Ets ‘Haïm. “Ah, Reb Chmouel Ber, a-t-il dit, on dit que vous êtes un juif intelligent. Nou, je vous le demande, c’est moi que vous venez voir avec une question sur le Ets ‘Haïm... ?”

« “Écoutez, mon ami, lui ai-je dit, votre jeu est terminé. Il y a cinq minutes, je vous ai vu avec le Ets ‘Haïm. Maintenant, soit vous me dites comment vous le comprenez, soit demain tout Loubavitch entendra parler des tours de passe-passe que vous faites avec vos journaux allemands.”

« Nous nous sommes assis et avons discuté de la question jusqu’au matin, conclut Rav Chmouel Ber, et je suis reparti très impressionné par l’étendue et la profondeur de ses connaissances. C’est ce que je peux te dire, Gronem, maintenant fais comme bon te semble... »