Pourquoi l’anéantissement fut-il été décrété sur les Juifs de cette génération ? Parce qu’ils prirent plaisir à participer au festin du méchant [Roi A’hachvéroch].

Talmud, Méguila 12a

Les Juifs du Suse avaient de nombreuses raisons impérieuses d’assister au banquet organisé pendant sept jours par le roi A’hachvéroch pour célébrer la consolidation de son règne sur les 127 provinces de l’Empire perse.

Tous les habitants de la capitale étaient invités, et refuser l’invitation royale aurait été une grave insulte, ce qu’une petite minorité dispersée dans tout l’Empire et menacée par de nombreux ennemis ne pouvait pas se permettre de faire. Il est vrai que les Juifs ne sont pas comme les autres nations du monde dont la fortune monte et descend au gré des marées de la vie politique ; selon les mots du Talmud, « le peuple d’Israël n’est pas soumis au “destin” », car il relève de la juridiction exclusive de D.ieu. En effet, nos millénaires de survie en tant que « mouton solitaire entouré de soixante-dix loups » défient toutes les lois de l’histoire. Mais il est également vrai qu’il nous est commandé de construire un « récipient » naturel à travers lequel la protection et la bénédiction divines pourraient affluer. Les Juifs de Perse se souvenaient certainement des paroles prononcées par le prophète Jérémie soixante-dix ans auparavant, lorsqu’ils furent pour la première fois exilés de leur patrie : « Recherchez la paix de la ville dans laquelle Je vous ai exilés, et priez pour elle... car dans sa paix vous aurez la paix » (Jérémie 29,7).

Et même si participer au festin d’A’hachvéroch n’était ni souhaitable ni nécessaire, cela était-il interdit par les lois de la Torah ? Le Livre d’Esther laisse entendre que ce n’était pas le cas. Il nous est dit qu’A’hachvéroch avait ordonné qu’aucun homme ne soit contraint de prendre une nourriture ou une boisson qui ne correspondait pas à sa constitution ou à ses croyances religieuses. Il avait même prévu de la nourriture casher pour ses sujets juifs, en pleine conformité avec les normes exigeantes de nul autre que Mordekhaï lui-même ! (Voir Esther 1,8 ; Targum ibid. ; Talmud, Méguila 12a).

En tout état de cause, même s’il y avait quelque chose qui clochait dans la présence juive au festin d’A’hachvéroch, était-ce une transgression si terrible qu’elle justifiait que Haman reçoive l’autorisation « d’anéantir, de massacrer et de détruire tous les juifs, jeunes et vieux, femmes et enfants, en un seul jour » ?

Les Juifs en politique

Mais le problème ne fut pas qu’ils participèrent à la fête. Ce fut, comme le souligne le passage talmudique cité ci-dessus, « qu’ils prirent plaisir à participer au festin » de l’empereur de Perse.

Il est certain que le Juif en exil a le devoir d’employer les outils qui, selon des critères naturels, aident à survivre sous domination étrangère. Mais il doit toujours se souvenir que cela n’est rien de plus qu’un « récipient » pour la protection de D.ieu. La politique, les affaires, la loi naturelle ne sont rien de plus qu’une façade élaborée que D.ieu désire que nous construisions pour contenir et dissimuler Sa providence supra-naturelle qui dirige nos vies. Ce ne sont pas des choses qu’il convient de vénérer, et il convient encore moins d’en faire des objets d’excitation.

Mais les Juifs ont éprouvé de la joie d’avoir été invités à la fête d’A’hachvéroch. Alors qu’ils prenaient place parmi les Perses, les Mèdes, les Babyloniens, les Chaldéens et autres nationalités de l’Empire, ils se sentaient satisfaits et en sécurité. Après soixante-dix ans d’exil, ils avaient « réussi » ; ils étaient désormais un membre à part entière de la famille des nations à la table d’A’hachvéroch, avec des dîners glatt-casher sortant des cuisines royales.

À travers cette joie suscitée par leur invitation au festin d’A’hachvéroch, les Juifs ont désavoué leur caractère unique en tant que nation placée sous la protection spéciale de D.ieu. Leurs sentiments démontraient qu’ils percevaient désormais la niche qu’ils s’étaient creusée dans les bonnes grâces d’un empereur terrestre comme étant la base de leur survie. Mais le monde dans lequel ils avaient si joyeusement pénétré était un monde capricieux. Un jour, un Juif, Mordekhaï, était un ministre de haut rang à la cour d’A’hachvéroch et une Juive, Esther, était sa reine préférée ; le lendemain, Haman devint Premier ministre et convainquit A’hachvéroch de signer un décret d’anéantissement à l’égard du peuple juif.

Le renversement

Lorsque Mordekhaï informa Esther des plans d’Haman et l’exhorta à user de son influence auprès du roi pour que le décret soit annulé, Esther lui dit de « rassembler tous les Juifs qui sont à Suse et jeûnez pour moi. Ne mangez pas et ne buvez pas pendant trois jours, nuit et jour. Moi et mes jeunes filles jeûnerons également. Ainsi j’irai vers le roi, contre la loi... » (Esther 4,16).

Comme Esther l’avait expliqué à Mordekhaï plus tôt dans le même chapitre, il était interdit sous peine de mort à quiconque – y compris la reine – de se présenter devant le roi sans convocation. La seule chance d’Esther était de charmer le roi pour qu’il ne la tue pas et de le retourner contre son ministre préféré en faveur de son peuple. La dernière chose à faire en de telles circonstances était de se présenter devant le roi avec l’image d’une femme qui n’avait rien mangé depuis trois jours !

C’est certes ce qu’aurait dicté les normes de la nature humaine et de la politique des palais. Mais Esther reconnut que la clé pour sauver son peuple était de rétablir la relation entre D.ieu et Israël dans ses termes originaux et supra-naturels. Les Juifs devaient se repentir d’avoir régressé à l’état de peuple politique ; ils devaient puiser dans leur seule vraie ressource : l’amour de D.ieu pour eux et Son engagement à leur survie. Ils devaient prendre d’assaut les portes du ciel avec leur jeûne et leur prière, et éveiller Sa compassion pour Son peuple.

Certes elle devait se rendre auprès A’hachvéroch et faire tout ce qui était en son pouvoir pour le faire changer d’avis. Mais ce n’était qu’une formalité. Elle devait faire les choses de manière « normale », parce que c’était ce que D.ieu voulait qu’elle fasse, parce que c’était le vêtement dans lequel Il avait choisi de revêtir Son salut. Mais elle n’allait pas en appeler à D.ieu avec moins de ferveur par crainte que cela ne la rende moins attirante pour A’hachvéroch, cela aurait été comme un soldat qui jette son fusil parce qu’il plisse son uniforme.

C’est ainsi qu’Esther rectifia l’erreur de ceux qui avait pris plaisir au festin d’A’hachvéroch. Ils avaient exalté l’apparence et abandonné l’essence de la survie juive au profit du récipient extérieur. L’approche d’Esther face à la menace du décret d’Haman réaffirma la véritable priorité du Juif et suscita la réaffirmation par D.ieu de Sa providence singulière sur le sort d’Israël.

Basé sur les discours du Rabbi de Loubavitch
de Pourim 1962 et 1967
(Likoutei Si’hot vol. 31, p. 170-176)